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gile comme un crime beaucoup plus grand. Voyez Adultere. En effet, au péché de la fornication il en joint deux autres : le larcin, parce que l’on dérobe le bien d’autrui ; la fraude, par lequel on donne à un citoyen des héritiers qui ne doivent pas l’être. Cependant, abstraction faite de la religion, de la probité même, & considérant uniquement l’économie de la société, il n’est pas difficile de sentir que la fornication lui est en un sens plus nuisible que l’adultere ; car elle tend, ou à multiplier dans la société la misere & le trouble, en y introduisant des citoyens sans état & sans ressource ; ou ce qui est peut-être encore plus funeste, à faciliter la dépopulation par la ruine de la fécondité. Cette observation n’a point pour objet de diminuer la juste horreur qu’on doit avoir de l’adultere, mais seulement de faire sentir les différens aspects sous lesquels on peut envisager la Morale, soit par rapport à la religion, soit par rapport à l’état. Les législateurs ont principalement décerné des peines contre les forfaits qui portent le trouble parmi les hommes ; il est d’autres crimes que la religion ne condamne pas moins, mais dont l’Être suprème se réserve la punition. L’incrédulité, par exemple, est pour un chrétien un aussi grand crime, & peut-être un plus grand crime que le vol ; cependant il y a des lois contre le vol, & il n’y en a pas contre les incrédules qui n’attaquent point ouvertement la religion dominante ; c’est que des opinions (même absurdes) qu’on ne cherche point à répandre, n’apportent aux citoyens aucun dommage : aussi y a-t-il plus d’incrédules que de voleurs. En général on peut observer, à la honte & au malheur du genre humain, que la religion n’est pas toûjours un frein assez puissant contre les crimes que les lois ne punissent pas, ou même dont le gouvernement ne fait pas une recherche sévere, & qu’il aime mieux ignorer que punir. C’est donc avoir du Christianisme une très-fausse idée, & même lui faire injure, que de le regarder, par une politique toute humaine, comme uniquement destiné à être une digue aux forfaits. La nature des préceptes de la religion, les peines dont elle menace, à la vérité aussi certaines que redoutables, mais dont l’effet n’est jamais présent, enfin le juste pardon qu’elle accorde toûjours à un repentir sincere, la rendent encore plus propre à procurer le bien de la société, qu’à y empêcher le mal. C’est à la morale douce & bienfaisante de l’Evangile qu’on doit le premier de ces effets ; des lois rigoureuses & bien exécutées produiront le second.

On a remarqué avec raison ci-dessus, que la fornication se prend dans l’Ecriture non-seulement pour une union illégitime, mais encore pour signifier l’idolâtrie & l’hérésie, qui sont regardées comme des fornications spirituelles, comme une espece de copulation, s’il est permis de parler de la sorte, avec l’esprit de ténebres. Cette distinction peut servir à expliquer certains passages de l’Ecriture contre la fornication, & à les concilier avec d’autres. (O)

FORT, adj. voyez les articles Force.

FORT, s. m. c’est dans l’Art militaire, un lieu ou un terrein de peu d’étendue fortifié par l’art ou par la nature, ou par l’un & l’autre en même tems.

Les forts different des villes fortifiées, non-seulement parce qu’ils renferment un espace plus petit, mais encore parce qu’ils ne sont ordinairement occupés ou habités que par des gens de guerre. Ce sont des especes de petites citadelles destinées à garder des passages importans, comme le fort des Barraux. Ils servent encore à occuper des hauteurs sur lesquelles l’ennemi pourroit s’établir avantageusement, à couvrir des écluses, des têtes de chaussées, &c. Tel est le fort de Scarpe auprès de Doüay, celui de Nieulay à Calais, de saint François à Aire, &c.

Lorsque la ligne de défense de ces forts a 120 toises, ou environ, on les appelle forts royaux. (Q)

Fort de Campagne ; c’est une espece de grande redoute dont les côtés se flanquent réciproquement, & qui ne se construit que pendant la guerre. On s’en sert alors pour couvrir & garder des postes ou des passages importans.

Lorsque les forts de campagne sont triangulaires ou quarrés, & qu’ils sont ouverts d’un côté, on leur donne le nom de redoutes. Voyez Redoute. Mais quand ils sont fermés de tous côtés, & qu’ils donnent des feux croisés, c’est alors qu’ils portent proprement le nom de forts.

La grandeur des forts de campagne varie suivant l’usage auquel on les destine ; mais leur ligne de défense doit toûjours être plus petite que celle des villes fortifiées. On peut la fixer entre 40 & 60 toises au plus, ce qui est à-peu-près la plus grande longueur que l’on peut donner aux côtés de ces forts. Ils sont formés d’un fossé de 10 ou 12 piés de profondeur sur 15 ou 18 de largeur ; d’un parapet de huit ou neuf piés d’épaisseur & de sept de hauteur, & assez ordinairement d’un chemin couvert, palissadé lorsqu’on a la commodité de le faire.

Pour construire un fort de campagne triangulaire, décrivez d’abord un triangle équilatéral. Divisez chacun de ses côtés en trois parties égales ; prolongez une de ces parties au-delà du triangle, & faites ce prolongement égal à cette partie. Tirez ensuite de son extrémité au sommet de l’angle opposé au côté prolongé, la ligne de défense. Faites la gorge égale au tiers du côté, & élevez le flanc de maniere qu’il fasse un angle à-peu-près de 100 degrés, avec les deux autres tiers du même côté. Faites après cela la même chose sur les autres côtés du triangle ; & il sera fortifié par trois demi-bastions. Il y a des auteurs qui fortifient le triangle avec des bastions entiers ; mais les angles de ces bastions se trouvent alors si aigus, qu’ils n’ont aucune solidité.

La fortification du quarré avec des demi-bastions se fait de la même maniere que celle du triangle ; excepté qu’au lieu de diviser le côté en trois parties égales, on le partage en quatre, & que le prolongement de chaque côté est pris du quart de ce côté, de même que la gorge du demi-bastion.

Cette sorte de fortification donne des angles morts ou rentrans, qui ne sont pas défendus ; mais le peu d’élévation des forts de campagne rend ces angles bien moins défectueux ou préjudiciables que dans les villes de guerre, parce que l’espace qui n’est pas défendu se trouve alors beaucoup plus petit.

Parmi les forts de campagne, il y en a qu’on nomme forts à étoile, parce qu’ils en ont à-peu-près la figure. Ils sont formés de quatre, cinq, ou six côtés qui donnent autant d’angles saillans & rentrans.

Pour faire un fort en étoile qui soit exagonal ou qui ait six angles rentrans, il faut d’abord décrire un triangle équilatéral, diviser chaque côté en trois parties égales des deux extrémités de la partie du milieu de chaque côté & de son intervalle, décrire deux arcs qui se coupent dans un point en-dehors le triangle ; tirant de ce point des lignes aux centres de ces arcs, on aura le fort tracé.

Si l’on veut un fort pentagonal à étoile, on commencera par décrire un pentagone de la grandeur qu’on jugera nécessaire ; on divisera ensuite chaque côté en deux également, & du point du milieu on élevera une perpendiculaire en-dedans le pentagone. On donnera à cette perpendiculaire le quart du côté ; & par son extrémité on tirera aux angles du pentagone des lignes qui formeront les angles rentrans de ce polygone.