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combien de façons la nature s’est diversifiée dans la partie des mines de fer. Sans entrer dans le détail des variétés infinies qui naissent des différens alliages, nous chercherons à nous en faire une distinction par les combinaisons des choses que nous y connoissons, & qui peuvent nous diriger dans leur travail. Il y a des pierres, des terres & du fer pur, avec son phlogistique. Les pierres & les terres sont ou apyres, ou calcaires, ou vitrescibles. Combinez toutes ces substances de toutes les manieres possibles avec le fer pur, & vous aurez autant de mines à traiter diversement.

Ces corps joints à la mine sont ou terre seule, ou terre & pierre également ; ou beaucoup de terre & peu de pierres accrochées foiblement ; moins de terre & plus de pierres liées très-étroitement ; ou pierre très-solide, jointe très-fortement à la mine. La distance de chaque degré est remplie d’une infinité de modifications, par les différentes especes de terre, de pierre, leur mélange, leur adhésion, leur figure : de-là les différentes couleurs, formes, difficulté à la fusion.

La terre qui fait ordinairement corps avec une mine propre à la fusion, est communément remplie de parties calcaires ou argilleuses ; la pierre, de parties vitrescibles & apyres : les unes & les autres combinées sont fusibles.

Nous appellons arbue & castine, les deux substances ou fondans que nous employons spécialement à la fusion des mines.

Vous discernerez l’arbue du meilleur usage, lorsque l’espece d’argile, connue dans les forges sous ce nom, n’est point mélangée d’autres corps ; qu’au toucher elle est douce ; que la couleur n’en est point d’un rouge trop foncé ; que pétrie avec peu d’eau elle devient bien compacte, seche à l’ombre sans crevasse, & résiste long-tems au feu. L’arbue que la charrue a travaillée est la plus nerveuse, la plus douce & huileuse, soit parce que les plantes ont pompé une partie des sels, soit que le soleil & la végétation ne laissent que les parties les plus nerveuses des engrais, comme moins propres à la sublimation. L’attraction des parties de certains fumiers la rendent plus grasse, plus compacte, plus tenue, & par conséquent plus en état de résister au feu.

La bonne castine se connoît aisément au microscope, par toutes les parties qui en sont transparentes & propres à la calcination. Ne vous y trompez pas, & ne prenez pas pour de la castine des pierres qui portent des grains brillans, & réfléchissant la lumiere comme le grès. L’arbue qui, mêlée à la mine, résiste le plus long-tems au feu, & la castine qui cause le plus aisément la fusion, sont de la meilleure espece ; l’arbue se connoît à sa vitrescibilité ; la castine, à sa nature calcaire.

Il est innombrable de voir combien il y a de diversité dans l’arbue & dans la castine ; elle est aussi grande, que la possibilité d’être mélangée avec différentes matieres. Dans un siecle où tous les Arts sont honorés, enrichis des lumieres des savans, ne s’en trouva-t-il point un qui daigne tourner son travail sur les manufactures des fers, où il y a tant à rectifier ? C’est une vieille matiere toute neuve à traiter ; ce qui seroit peut-être déjà arrivé, si le fer ne naissoit que dans le Pérou. Que d’obligations n’auroit-on pas à une analyse des différentes mines, arbue & castine, qui déterminât exactement les degrés de chaleur & de mélange ? Nous sommes réduits à aller en tâtonnant ; si chaque pays produisoit également & séparément la mine, l’arbue & la castine, on pourroit établir par les faits connus, des regles fondées sur des mélanges uniformes ou gradués.

Mais une observation importante, soit pour l’éclaircissement de cet article, soit pour l’intelligence des

maîtres de forge, qu’on sera dans le cas de consulter ; c’est que la nature des matieres, telles que la castine & l’arbue qu’on mêle aux mines, soit pour les rendre fusibles, soit pour donner de la qualité aux fers, peut varier à l’infini ; & que par conséquent le seul moyen d’avoir des idées réelles, c’est de prendre ces substances, & d’en faire l’analyse chimique : c’est ainsi que nous nous sommes assûrés que la castine dont on parle dans cet article est une pierre calcaire ; & l’arbue un mélange vitrescible d’argille, de glaise, de terre calcaire, & d’un peu de fer.

Art. III. Maniere de tirer les mines. Nous avons dit que les corps joints à la mine étoient terre seule, premiere espece ; terre & pierre en petits volumes également, deuxieme ; beaucoup de terre & peu de pierre accrochées foiblement, troisieme ; moins de terre & plus de pierre liées plus étroitement, quatrieme ; pierre très-solide jointe très-fortement à la mine, cinquieme : ces différentes especes sont ou sur la surface, ou dans certaine profondeur de la terre, ou exposées à beaucoup d’eau.

Si elles sont proches la surface de la terre, la traite en est aisée ; & pour les trois premieres especes, il n’y a autre chose qu’à les séparer en les tirant des terres qu’on voit n’en être point imprégnées, & à les voiturer sur les atteliers destinés à les nettoyer.

La quatrieme espece demande plus de précaution, soit en laissant sur l’attelier les plus grosses pierres, détachant les parties de mine mêlées de terre, ou laissant le tout ensemble. Si les pierres sont fort chargées de mine, ou que ces pierres soient en grande quantité, sans être en trop gros volume, elles seront portées à l’attelier convenable.

La cinquieme espece sera tranchée dans les bancs comme la pierre dans les carrieres, cassée à bras d’homme & coups de masse en morceaux de trois ou quatre livres, & de-là voiturées à l’attelier destiné à faire le reste de la division. Il y en a d’assez riches dont il ne faut que réduire les morceaux en d’autres morceaux plus petits, & qu’on porte ainsi au fourneau. Quand les bancs sont extrèmement solides, ainsi que nous le supposons ; comme il n’est pas essentiel d’avoir des morceaux tranchés nettement, & d’une telle dimension, vous avancerez l’ouvrage en vous servant, lorsque le banc sera découvert au-delà d’un déjoint, s’il y en a, d’un morceau de fer rond d’environ un pouce de diametre, finissant en langue de serpent, bien acéré, aiguisé, & trempé, de la longueur d’un pié. Il faut être muni d’un compagnon, d’un maillet de bois, de sable en poudre & d’eau ; l’un tient le foret, verse un peu d’eau & de sable ; & l’autre touche à petits coups, ayant soin de changer la position du tranchant, en se relayant l’un l’autre : en très-peu de tems vous aurez un trou cylindrique de la profondeur que vous souhaitez. Ce trou ou plusieurs, pour un plus grand effet, s’emplissent de poudre à canon au tiers, l’ouverture se ferme avec une cheville de bois chassée fortement, dans laquelle on perce un petit trou pour loger une meche lente à brûler, ou de la poudre humectée, pour avoir le tems de se retirer : bien-tôt vous aurez une grande quantité de quartiers détachés, & deux hommes en fourniront ainsi plus que dix à trancher.

Si les mines sont à plusieurs degrés de profondeur, pour tirer celles des trois premieres especes, pratiquez des trous cylindriques de quatre piés de diametre ; ayez un tour, un cable, des paniers, & deux hommes à chaque ouverture, ils viendront aisément à-bout de ce travail ; ils changeront d’occupation une ou deux fois le jour, & en peu de tems ils arriveront à la mine. Si le banc est assez épais, pour y entrer, ils feront plusieurs galeries, laissant de bons & forts piliers ; iront au loin chercher la mine avec des