Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/934

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’entr’eux suffit pour annoncer celle de la maladie dont il s’agit. D’ailleurs elle peut attaquer les deux yeux en même tems, & dans un semblable cas, il n’est pas question de rechercher s’il est entr’eux quelque disproportion.

L’expression de cheval lunatique par laquelle on désigne tout cheval atteint de cette fluxion, démontre assez évidemment que nous avons été persuadés que les mouvemens & les phases de la lune dominoient l’animal dans cette occasion. Si ceux qui cultivent la science dont il est l’objet, avoient mérité de participer aux lumieres qui éclairent ce siecle, sans doute que la plûpart d’entr’eux ne persévereroient pas dans cette erreur qui leur est encore chere ; ils ne seroient pas même forcés de parvenir à des connoissances profondes, pour être détrompés. Une simple observation les convaincroit qu’ils ne peuvent avec fondement accuser ici cet astre ; car dès que les impressions de cette fluxion ne frappent pas dans le même tems tous les chevaux qui y sont sujets, & se font sentir tantôt aux uns dans le premier quartier, & aux autres tantôt dans le second, & tantôt dans le décours, il s’ensuit que les influences & les différens aspects de la lune n’y contribuent en aucune maniere. Je n’ignore pas ce qu’Aristote & presque tous les anciens ont-pensé des effets des astres sur les corps sublunaires, & ce que Craanen & l’illustre Sthal parmi les modernes, ont dit & supposé : mais leurs écarts ne justifient point les nôtres, & ne nous autorisent point à chercher dans des causes étrangeres les raisons de certaines révolutions uniquement produites par des causes purement méchaniques.

Deux sortes de parties composent le corps de l’animal : des parties solides & des parties fluides. Les solides sont des tissus de vaisseaux composés eux-mêmes de vaisseaux. Les fluides ne sont autre chose que les liqueurs qui circulent continuellement dans les solides qui les contiennent. L’équilibre exact qui résulte de l’action & de la réaction des solides sur les fluides, & des fluides sur les solides, est absolument indispensable pour rendre l’animal capable d’exercer les fonctions propres & conformes à sa nature ; car cet équilibre perdu, la machine éprouvera des dérangemens plus ou moins considérables, &c. Or si par une cause quelconque, si par exemple, conséquemment à la suppression de quelques excrétions, ou par quelques obstacles qui peuvent se rencontrer dans les vaisseaux, soit des parties internes, soit des parties externes de la tête, il y a engorgement dans ces vaisseaux, il y aura nécessairement inflammation, & de-là tous les accidens dont j’ai parlé ; cet engorgement parvenu à un certain point qui est positivement celui où tous ces accidens se montrent, la nature fait un effort ; les vaisseaux trop gonflés se dégorgent, soit par l’évacuation très-abondante des larmes, soit encore par quelqu’autre des voies servant aux excrétions naturelles, & les parties rentrent ensuite dans leur état jusqu’à ce que la même cause subsistant, un nouvel engorgement produise au bout du même tems les symptomes fâcheux qui caractérisent la fluxion périodique, dont la pléthore doit être par conséquent envisagée comme la véritable cause.

Le retour arrive dans un tems juste, fixe & déterminé, parce que les causes sont les mêmes, que les parties sont aussi les mêmes, & que s’il a fallu un mois pour former l’engorgement, il faut un même espace de tems pour sa réproduction. La plénitude se forme insensiblement & par degrés : les tuyaux qui se trouvoient engorgés dans le tems, & qui sont libres dans l’intervalle, n’ont qu’un certain diametre au-delà duquel ils ne peuvent s’étendre ; or la surabondance d’humeurs ne peut être telle qu’elle force, qu’elle surcharge les tuyaux, qu’autant que ces hu-

meurs seront en telle & telle quantité ; & pour que

ces humeurs soient en telle & telle quantité, il faut un intervalle égal ; cet intervalle expiré, le tems marqué arrive, pendant lequel, au moyen de l’évacuation, la plénitude cesse ; & le tems expiré, arrive de nouveau l’intervalle pendant lequel survient la plénitude, & ainsi successivement, le période dépendant entierement de la proportion des forces expansives aux forces résistantes. S’il n’est pas absolument exact dans tous les chevaux attaqués, & que l’on y observe des variétés, ces divers changemens doivent être attribués à l’exercice, aux alimens, aux saisons ; & si ces causes ne produisent pas dans quelques-uns les mêmes impressions, & que la quantité d’humeurs soit assez grande dans un tems toûjours certain & limité, on peut dire qu’elles sont compensées par d’autres choses. Du reste, pourquoi la nature employe-t-elle plûtôt ici vingt-sept ou vingt-huit jours que quarante ? La question est ridicule & la solution impossible ; les nombres seuls de proportions s’annoncent par les effets, mais la raison en est cachée dans toute la structure de la machine.

N’aspirons onc qu’à ce qu’il nous est permis & qu’à ce qu’il nous importe essentiellement de connoître. Si la pléthore est la source réelle de la fluxion périodique dont nous parlons, tous les signes indicatifs de cette maladie ne pourront s’appliquer que par le même principe. Or l’œil est attaqué, ou les deux yeux ensemble paroissent plus petits, attendu que les paupieres sont enflées ; cette enflure ne provient que de l’engorgement ou de la replétion des vaisseaux sanguins & lymphatiques, & ces parties étant d’ailleurs d’un tissu lâche par elles-mêmes, il n’est pas étonnant qu’il y ait un gonflement emphisémateux. L’œil est larmoyant, parce que l’inflammation causant un gonflement à l’orifice des points lachrymaux, les larmes d’ailleurs beaucoup plus abondantes ne peuvent point être absorbées ; elles restent à la circonférence du globe, principalement à la partie inférieure qui en paroît plus abreuvée qu’à l’ordinaire, & elles franchissent dès lors l’obstacle que leur présente la caroncule lachrymale. L’œil est trouble & la cornée lucide moins transparente, parce que les vaisseaux lymphatiques étant pleins de l’humeur qui y circule, la diaphanéité ne peut être telle que dans l’état naturel. L’œil est rougeâtre, parce que dès que la plénitude est considérable, les vaisseaux qui ne doivent admettre que la lymphe, admettent des globules sanguins ; enfin la fougue de l’animal ne naît que de l’engorgement des vaisseaux du cerveau, qui comprimant le genre nerveux, changent en lui le cours des esprits animaux, & par conséquent son habitude.

Quant au prognostic que l’on doit porter, nous ne l’asseoirons point sur les idées que l’on s’est formé jusqu’à présent de cette maladie, ni sur l’inutilité des efforts que l’on a faits pour la vaincre. Il n’est point étonnant qu’elle ait resisté à des topiques plus capables d’augmenter l’inflammation que de l’appaiser ; à des barremens d’arteres & de veines dont les distributions n’ont lieu que dans les parties qui entourent le globe, & non dans celles qui le composent ; à l’opération d’énerver ; à des amulettes placées sur le front ; enfin aux tentatives de M. de Soleysel, que la célébrité de son nom ne justifiera jamais d’avoir expressément prohibé la saignée, & d’avoir ordonné d’exposer le cheval malade au serein & à l’humidité de la nuit. Nous avouerons néanmoins que les suites peuvent en être fâcheuses. En effet, il est bien difficile que les évacuations qui donnent lieu à la cessation du paroxysme, soient toûjours assez completes pour que l’organe recouvre toute son intégrité, surtout si les dilatations que les vaisseaux ont souffert ont été réitérées ; car dès lors ils perdent leur ton, & le moindre épaississement, la pléthore & l’acrimo-