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Après le flux & le reflux, la mer est un peu de tems sans descendre ni monter, parce que les eaux tendent à conserver l’état de repos & d’équilibre où elles sont dans le moment de la haute marée, & dans celui de la marée basse ; & qu’en même tems le mouvement de la terre déplaçant ces eaux par rapport à la lune, change l’action de cet astre sur ces eaux, & tend à leur faire perdre l’équilibre : ces deux efforts se contrebalancent mutuellement pendant quelques momens. Il faut y joindre la tenacité des eaux, & les obstacles de différentes especes qui doivent en général retarder leur mouvement, & empêcher qu’elles ne le prennent tout-d’un-coup, & par conséquent qu’elles ne passent brusquement de l’état d’élévation à celui d’abaissement.

La lune passe au-dessus des rades orientales, avant que de passer au-dessus des rades occidentales : le flux doit donc arriver plûtôt aux premieres.

Le mouvement général de la mer entre les tropiques de l’est à l’oüest, est plus difficile à expliquer ; ce mouvement se prouve par la direction constante des corps qui nagent à la merci des flots. On observe de plus que, toutes choses d’ailleurs égales, la navigation vers l’occident est fort prompte, & le retour difficile, J’ai démontré dans mes recherches sur la cause des vents, qu’en effet cela doit être ainsi ; que l’action du soleil & celui de la lune doit mouvoir les eaux de l’Océan sous l’équateur d’orient en occident. Cette même action doit produire dans l’air un effet semblable ; & c’est-là, selon moi, une des principales causes des vents alisés. Voyez Alisé. Mais c’est-là un de ces phénomenes dont on ne peut rendre la raison sans avoir recours au calcul. Voyez donc l’ouvrage cité ; voyez aussi les articles Vent & Courant.

Si la lune restoit toûjours dans l’équateur, il est évident qu’elle seroit toûjours à 90 degrés du pole, & que par conséquent il n’y auroit au pole ni flux ni reflux : donc dans les endroits voisins des poles, le flux & le reflux seroit fort petit, & même tout-à-fait insensible, sur-tout si on considere que ces endroits opposent beaucoup d’obstacle au mouvement des eaux, tant par les glaces énormes qui y nagent, que par la disposition des terres. Or quoique la lune ne soit pas toûjours dans l’équateur, elle ne s’en éloigne que de 28 degrés : il ne faut donc point s’étonner que près des poles & à la latitude de 65 degrés, le flux & reflux ne soit pas sensible.

Supposons maintenant que la lune décrive pendant un jour un parallele à l’équateur, on voit 1°. que l’eau sera en repos au pole pendant ce jour, puisque la lune demeurera toûjours à la même distance du pole ; 2°. que si le lendemain la lune décrit un autre parallele, l’eau sera encore en repos au pole pendant ce jour-là, mais plus ou moins abaissée que le jour précédent, selon que la lune sera plus près ou plus loin du zénith ou du nadir des habitans du pole ; 3°. que si on prend un endroit quelconque entre la lune & le pole, la distance de la lune à cet endroit sera plus différente de 90 degrés en défaut, lorsque la lune passera au méridien au-dessus de cet endroit, que la distance de la lune à ce même endroit ne différera de 90 degrés en excès, lorsque la lune passera un méridien au-dessous de ce même endroit. Voilà pourquoi en général, en allant vers le pole boréal, les marées de dessus sont plus grandes quand la lune est dans l’hémisphere boréal, & celles de dessous plus petites ; & en s’avançant même plus loin vers le pole, il ne doit plus y avoir qu’un flux & qu’un reflux dans l’espace de 24 heures ; parce que quand la lune est au-dessous du méridien, elle n’est pas à beaucoup près à 180 degrés de l’endroit dont il s’agit, & qu’elle se trouve au contraire à une distance assez peu différente de 90 degrés, pour que les eaux doivent s’abaisser alors au

lieu de s’élever. Le calcul démontre évidemment toutes ces vérités, que nous ne pouvons ici qu’énoncer en général.

Comme il n’arrive que deux fois par mois que le soleil & la lune répondent au même point du ciel, ou à des points opposés, l’élévation des eaux (telle qu’on la trouve même en négligeant l’inertie) ne doit se faire pour l’ordinaire ni immédiatement sous la lune, ni immédiatement sous le soleil, mais dans un point milieu entre ces points ; ainsi quand la lune va des syzygies aux quadratures, c’est-à-dire lorsqu’elle n’est pas encore à 90 degrés du soleil, l’élévation la plus grande des eaux doit se faire plus au couchant de la lune ; c’est le contraire quand la lune va des quadratures aux syzygies. Donc dans le premier cas, le tems de la haute mer doit précéder les trois heures lunaires ; car d’un côté l’inertie des eaux donne l’élévation trois heures après le passage de la lune au méridien ; & d’un autre côté la position respective du soleil & de la lune donne cette élévation avant le passage de la lune au méridien. Au contraire, & par la même raison, dans le second cas, le tems de la haute marée doit arriver plûtard que les trois heures.

Les différentes marées qui dépendent des actions particulieres du soleil & de la lune, ne peuvent être distinguées les unes des autres, mais elles se confondent ensemble. La marée lunaire est changée tant soit peu par l’action du soleil, & ce changement varie chaque jour, à cause de l’inégalité qu’il y a entre le jour naturel & le jour lunaire. Voyez Jour.

Comme il arrive quelque retard aux marées par l’inertie & le balancement des eaux, qui conservent quelque tems l’impression qu’elles ont reçûe ; par la même raison les plus hautes marées n’arrivent pas précisément dans la conjonction & dans l’opposition de la lune, mais deux ou trois marées après : de même les plus petites marées ne doivent arriver qu’un peu après les quadratures.

Comme dans l’hyver le soleil est un peu plus près de la terre que dans l’été, on observe en général que les marées du solstice d’hyver sont plus grandes, toutes choses d’ailleurs égales, que celles du solstice d’été.

Voilà l’explication des principaux phénomenes du flux & du reflux ; les autres ont besoin du calcul, ou demandent quelques restrictions. C’est par le calcul qu’on peut prouver, 1°. que l’intervalle d’une marée à l’autre est le plus petit dans les syzygies, & le plus grand dans les quadratures : 2°. que dans les syzygies l’intervalle des marées est de 24 h. 35 min. & qu’ainsi les marées priment de 15 m. sur le mouvement de la lune : 3°. qu’au contraire dans les quadratures les marées retardent de 35 min. sur le mouvement de la lune ; voyez l’excellente piece de M. Daniel Bernoulli, sur le flux & reflux de la mer : 4°. que l’intervalle moyen entre deux marées consécutives, lequel intervalle est de 24 h. 50 min. arrive beaucoup plus près des quadratures que des syzygies ; ces différentes lois souffrent quelque altération, selon que la lune est apogée ou périgée. Ibid. ch. vj. & vij. 5°. Que les changemens dans la hauteur des marées sont fort petits, tant aux syzygies qu’aux quadratures ; cela doit être en effet, car les marées sont les plus grandes aux syzygies, & les plus petites aux quadratures : or quand des quantités passent par le maximum ou par le minimum, elles croissent ou décroissent pour l’ordinaire insensiblement avant & après l’instant où elles passent par cet état. Voyez Maximum & Minimum. 6°. Que les plus grands changemens dans la hauteur des marées se feront plus près des quadratures que des syzygies.

A l’égard des regles qu’on a établies sur les grandes marées des équinoxes, M. Euler dans ses savantes recherches sur le flux & reflux de la mer, observe