Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/898

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les pas inutiles qu’elles nous épargnent. Les méthodes qui les ont égarés, assez séduisantes pour les ébloüir, nous auroient trompés comme eux. Il étoit nécessaire qu’ils les tentassent, pour que nous en connussions les écueils. La difficulté est d’imaginer une autre méthode ; mais souvent cette difficulté consiste plus à bien choisir celle qu’on suivra, qu’à la suivre quand elle est bien choisie. Entre les différentes routes qui menent à une vérité, les unes présentent une entrée facile, ce sont celles où l’on se jette d’abord ; & si on ne rencontre des obstacles qu’après avoir parcouru un certain chemin, alors comme on ne consent qu’avec peine à avoir fait un travail inutile, on veut du moins paroître avoir surmonté ces obstacles, & on ne fait quelquefois que les éluder. D’autres routes au contraire ne présentent d’obstacles qu’à leur entrée, l’abord en peut être pénible ; mais ces obstacles une fois franchis, le reste du chemin est facile à parcourir.

Il faut convenir au reste que les géometres qui ont attaqué M. Newton sur la résistance des fluides, n’ont guere été plus heureux que lui. Les uns après avoir fondé sur le calcul une théorie assez vague, & avoir même crû que l’expérience leur étoit favorable, semblent ensuite avoir reconnu & l’insuffisance de leurs expériences mêmes, & le peu de solidité de leur théorie, pour lui en substituer une nouvelle aussi peu satisfaisante. Les autres reconnoissant de bonne-foi que leur théorie manquoit par les fondemens, nous ont donné, au lieu de vrais principes, beaucoup de calculs.

Ces considérations m’ont engagé à traiter cette matiere par une méthode entierement nouvelle, & sans rien emprunter de ceux qui m’ont précédé dans le même travail.

La théorie que j’expose dans mon ouvrage, ou plûtôt dont je donne l’essai, a ce me semble l’avantage de n’être appuyée sur aucune supposition arbitraire. Je suppose seulement, ce que personne ne peut me contester, qu’un fluide est un corps composé de particules très-petites, détachées, & capables de se mouvoir librement.

La résistance qu’un corps éprouve lorsqu’il en choque un autre, n’est à proprement parler que la quantité de mouvement qu’il perd. Lorsque le mouvement d’un corps est altéré, on peut regarder ce mouvement comme composé de celui que le corps aura dans l’instant suivant, & d’un autre qui est détruit. Il n’est pas difficile de conclure de-là, que toutes les lois de la communication du mouvement entre les corps, se réduisent aux lois de l’équilibre. C’est aussi à ce principe que j’ai réduit la solution de tous les problèmes de Dynamique dans le premier ouvrage que j’ai publié en 1743. J’ai eu fréquemment l’occasion d’en montrer la fécondité & la simplicité dans les différens traités que j’ai mis au jour depuis ; peut-être même ne seroit-il pas inutile pour nous éclairer jusqu’à un certain point sur la métaphysique de la percussion des corps, & sur les lois auxquelles elle est assujettie. V. Equilibre. Quoi qu’il en soit, ce principe s’applique naturellement à la résistance d’un corps dans un fluide ; c’est aussi aux lois de l’équilibre entre le fluide & le corps, que je réduis la recherche de cette résistance. Mais il ne faut pas s’imaginer que cette recherche, quoique très-facilitée par ce moyen, soit aussi simple que celle de la communication du mouvement entre deux corps solides. Supposons en effet que nous eussions l’avantage dont nous sommes privés, de connoître la figure & la disposition mutuelle des particules qui composent les fluides ; les lois de leur résistance & de leur action se réduiroient sans doute aux lois connues du mouvement : car la recherche du mouvement communiqué par un corps à un nombre quelconque de

corpuscules qui l’environnent, n’est qu’un problème de Dynamique, pour la résolution duquel on a tous les principes nécessaires. Cependant plus le nombre de corpuscules seroit grand, plus le problème deviendroit compliqué, & cette-méthode par conséquent ne seroit guere praticable dans la recherche de la résistance des fluides. Mais nous sommes même bien éloignés d’avoir toutes les données nécessaires, pour être à portée de faire usage d’une pareille méthode, comme il a déjà été dit. Non-seulement nous ignorons la figure & l’arrangement des parties des fluides, nous ignorons encore comment ces parties sont pressées par le corps, & comment elles se meuvent entr’elles. Il y a d’ailleurs une si grande différence entre le fluide & un amas de corpuscules solides, que les lois de la pression & de l’équilibre des solides sont très-différentes des lois de la pression & de l’équilibre des fluides ; l’expérience seule a pû nous instruire de ces dernieres lois, que la théorie la plus subtile n’eût jamais pû nous faire soupçonner : & aujourd’hui même que l’observation nous les a fait connoître, on n’a pû trouver encore d’hypothèse satisfaisante pour les expliquer, & pour les réduire aux principes connus de la statique des solides.

Cette ignorance n’a cependant pas empêché que l’on n’ait fait de grands progrès dans l’Hydrostatique ; car les Philosophes ne pouvant déduire immédiatement & directement de la nature des fluides les lois de leur équilibre, ils les ont au moins réduites à un seul principe d’expérience, l’égalité de pression en tout fins ; principe qu’ils ont regardé (faute de mieux) comme la propriété fondamentale des fluides, & celle dont il falloit déduire toutes les autres. En effet condamnés comme nous le sommes, à ignorer les premieres propriétés & la contexture intérieure des corps, la seule ressource qui reste à notre sagacité, c’est de tâcher au moins de saisir dans chaque matiere l’analogie des phénomenes, & de les rappeller tous à un petit nombre de faits primitifs & fondamentaux. La nature est une machine immense, dont les ressorts principaux nous sont cachés : nous ne voyons même cette machine qu’à-travers un voile qui nous dérobe le jeu des parties les plus délicates. Entre les parties les plus frappantes que ce voile nous laisse appercevoir, il en est quelques-unes qu’un même ressort met en mouvement, & ce méchanisme est ce que nous devons principalement chercher à démêler.

Ne pouvant donc nous flater de déduire de la nature même des fluides, la théorie de leur résistance & de leur action, bornons-nous à la tirer, s’il est possible, des lois hydrostatiques, qui sont depuis long-tems bien constatées. La découverte purement expérimentale de ces lois supplée en quelque sorte à celle de la figure & de la disposition des parties des fluides, & peut-être rend le problème plus simple, que si pour le resoudre nous étions bornés à cette derniere connoissance ; il ne s’agit plus que de développer par quel moyen les lois de la résistance des fluides, peuvent se déduire des lois de l’Hydrostatique. Mais ce détail demande une assez longue suite de propositions, dont je ne pourrois présenter ici qu’une esquisse fort imparfaite. Voy. Résistance. Je me contenterai de dire, que voulant démontrer tout en rigueur, j’ai trouvé dans les propositions même les plus simples, plus de difficultés qu’on n’auroit dû en soupçonner, & que ce n’a pas été sans peine que je suis parvenu à démontrer sur cette matiere les vérités les plus généralement connues, & les moins rigoureusement prouvées jusqu’ici. Mais après avoir pour ainsi dire sacrifié à la sûreté des principes la facilité dû calcul, je devois naturellement m’attendre que l’application du calcul à ces mêmes principes seroit fort pénible ; & c’est aussi ce qui m’est arrivé : je ne voudrois pas même assûrer que du moins