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FLAGELLANS, s. m. pl. (Hist. mod.) nom qui fut donné dans le treizieme siecle à certains pénitens qui faisoient profession de se discipliner en public aux yeux de tout le monde.

Les auteurs s’accordent assez à mettre le commencement de la secte des Flagellans vers l’an 1260, & la premiere scene à Pérouse. Un certain Rainier, dominicain, touché des maux de l’Italie déchirée par les factions des Guelphes & des Gibelins, imagina cette sorte de pénitence pour desarmer la colere de Dieu. Les sectateurs de ce dominicain alloient en procession de ville en ville & de village en village, le corps nud depuis la ceinture jusqu’à la tête, qui étoit couverte d’une espece de capuchon. Ils portoient une croix d’une main, & de l’autre un foüet composé de cordes noüeuses & semées de pointes, dont ils se foüettoient avec tant de rigueur, que le sang découloit sur leurs épaules. Cette troupe de gens étoit précédée de plusieurs prêtres, montrant tous l’exemple d’une flagellation qui n’étoit que trop bien imitée.

Cependant la fougue de ce zele insensé commençoit à tomber entierement, quand la peste qui parut en 1348, & qui emporta une prodigieuse quantité de personnes, réveilla la piété, & fit renaître avec violence le fanatisme des Flagellans, qui pour lors passa de la folie jusqu’au brigandage, & se répandit dans presque toute l’Europe. Ceux-ci faisoient profession de se foüetter deux fois le jour & une fois chaque nuit ; après quoi ils se prosternoient en terre en forme de croix, & crioient miséricorde. Ils prétendoient que leurs flagellations unissoient si bien leur sang à celui de Jesus-Christ, qu’au bout de 34 jours ils gagnoient le pardon de tous leurs péchés, sans qu’ils eussent besoin de bonnes œuvres, ni de s’approcher des sacremens. Ils se porterent enfin à exciter des séditions, des meurtres & des pillages.

Le roi Philippe de Valois empêcha cette secte de s’établir en France ; Gerson écrivit contre, & Clément VI. défendit expressément toutes flagellations publiques : en un mot, les princes par leurs édits, & les prélats par leurs censures, tâcherent de réprimer cette dangereuse & criminelle manie. Voyez Sigonius, liv. XIX. de regno ital. Sponde, annal. ecclés. A. C. 1260, 1349 ; le continuateur de Guillaume de Nangis, &c.

Tout le monde connoît aussi l’histoire latine des Flagellans, historia Flagellantium, imprimée à Paris en 1700, & composée par Jacques Boileau, chanoine de la Sainte-chapelle, mort en 1716. Si ce docteur de Sorbonne ne s’étoit attaché qu’à condamner la secte des Flagellans, & même à justifier que l’usage de la discipline particuliere s’est établi dans le xj. siecle, ou du moins qu’elle n’étoit pas connue dans les siecles antérieurs, excepté pour punir les moines qui avoient péché, on pourroit embrasser ou défendre son opinion ; mais on doit justement blâmer les descriptions trop libres semées dans son ouvrage, qui ne convenoient point à son caractere, & qui ne peuvent produire aucun bon effet.

Au reste on voit encore en Italie, à Avignon, & dans plusieurs lieux de la Provence, des ordres de pénitens qui sont obligés par leurs instituts de se foüetter en public ou en particulier, & qui croyent honorer la divinité en exerçant sur eux-mêmes une sorte de barbarie ; fanatisme pareil à celui de quelques prêtres parmi les Gentils, qui se déchiroient le corps pour se rendre les dieux favorables. Il faut espérer que l’esprit de philosophie & de raison qui regne dans ce siecle, pourra contribuer à détruire les restes d’une triste manie, qui loin d’être agréable à Dieu, fait injure à sa bonté, à sa sagesse, à toutes ses perfections, & deshonore l’humanité. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

* FLAGELLATION, s. f. (Hist. anc.) punition par le foüet. Elle fut en usage chez les Juifs. On l’encouroit facilement, elle ne deshonoroit pas. On la subissoit dans la synagogue. Le pénitent étoit attaché à un pilier, les épaules nues. La loi ordonnoit quarante coups, que l’on réduisoit à treize coups d’un foüet à trois courroies. Le prénitent étoit censé recevoir trois coups à-la-fois, & on lui faisoit grace du quarantieme coup, ou du quatorzieme. On aimoit mieux qu’il eût un coup de moins que deux coups de trop. Il falloit à cette espece de discipline la présence de trois juges : l’un lisoit les paroles de la loi ; le second comptoit les coups ; le troisieme encourageoit l’exécuteur, qui étoit communément le prêtre de la semaine.

La flagellation fut aussi commune chez les Grecs & les Romains. C’étoit un supplice plus cruel que la fustigation. On flagelloit d’abord ceux qui devoient être crucifiés ; mais on ne crucifioit pas tous ceux qui étoient flagellés. On attachoit à une colonne dans les palais de la justice, ou l’on promenoit dans les cirques, les patiens qui étoient condamnés à la flagellation. Il étoit plus honteux d’être flagellé que battu de verges. Les foüets étoient quelquefois armés d’os de piés de mouton : alors le patient expiroit communément sous les coups. On appelloit ces foüets, flagella talaria.

Flagellation, (Hist. ecclés. & Philos.) peine du foüet ou de la discipline que se donnent ou que se donnoient autrefois des pénitens. Voyez Discipline & Flagellans.

On trouve dès l’an 508 la flagellation établie comme peine contre les religieuses indociles, dans une regle donnée par S. Césaire d’Arles. Depuis ce tems elle a été établie comme peine dans plusieurs autres regles monastiques ; mais on ne voit pas d’exemples de la flagellation volontaire avant le xj. siecle : les premiers sont de S. Gui, abbé de Pomposie, mort en 1040 ; & de S. Poppon, abbé de Stavelles, mort en 1048. Les moines du Mont-Cassin avoient embrassé cette pratique avec le jeûne du vendredi, à l’exemple de Pierre Damien. A leur exemple cette dévotion s’étendit beaucoup ; mais comme elle trouva quelques opposans (ce qui n’est pas difficile à croire), Pierre Damien écrivit en sa faveur. M. Fleury, dans son histoire de l’Eglise, nous a donné l’extrait de l’écrit de ce pieux auteur ; écrit dans lequel, selon la remarque de M. Fleury lui-même, il ne faut pas chercher la justesse du raisonnement.

Celui qui s’est le plus distingué dans la flagellation volontaire, a été S. Dominique l’Encuirassé, ainsi nommé d’une chemise de mailles qu’il portoit toûjours, & qu’il n’ôtoit que pour se flageller à toute outrance. On ne sera pas étonné de ce qu’ajoûte M. Fleury, que sa peau étoit devenue noire comme celle d’un negre. Ce bienheureux se foüettoit non-seulement pour lui, mais pour les autres. On croyoit alors que vingt pseautiers récités en se donnant la discipline, acquittoient cent ans de pénitence ; car trois mille coups valoient un an, & on comptoit mille coups pour dix pseaumes S. Dominique acquittoit facilement cette dette en six jours ; ainsi en un an il pouvoit, selon son calcul, sauver soixante ames de l’enfer. Mais M. Fleury ne dissimule pas combien on étoit alors dans l’erreur sur ce sujet, & combien toute cette flagellation a contribué au relâchement des mœurs. (O)

Flagellation se dit plus particulierement de la souffrance de J. C. lorsqu’il fut foüetté & flagellé par les Juifs.

Un tableau de la flagellation, ou simplement une flagellation, signifie un tableau ou une estampe qui représente ce tourment du Sauveur du monde. On dit dans ce sens, la flagellation d’un tel peintre.