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prononcer, fait changer en forte la douce qui la précede ; il y a en grec de fréquens exemples de ces changemens qui sont amenés par le méchanisme des organes : c’est ainsi qu’en latin on dit alloqui au lieu d’ad-loqui ; irruere pour in-ruere, &c.

De même la vûe de l’esprit tourné vers un certain mot, fait souvent donner une terminaison semblable à un autre mot qui a relation à celui-là : c’est ainsi qu’Horace, dans l’Art poétique, a dit, mediocribus esse poëtis, où l’on voit que mediocribus est attiré par poëtis.

On peut joindre à ces figures l’archaïsme, ἀρχαϊσμὸς, façon de parler à l’imitation des anciens ; ἀρχαῖος, antiquus : c’est ainsi que Virgile a dit, olli subridens pour illi ; & c’est ainsi que nos poëtes, pour plus de naïveté, imitent quelquefois Marot.

Le contraire de l’archaïsme c’est le néologisme, c’est-à-dire façon de parler nouvelle : nous avons un Dictionnaire néologique, composé par un critique connu, contre certains auteurs modernes, qui veulent introduire des mots nouveaux & des façons de parler nouvelles & affectées, qui ne sont pas consacrées par le bon usage, & que nos bons écrivains évitent. Ce mot vient de deux mots grecs, νέος, novus, & λόγος, sermo.

Il y a quelques autres figures qu’il n’est utile de connoître, que parce qu’on en trouve souvent les noms dans les commentateurs ; mais on doit les réduire à celles dont nous venons de parler. En voici quelques unes qu’on doit rapporter à l’hyperbate.

L’anastrophe, ἀναστρωφᾶν, convertere, στρέφω, verto ; l’anastrophe est le renversement des mots, comme mecum, tecum, vobiscum ; au lieu de cum me, cum te, cum vobis ; quam ob rem, au lieu de ob quam rem ; his accensa super, Virgile, Æneïd. l. I. v. 23. pour accensa super his. Robertson, dans le supplément de son Dictionnaire, lettre A, dit ἀναστροφὴ inversio, præpostera rerum seu verborum collocatio.

2. Tmesis, R. τμήσω, futur premier du verbe inusité τμάω, seco, je coupe : il y a tmésis lorsqu’un mot est coupé en deux : c’est ainsi que Virgile, au lieu de dire subjecta septemtrioni, a dit septem subjecta trioni. Georg. l. III. v. 381. & au liv. VIII. de l’Æneïd. v. 74, il a dit quo te cunque pour quocumque te, &c. quando consumet cunque, pour quando quocunque consumet. Il y a plusieurs exemples pareils dans Horace & ailleurs.

3. La parenthèse est aussi considérée comme causant une espece d’hyperbate, parce que la parenthèse est un sens à part, inséré dans un autre dont il interrompt la suite ; ce mot vient de παρὰ qui entre en composition, de ἐν, in, & de τίθημι), pono. Il y a dans l’opéra d’Armide une parenthèse célebre, en ce que le musicien l’a observée aussi dans le chant.

Le vainqueur de Renaud (si quelqu’un le peut être)
Sera digne de moi.

On doit éviter les parenthèses trop longues, & les placer de façon qu’elles ne rendent point la phrase louche, & qu’elles n’empêchent pas l’esprit d’appercevoir la suite des correlatifs.

4. Synchysis, c’est lorsque tout l’ordre de la construction est confondu, comme dans ce vers de Virgile, que nous avons déjà cité.

Aret ager ; vitio, moriens, sitit, aëris, herba.


Et encore

Saxa, vocant Itali, mediis quæ in fluctibus, aras.


c’est-à-dire, Itali vocant aras illa saxa quæ sunt in mediis fluctibus. Il n’est que trop aisé de trouver des exemples de cette figure. Au reste, synchysis est purement grec, σύγχυσις, & signifie confusion, συγχέω, confundo. Faber dit que synchysis est ordo dictionum confusior, & que Donat l’appelle hyperbate : en voici encore un exemple tiré d’Horace, I. sat. 5. v. 49.

Namque pilâ lippis inimicum & ludere crudis.


l’ordre est ludere pilâ est inimicum lippis & crudis, « le jeu de paume est contraire à ceux qui ont mal aux yeux, & à ceux qui ont mal à l’estomac ».

Voici une cinquieme sorte d’hyperbate, qu’on appelle anacholuthon, ἀνακόλουθον, quand ce qui suit n’est pas lié avec ce qui précede ; c’est plûtôt un vice, dit Erasme, qu’une figure : vitium orationis quando non redditur quod superioribus respondeat. Il doit y avoir entre les parties d’une période, une certaine suite & un certain rapport grammatical qui est nécessaire pour la netteté du style, & une certaine correspondance que l’esprit du lecteur attend, comme entre tot & quot, tantum & quantum, tel & quel, quoique, cependant, &c. Quand ce rapport ne se trouve point, c’est un anacoluthon ; en voici deux exemples tirés de Virgile.

Sed tamen idem olim curru succedere sueti.

Æn. l. III. v. 141.

C’est un anacoluthon, dit Servius ; car tamen n’est pas précédé de quamquàm : anacoluthon, nam quamquam non præmisit ; & au l. II. v. 331. on trouve quot sans tot.

Millia quot magnis nunquam venere Mycænis.


ce qui fait dire encore à Servius que c’est un anacoluthon, & qu’il faut suppléer tot, tot millia.

Ce mot vient 1o . d’ἀκόλουθος, comes, ἀκόλουθον, consectarium, qui suit, qui accompagne, qui est apparié ; 2o . à ἀκόλουθον on ajoûte l’α) privatif, suivi du ν euphonique, qui n’est que pour empêcher le bâillement entre les deux à, ἀ ἀκόλουθος, comme nous ajoûtons le t entre dira-on, dira-t-on.

Voici deux autres figures qui n’en méritent pas le nom, mais que nous croyons devoir expliquer, parce que les Commentateurs & les Grammairiens en font souvent mention : par exemple, lorsque Virgile fait dire à Didon urbem quam statuo vestra est, I. Æn. v. 573. les Commentateurs disent que cela est un exemple incontestable de la figure qu’ils appellent antiptose, du grec, ἀντὶ, pro, qui entre en composition, & de πτῶσις, casus ; ensorte que c’est-là un cas pour un autre : Virgile, disent-ils, a dit urbem pour urbs par antiptose ; c’est une ancienne figure, dit Servius ; c’est ainsi, ajoûte-t-il, que Caton a dit agrum, quem vir habet tollitur ; agrum au lieu d’ager ; & Terence, eunuchum quem dedisti nobis quas turbas dedit, où eunuchum est visiblement au lieu d’eunuchus. Terent. Eun. act. IV. sc. iij. v. 11.

Les jeunes gens qui apprennent le latin, ne devroient pas ignorer cette belle figure ; elle seroit pour eux d’une grande ressource. Quand on les blâmeroit d’avoir mis un cas pour un autre, l’autorité de Despautere qui dit que antiptosis fit per omnes casus, & qui en cite des exemples dans sa Syntaxe, p. 221. cette autorité, dis-je, seroit pour eux une excuse sans replique.

Mais qui ne voit que si ces changemens avoient été permis arbitrairement aux anciens, toutes les regles de la Grammaire seroient devenues inutiles ? V. la méthode latine de P. R. page 562.

C’est pourquoi les Grammairiens analogistes, qui font usage de leur raison, rejettent l’antiptose, & expliquent plus raisonnablement les exemples qu’on en donne : ainsi à l’égard de eunuchum quem dedisti, &c. il faut suppléer, dit Donat, is eunuchus ; Pythias a dit eunuchum quem, parce qu’elle avoit dans l’esprit dedisti eunuchum ; enim ad dedisti verbum retulit, dit Donat. Il y a deux propositions dans tous ces exemples ; il doit donc y avoir deux nominatifs : si l’un n’est pas exprimé, il faut le suppléer, parce qu’il est réellement dans le sens ; & puisqu’il n’est pas dans la phrase, il faut le tirer du dehors, dit Donat, assumendum extrinsecùs, pour faire la construction pleine : ainsi