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à-peu-près comme celui dont le corps est gêné dans un endroit, cherche continuellement une place qui le satisfasse.

La métaphore paroît dûe évidemment à la grossiereté de la conception, de même que le pléonasme tire son origine du manque de mots. Les premiers hommes étant simples, grossiers & plongés dans les sens, ne pouvoient exprimer leur conception des idées abstraites, & les opérations réfléchies de l’entendement, qu’à l’aide des images sensibles, qui, au moyen de cette application, devenoient métaphores.

Telle est l’origine des figures ; & la chose est si vraie, que quiconque voudra faire attention au peuple dans son langage, il le verra presque toûjours porté à parler figurément. Ces expressions, une maison triste, une campagne riante, le froid d’un discours, le feu des yeux, sont dans la bouche de ceux qui courent le moins après les métaphores, & qui ne savent pas même ce que c’est qu’une métaphore.

Nous parlons naturellement un langage figuré, lorsque nous sommes animés d’une violente passion. Quand il est de notre intérêt de persuader aux autres ce que nous pensons, & de faire sur eux une impression pareille à celle dont nous sommes frappés, la nature nous dicte & nous inspire son langage : alors toutes les figures de l’art oratoire, que les Rhéteurs ont revêtu de tant de noms pompeux, ne sont que des façons de parler très-communes, que nous prodiguons sans aucune connoissance de la Rhétorique ; ainsi le langage figuré n’est que le langage de la simple nature, appliqué aux circonstances où nous le devons parler.

Dans le trouble d’une passion violente, il s’éleve en nous un nuage qui nous fait paroître les objets, non tels qu’ils sont en effet, mais tels que nous les voulons voir ; c’est-à-dire ou plus grands & plus admirables, ou plus petits & plus méprisables, suivant que nous sommes emportés par l’amour ou par la haine. Quand l’amour nous anime, tout est merveilleux à nos yeux ; & tout devient horreur quand la haine nous transporte. Nous voulons intéresser à notre cause tous les êtres éloignés, présens, absens, sensibles ou inanimés ; & comme nos connoissances ont enrichi nos langues, nous appellons ces êtres en grand nombre, nous leur parlons, & nous les comparons ensemble, par l’habitude où nous sommes de juger de tout par comparaison. A ces mouvemens divers, qui se succedent rapidement & sans ordre, répond un discours plein de ces tours qu’on nomme hyperboles, similitudes, prosopopées, hyperbates, c’est-à-dire plein de toutes les figures, soit de mots, soit de pensées. Ce langage nous est utile, parce qu’il est propre à persuader les autres ; il est propre à les persuader, parce qu’il leur plaît ; il leur plaît, parce qu’il les échauffe & les remue, en ne leur présentant que des peintures vivantes, & leur donnant le plaisir de juger de la vérité des images : ainsi c’est dans la nature qu’on doit chercher l’origine du style figuré ; & dans l’imitation, la source du plaisir qu’il nous cause.

Pourquoi les mêmes pensées nous paroissent-elles beaucoup plus vives quand elles sont exprimées par une figure, que si elles étoient enfermées dans des expressions toutes simples ? Cela vient de ce que les expressions figurées marquent, outre la chose dont il s’agit, le mouvement & la passion de celui qui parle, & impriment ainsi l’une & l’autre idée dans l’esprit ; au lieu que l’expression simple ne marque que la vérité toute nue. Par exemple, si ce demi-vers de Virgile, usque adeò ne mori miserum ? étoit exprimé sans figure, de cette sorte, non est usque adeò mori miserum, il auroit sans doute beaucoup moins de force. La raison est que la premiere construction signifie beaucoup

plus que la seconde ; car elle exprime non-seulement cette pensée, que la mort n’est pas un si grand mal que l’on s’imagine, mais elle représente de plus l’idée d’une personne qui se roidit contre la mort, & qui l’envisage sans effroi ; image beaucoup plus vive que n’est la pensée même à laquelle elle est jointe : il n’est donc pas étrange qu’elle frappe davantage, parce que l’ame s’instruit par les images des vérités, mais elle ne s’émeut guere que par l’image des mouvemens.

Au reste les figures, après avoir tiré leur premiere origine de la nature, des bornes d’un langage simple, & de la grossiereté des conceptions, ont contribué dans la suite à l’ornement du discours, de même que les habits, qu’on a cherché d’abord par la nécessité de se couvrir, ont avec le tems servi de parure. La conduite de l’homme a toûjours été de changer ses besoins & ses nécessités en parade & en luxe, toutes les fois qu’il a pû le faire. Les figures devinrent l’ornement du discours, quand les hommes eurent acquis des connoissances assez étendues des Arts & des Sciences, pour en tirer des images qui, sans nuire à la clarté, étoient aussi riantes, aussi nobles, aussi sublimes que la matiere le demandoit. Enfin, comme on abuse de tout, on crut trouver de grandes beautés à surcharger le style d’ornemens ; pour lors le fonds ne devint plus que l’accessoire, & l’art tomba dans la décadence.

Il est certain néanmoins que l’emploi des figures bien ménagé, décore le discours, l’anime, le soûtient, lui donne de l’élévation, touche le cœur, réveille l’esprit, l’ébranle & le frappe vivement. La Poésie sur-tout est en possession de s’en servir, elle a droit d’en étendre l’usage plus loin que la prose ; elle peut enfin personnifier noblement les choses inanimées. Aristote, Cicéron, Quintilien, Longin ; &, pour nommer encore de plus grands maîtres, le goût & le génie, vous apprendront l’art de placer les figures, de les diversifier, de les multiplier à-propos, de les cacher, de les négliger, de les omettre, &c. Tout cela n’est point de mon sujet ; je me contenterai seulement de remarquer que comme les figures signifient ordinairement avec les choses, les mouvemens que nous ressentons en les recevant & en parlant, on peut juger assez bien par cette regle générale, de l’usage que l’on doit en faire, & des sujets auxquels elles sont propres. Il est visible qu’il est ridicule de s’en servir dans les matieres que l’on regarde d’un œil tranquille, & qui ne produisent aucun mouvement dans l’esprit ; car puisque les figures expriment les mouvemens de notre ame, celles que l’on met dans les sujets où l’ame ne s’émeut point, sont des mouvemens contre nature, & des especes de convulsions. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Figure, terme de Rhétorique, de Logique & de Grammaire. Ce mot vient de fingere, dans le sens d’efformare, componere, former, disposer, arranger. C’est dans ce sens que Scaliger dit que la figure n’est autre chose qu’une disposition particuliere d’un ou de plusieurs mots : nihil aliud est figura quàm termini aut terminorum dispositio. Scal. exercit. lxj. c. j. A quoi on peut ajoûter, 1°. que cette disposition particuliere est relative à l’état primitif & pour ainsi dire fondamental des mots ou des phrases. Les différens écarts que l’on fait dans cet état primitif, & les différentes altérations qu’on y apporte, font les différentes figures de mots & de pensées. C’est ainsi qu’en Grammaire les divers modes & les différens tems des verbes supposent toûjours le thème du verbe, c’est-à-dire la premiere personne de l’indicatif ; τύπτω est le thème de ce verbe. Ainsi les mots & les phrases sont pris dans leur état simple, lorsqu’on les prend selon leur premiere destination, & qu’on ne leur donne aucun de ces tours ou caracteres singuliers qui s’éloi-