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l’aberration des étoiles, que M. Picard ne connoissoit pas, comme aussi à la précession & à la réfraction, que cet astronome avoit négligées. Par ce moyen le degré de 57060 toises, déterminé par M. Picard, se réduisit à 56925 toises, plus court que celui de Lapponie de 513 toises.

En supposant que le méridien de la Terre soit une ellipse peu différente d’un cercle, on sait par la Géométrie que l’accroissement des degrés, en allant de l’équateur vers le pole, doit être sensiblement proportionnel aux quarrés des sinus de latitude. De plus la même Géométrie démontre que si on a dans un méridien elliptique la valeur de deux degrés à des latitudes connues, on aura le rapport des axes de la Terre par une formule très-simple. En effet, si on nomme E, F la longueur de deux degrés mesurés à des latitudes dont les sinus soient s & s, on aura pour la différence des axes . M. de Maupertuis a donné cette formule dans les mémoires de l’Académie de 1737, & dans son livre de la figure de la Terre déterminée, & il est très facile de la trouver par différentes méthodes. Si le degré F est sous l’équateur, on a s=0, & la formule devient plus simple, se réduisant à . MM. les académiciens du Nord appliquant à cette formule les mesures du degré en Lapponie & en France, trouverent que le rapport de l’axe de la Terre au diametre de l’équateur, étoit 173 à 174 ; ce qui ne s’éloignoit pas extrèmement du rapport de 229 à 230 donné par M. Newton, surtout en supposant des erreurs inévitables dans la mesure du degré. Il n’est pas inutile de remarquer que MM. les académiciens du Nord avoient négligé environ 1″ pour la réfraction dans l’amplitude de leur arc céleste. Cette petite correction étant faite, le degré de Lapponie devoit être diminué de 16 toises, & se réduisoit à 57422 ; mais le rapport de l’axe au diametre de l’équateur demeuroit toûjours sensiblement le même, celui de 173 à 174. Suivant les mesures de M. Cassini, la Terre étoit un sphéroïde alongé, dont l’axe surpassoit le diametre de l’équateur d’environ . Le degré de Lapponie devoit être, dans cette hypothèse, d’environ 1000 toises plus petit que ne l’avoient trouvé les académiciens du Nord ; erreur dans laquelle on ne pouvoit les soupçonner d’être tombés.

Les partisans de l’alongement de la Terre firent d’abord toutes les objections qu’il étoit possible d’imaginer contre les opérations sur lesquelles étoit appuyée la mesure du Nord. On crut, dit un auteur moderne, qu’il y alloit de l’honneur de la nation à ne pas laisser donner à la Terre une figure étrangere, une figure imaginée par un Anglois & un Hollandois, à-peu-près comme on a crû long-tems l’honneur de la nation intéressé à défendre les tourbillons & la matiere subtile, & à proscrire la gravitation Newtonienne. Paris, & l’Académie même, se divisa entre les deux partis : enfin la mesure du Nord fut victorieuse ; & ses adversaires en furent si convaincus, qu’ils demanderent qu’on mesurât une seconde fois les degrés du méridien dans toute l’étendue de la France. L’opération fut faite plus exactement que la premiere fois, l’Astronomie s’étant perfectionnée beaucoup dans l’intervalle des deux mesures : on s’assûra en 1740 que les degrés alloient en augmentant du midi au nord, & par conséquent la Terre se retrouva applatie. C’est ce qu’on peut voir dans le livre qui a pour titre, la méridienne vérifiée dans toute l’étendue du royaume, &c. par M. Cassini de Thury, fils de M. Cassini, & aujourd’hui pensionnaire & astronome de l’académie des Sciences. Paris, 1744. Il faut pourtant remarquer, pour plus d’exactitude dans ce récit, que les degrés de France n’alloient pas tous & sans

exception en diminuant du nord au sud, mais cela étoit vrai du plus grand nombre ; & dans les degrés qui s’écartoient de cette loi la différence étoit si excessivement petite, qu’on pouvoit & qu’on devoit l’attribuer toute entiere aux erreurs inévitables de l’observation.

Il est nécessaire d’ajouter que les académiciens du Nord de retour à Paris, crurent en 1739 qu’il étoit nécessaire de faire quelques corrections au degré de M. Picard, qu’ils avoient déjà réduit à 56925 toises. Voici quelle étoit leur raison. La mesure de ce degré en général dépend, comme on l’a déjà dit, de deux observations, celle de la différence entre les hauteurs d’une étoile observées aux deux extrémités du degré, & celle de la distance géographique entre les paralleles tracés aux deux extrémités du degré. On ne doutoit point que cette derniere distance n’eût été mesurée très-exactement par M. Picard ; mais on n’étoit pas aussi sûr de l’observation céleste : quelqu’exact que fût cet astronome, il ignoroit, ainsi qu’on l’a déjà remarqué, quelques mouvemens observés depuis dans les étoiles fixes ; il en avoit négligé quelques autres, ainsi que la réfraction : d’ailleurs les instrumens astronomiques modernes ont été portés à un degré de précision qu’ils n’avoient pas de son tems. On recommença donc l’observation de l’amplitude de l’arc céleste compris entre les deux extrémités du degré de Paris à Amiens ; & en conséquence au lieu de 57060 toises pour ce degré, on en trouva 57183 : ce degré nouveau, plus grand que M. Picard ne l’avoit trouvé, étoit toûjours beaucoup plus petit que celui du Nord, & l’applatissement de la Terre subsistoit : mais cet applatissement étoit un peu moindre que de 173 à 174 ; il étoit de 177 à 178, toûjours néanmoins dans l’hypothèse de la Terre elliptique.

En 1740, ceux qui avoient soûtenu d’abord l’alongement de la Terre, ayant eu occasion de vérifier la base qui avoit servi à la mesure de M. Picard, prétendirent que cette base étoit plus courte de près de six toises que M. Picard ne l’avoit trouvée ; & en conséquence admettant la correction faite à l’amplitude de l’arc de M. Picard par les académiciens du Nord, ils fixerent le degré de M. Picard à 57074 toises , à 14 toises près de la longueur que M. Picard lui avoit donnée ; ainsi les deux erreurs de M. Picard dans la mesure de la base & dans celle de l’arc céleste, formoient, selon eux, une espece de compensation.

Cependant plusieurs académiciens douterent encore que M. Picard se fût trompé sur sa base. M. de la Condamine nous paroît avoir très-bien traité cette matiere dans sa mesure des trois premiers degrés du méridien, art. xxjx. pag. 246. & suiv. Il ne croit point que l’erreur de M. Picard, si en effet il y en a une, vienne, comme le pense M. Bouguer, de ce que cet astronome avoit peut-être fait sa toise d’un trop courte : sa raison est que la longueur du pendule à Paris, déterminée par M. Picard, differe à peine de de ligne de celle que M. de Mairan a trouvée dans ces derniers tems. Cela posé, on ne sauroit douter que la toise des deux observateurs n’ait été exactement la même ; or la toise de M. de Mairan est aussi la même qui a servi à la mesure des degrés sous l’équateur & sous le cercle polaire, & la même qu’on a employée pour vérifier en 1740 la base de M. Picard. Mais d’un autre côté M. Cassini a vérifié cette base jusqu’à cinq fois, & en différens tems, & l’a toûjours trouvée plus courte de 6 toises que M. Picard. Plusieurs autres moyens directs & indirects, dont M. de la Condamine fait mention, ont été employés pour vérifier cette base, & on l’a toûjours trouvée plus courte de 6 toises. M. de la Condamine soupçonne que l’erreur de M. Picard ; s’il y