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attaquent les personnes sanguines-bilieuses, celles qui se nourrissent de mets fortement épicés, qui boivent une grande quantité de liqueurs mal fermentées, & qui tombent dans des passions violentes après de pareils excès. Le balancement d’un vaisseau suffit seul pour jetter tout-d’un-coup dans l’estomac une bile étrangere, porracée & érugineuse, sans qu’on ait guere pû jusqu’à ce jour expliquer ce phénomene. De plus, la jaunisse se répand dans tout le corps par la seule constriction des conduits biliaires qui aboutissent au duodenum ; & quelquefois de grands accès de colere suffisent pour former l’expulsion de la bile dans cet intestin, d’où elle passe dans la masse du sang, & y produit des symptomes terribles. La bile verdâtre épanchée aux environs du foie, dit Hippocrate, est la cause fréquente des fievres qui naissent dans l’intérieur du corps humain.

Enfin, comme la dépravation de la bile, les couleurs étrangeres de cette humeur, & la fievre qui en résulte, peuvent être produites par le spasme seul, qui est capable de pervertir en un moment les sucs bilieux les plus loüables, on doit être attentif à démêler si un tel état a causé le spasme, ou si le spasme a été la cause de cet état, afin de ne pas tirer de fausses inductions pour le prognostic, ou par rapport à la pratique.

Prognostics. Cette fievre, soit qu’elle procede du mouvement excessif, de la surabondance, ou de la qualité dépravée de la bile, menace la vie de péril, si l’on n’entreprend pas à tems d’y remédier par le secours de l’art ; car c’est ici que la nature en a un besoin indispensable, parce que la force & la durée de la fievre augmentent extrèmement les ravages de l’humeur bilieuse dont elle émane.

La plus heureuse tournure que cette fievre puisse prendre, est de se porter à une évacuation prompte & abondante de la matiere viciée, & d’y parvenir par le vomissement, plûtôt encore que par les selles. Quand les efforts pour vomir sont excessifs & avec peu d’effet, le malade ne manque guere d’éprouver un hoquet douloureux, des spasmes, & des défaillances qui en sont les suites. Quand au contraire les vomissemens sont aisés & abondans, que de plus la bile rejettée est d’une assez bonne qualité, on a raison d’espérer favorablement de l’issue de la maladie ; mais si le délire subsiste long-tems & avec violence, le péril est considérable ; il est extrème, si les douleurs, l’anxiété, l’oppression, la chaleur brûlante, sont tout-d’un-coup suivies de l’abattement des esprits, du froid & des convulsions.

Cure. La méthode curative doit tendre nécessairement à provoquer l’évacuation de la bile vicieuse, à adoucir son âcreté, à abattre la chaleur, & les symptomes qui en sont les effets.

On provoquera l’évacuation de la matiere morbifique par de doux vomitifs, tels que la camomille, le tartre stibié en petites doses souvent répetées, & l’on en continuera l’usage tant que l’on appercevra dans les évacuations une bile fort jaune, verte, brune ou sanguinolente. Si le flux de la bile se fait par la voie des selles, on l’aidera puissamment par les décoctions laxatives de pruneaux, ou autres, jusqu’à ce que l’évacuation de la bile morbifique ait été complete. Après les évacuations suffisantes par haut ou par bas, on calmera le mouvement antipéristaltique de l’estomac & des intestins, par des parégoriques ou des calmans.

On adoucira l’âcreté de la bile par les diluans nitrés, les sels neutres, les lubréfians, le petit-lait, les aigrelets, les émulsions legeres, acidulées, prises fréquemment, & modérément chaudes. Les absorbans qui ne sont pas astringens, mêlés avec le nitre, peuvent être quelquefois utiles.

On abattra la chaleur fébrile, & les symptomes

qui en dépendent, par l’usage des mêmes remedes. On arrêtera les gonflemens du ventricule après les vomissemens, en appliquant sur le creux de l’estomac des linges trempés dans de l’esprit-de-vin camphré. Enfin dans les spasmes, qui procedent uniquement de la mobilité des esprits, on usera d’anti-spasmodiques convenables.

Observations de pratique. Suivant les observations des praticiens éclairés, les huileux, les acres, les volatils & tous les échauffans, changent une fievre bilieuse en inflammatoire. Les sudorifiques portent la matiere morbifique dans le sang, & le privent de sa lymphe. La saignée, faite même au commencement de la maladie, ne convient cependant que dans les constitutions sanguines-pléthoriques, & lorsqu’on voit une grande raréfaction du sang qui circule dans les vaisseaux.

Les fievres bilieuses regnent beaucoup plus fréquemment dans les pays chauds que dans les pays froids : celles qu’on voit si communément dans les armées, y sont d’ordinaire épidémiques, & l’on ne doit pas s’en étonner ; la même nourriture, les mêmes mouvemens, & le même air qu’on respire, expliquent ce phénomene. L’on comprend par les mêmes raisons, que parmi des troupes perpétuellement exposées au soleil, à des marches forcées, & à des campemens dans toutes sortes de terreins, la bile se trouvant alors nécessairement en plus grande quantité, & plus acre que de coûtume, doit produire ces fievres bilieuses ce l’automne, qui emportent plus de monde que les batailles les plus sanglantes. M. Pringle en a fait un chapitre particulier dans ses observations su-les maladies d’armées, j’y renvoye le lecteur.

Fievre cacochymique, febris cacochymica, fievre lente, legere, intermittente ou remittente, d’ordinaire erratique, rarement continue quand elle est simple.

Elle a pour cause principale une abondance d’humeurs crûes, qui se sont corrompues par leur stagnation suivie de la chaleur.

Ceux que cette fievre attaque, éprouvent de fréquens frissons, suent beaucoup, rendent des urines jaunes, chargées, lesquelles déposent un sédiment considérable qui présage la guérison.

Il faut donc aider l’atténuation des humeurs cruës, procurer leur expulsion par les apéritifs & les laxatifs ; enfin fortifier le corps par l’exercice, les stomachiques & les corroborans. Voyez Cachexie.

Fievre catarrheuse, fievre secondaire ou symptomatique, par le secours de laquelle la nature, en augmentant le mouvement des solides & des fluides, s’efforce de corriger la qualité viciée de la lymphe, de se débarrasser de la surabondance de cette lymphe, & de la chasser hors du corps d’une maniere critique & salutaire.

Ses symptomes. Cette fievre attaque ordinairement le soir avec continuité ou rémission. Ses symptomes, quand elle est très-grave, sont des frissonnemens suivis de chaleur, un pouls fréquent & petit, l’enrouement, la pesanteur de tête plus foible que douloureuse, la lassitude par tout le corps, la soif, la difficulté d’avaler, le dégoût, une chaleur dans la gorge, un picotement dans le larynx ; un sommeil interrompu, suivi le matin d’engourdissement ; l’augmentation du pouls ; les urines enflammées, troubles, couvertes au-dessus d’une pellicule blanchâtre, & déposant au fond du vaisseau un sédiment briqueté. A ces symptomes succedent l’oppression, des sueurs nocturnes abondantes, des douleurs dans les hypochondres & dans les reins ; la strangurie, qui se termine par une évacuation critique & copieuse d’urine ; quelquefois des nausées, des vomissemens,