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l’Eglise il avoit violé le serment solennel dont il s’étoit lié envers elle, lorsqu’en recevant du pape Innocent III. l’investiture du royaume de Sicile, il s’étoit reconnu vassal lige du saint siége.

Les fiefs liges sont de deux sortes ; les uns primitifs & immédiats ; les autres subordinés, médiats & subalternes.

Les premiers, qui sont les plus anciens, relevent nuement du roi ; les autres relevent des vassaux de la couronne ou autres seigneurs particuliers, lesquels eurent aussi l’ambition d’avoir des vassaux liges, ce qui n’appartenoit pourtant régulierement qu’aux souverains : aussi les fiefs liges médiats & subalternes ne furent-ils point d’abord reçûs en Italie, & c’est sans doute la raison pour laquelle les auteurs des livres des fiefs n’en ont point parlé.

L’origine des fiefs liges, médiats & subordinés, n’est que de la fin du regne de Louis VII. dit le Jeune, & voici à quelle occasion l’usage en fut introduit. Henri II. roi d’Angleterre, prétendoit, du chef d’Eléonor de Guienne sa femme, que le comté de Toulouse lui appartenoit. Après de longues guerres, Raymond, comte de Toulouse, s’accorda avec Henri, roi d’Angleterre, en se rendant son vassal lige pour le duché de Guienne. Louis-le-Jeune ne put supporter qu’un duc de Guienne eût des vassaux liges, ce qu’il savoit n’appartenir qu’aux souverains. On apprend ces faits par l’épître 153. de Pierre de Blois. Le tempérament que l’on trouva pour terminer ce différend, fut que le comte de Toulouse demeureroit vassal lige du roi d’Angleterre, comme duc de Guienne, sauf & excepté néanmoins l’hommage lige qu’il devoit au roi de France. Voyez Catel, hist. de Toulouse, liv. II. ch. v.

Deux choses sont requises, suivant Dumolin, pour donner à un fief le caractere de fief lige ; savoir que dans la premiere investiture le fief soit qualifié lige ; & que le serment de fidélité soit fait au seigneur, pour le servir envers & contre tous, sans exception d’aucune personne.

Cette définition de Dumolin n’est pourtant pas bien exacte ; car les fiefs tenus immédiatement de la couronne, n’ont pas été d’abord qualifiés de fiefs liges par les premiers actes d’investiture ; & à l’égard des fiefs liges médiats & subordinés, le vassal ne doit pas y promettre au seigneur de le servir contre tous sans exception, le souverain doit toûjours être excepté.

L’obligation personnelle du vassal de servir son seigneur envers & contre tous, ne fut pas l’effet de l’hommage lige à l’égard des fiefs liges immédiats : car les vassaux de la couronne avoient toûjours été obligés tacitement à servir leur souverain, avant que la formule de l’hommage lige fût introduite ; & les formalités ajoûtées à cet hommage, qui le firent qualifier de lige, ne furent que des précautions établies pour assûrer & faciliter l’exécution de cette obligation personnelle, tant sur la personne du vassal & sur son fief, que sur tous ses autres biens.

Pour ce qui est des fiefs liges médiats & subordinés, auxquels l’obligation personnelle de servir le seigneur n’étoit pas de droit attachée, on eut soin de l’exprimer dans les premieres investitures ; il s’en trouve des exemples dans le livre des fiefs de l’évêché de Langres, dans plusieurs concessions de la fin du xiij. siecle : mais les hommages subséquens à la premiere investiture, ne reprenoient point nommément l’obligation personnelle de tous biens, étant suffisamment sous-entendue par la qualité de fief lige ou d’hommage lige.

Les obligations de l’hommage lige furent dans la suite des tems trouvées si onéreuses, que nombre de vassaux liges firent tous leurs efforts pour se soustraire à ces obligations.

C’est ainsi que malgré les hommages liges rendus pour le duché de Bretagne par Arthus I. à Philippe-Auguste, au mois de Juillet 1202 ; par Pierre de Dreux, dit Mauclere, tant au même Philippe-Auguste, le dimanche avant la Chandeleur 1212, qu’au roi S. Louis par le traité d’Angers de l’an 1231 ; & par Jean, dit le Roux, au même roi S. Louis en 1239, leurs successeurs au duché de Bretagne prétendirent ne devoir que l’hommage simple, & ne purent jamais être réduits à s’avoüer hommes & vassaux liges : nos rois se contenterent que l’hommage fût rendu tel qu’il avoit été fait par les précédens ducs de Bretagne. Les chanceliers de France firent des protestations à ce sujet ; les ducs en firent de leur part dans le même acte, comme on voit dans les fois & hommages des ducs de Bretagne, de 1366, 1381, 1403, 1445 & 1458.

Les historiens ont aussi remarqué qu’en 1329 Edoüard III. roi d’Angleterre, s’étant rendu en France pour porter l’hommage qu’il devoit à Philippe de Valois pour le duché de Guienne & comté de Ponthieu, refusa de le faire en qualité d’homme lige, alléguant qu’il ne devoit pas s’obliger plus étroitement que ses prédécesseurs. On reçut pour lors son hommage conçû en termes généraux, avec serment qu’il feroit dans la suite la foi en la même forme que ses prédécesseurs. Etant ensuite retourné en Angleterre, & ayant été informé qu’il devoit l’hommage lige, il en donna ses lettres, datées du 30 Mars 1331, par lesquelles il s’avoüoit homme lige du roi de France, en qualité de duc de Guienne, de pair de France, & de comte de Ponthieu.

Le jurisconsulte Jason, qui enseignoit à Padoue en 1486, dans son traité super usib. feudor. & Sainxon sur l’ancienne coûtume de Tours, remarquent tous deux n’avoir trouvé dans tout le droit qu’un seul texte touchant l’hommage lige ; savoir en la clémentine, appellée vulgairement pastoralis, qui est une sentence du pape Clément V. rendue en 1313, par laquelle il cassa & annulla le jugement que Henri VII. empereur, avoit prononcé contre Robert, roi de Sicile, fondée entr’autres moyens sur ce que Robert étant vassal lige de l’Eglise & du saint siége, à cause du royaume de Sicile, Henri n’avoit pû s’attribuer de jurisdiction sur lui, comme s’il eût été vassal de l’Empire, ni conséquemment le priver, comme il avoit fait, de son royaume.

Les livres des fiefs, ajoûtés au corps de Droit, contiennent aussi, comme on l’a déjà observé, un chapitre de feudo ligio.

Il faut encore joindre à ces textes, ceux des coûtumes qui parlent de fiefs liges, d’hommage lige, & de vassaux liges.

Il y avoit autrefois deux sortes d’hommage lige ; l’un où le vassal promettoit de servir son seigneur envers & contre tous, sans exception même du souverain, comme l’a remarqué Cujas, lib. II. feudor. tit. v. & lib. IV. tit. xxxj. sc. & xcjx. & suivant l’article 50. des établissemens de France, publiés par Chantereau ; & en son origine des fiefs, p. 16. & 17. L’autre sorte d’hommage lige étoit celui où le vassal, en s’obligeant de servir son seigneur contre tous, en exceptoit les autres seigneurs dont il étoit déjà homme lige. Il y en a plusieurs exemples dans les preuves des histoires des grandes maisons. Voyez aussi Chantereau, des fiefs, p. 15. & 16.

Les guerres privées que se faisoient autrefois les seigneurs entr’eux, dont quelques-uns osoient même faire la guerre à leur souverain, donnerent lieu aux arriere-fiefs liges & aux hommages liges dûs à d’autres seigneurs qu’au roi ; mais les guerres privées ayant été peu-à-peu abolies, l’hommage lige ne peut régulierement être dû qu’au roi : quand il est rendu aux ducs & autres grands seigneurs, on doit excepter le roi.