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infiniment nos connoissances sur cette matiere.

M. Willon a fait une heureuse application des propriétés de l’éther, découvertes par M. Newton, pour expliquer les phénomenes de l’électricité ; par la conformité qu’il trouve entre les propriétés connues de ce fluide & celles du fluide électrique, qu’il a déduites d’une infinité d’expériences. Il ne doute pas que le fluide électrique ne soit le même que celui qui cause la réfraction & la réflexion de la lumiere, la gravitation & toutes les grandes opérations de la nature. Nous allons exposer d’abord les propriétés générales du fluide électrique établies sur des expériences, & nous verrons ensuite quel usage il fait de l’éther pour rendre raison de tous ces phénomenes.

Lorsqu’on fait tourner rapidement par le moyen d’une roue, & que l’on frote un globe de verre dans le voisinage duquel est une barre de fer suspendue par des cordons de soie, on excite aussitôt le fluide électrique ; & on peut reconnoître sa présence par une étincelle qui sort de cette barre quand on en approche le doigt, par le bruit qu’elle fait entendre, & par la douleur qu’elle fait ressentir au bout du doigt ; enfin par les mouvemens d’attraction & de répulsion qu’on apperçoit dans tous les corps legers qui sont proche de la barre ou du globe.

Comme aucun de ces effets n’arriveroit si on n’avoit pas froté le globe, il est naturel de conclure que le frotement est nécessaire pour exciter le fluide électrique, & nous faire appercevoir ses effets.

Quand la barre est ainsi électrisée, si on y porte le doigt, un morceau de métal, ou tout autre corps non-électrique, on tire par l’explosion de l’étincelle presque tout le fluide dont elle a été chargée ; car on ne sauroit réitérer cette expérience sans froter de nouveau le globe : au lieu qu’en touchant à la barre avec du verre, de l’ambre, de la cire d’Espagne, de la résine ou de la soie, il ne se fait aucune explosion, qui cependant arrive ensuite, dès qu’on y porte le doigt.

De même une ou plusieurs personnes étant montées sur des gâteaux de résine, & communiquant avec des métaux d’une grande étendue en surface, suspendus par des cordons de soie ; si une de ces personnes touche & tient la barre dans sa main, tous ces corps recevront, comme la barre, le fluide électrique qu’élance le globe, & acquerront autour d’eux une atmosphere d’une densité uniforme ; elles attireront d’une égale distance des corps legers, & on pourra tirer des étincelles également fortes de tous les points de leur surface. Si les gâteaux de résine sont très-minces, les effets seront moins sensibles ; & il n’en arrivera aucun, s’il n’y a pas quelque corps naturellement électrique entre leurs piés & le plancher : d’où il est naturel de conclure que la matiere qui s’étend si uniformément sur tous ces corps, est vraiment fluide ; qu’elle passe bien plus difficilement au-travers du verre, de la résine & de la soie, quand ces corps ont une certaine épaisseur, que quand ils sont très-minces ; mais que ce fluide passe avec la plus grande facilité dans les métaux, dans les animaux, &c. & que par leur moyen il se répand dans la terre, à moins qu’il ne soit arrêté par quelque corps naturellement électrique.

Quand tout l’appareil, ainsi que l’homme qui tourne la roue, sont placés sur des gâteaux de résine, ou bien quand on met une plaque de verre bien épaisse entre le coussin & la table, les effets d’électricité sont presqu’insensibles, quoique l’on continue de tourner le globe & de le froter vivement ; au contraire ils ont lieu quand l’homme qui tourne pose seulement le bout du pié par terre : d’où l’on conclut facilement que le fluide électrique n’est pas produit par la machine ni par le globe, mais qu’il est pompé de la terre, & répandu dans la barre par le moyen de ces instrumens.

L’expérience a fait connoître qu’il se trouve naturellement dans tous les corps une quantité déterminée de fluide électrique, laquelle nous sommes les maîtres d’augmenter ou de diminuer à volonté. Ce n’est même que lorsque nous avons augmenté ou diminué dans un corps sa quantité naturelle de fluide électrique, que nous le jugeons électrisé ; & sans ces changemens, il n’attire ni ne repousse point les corps legers. On a une preuve de cette accumulation dans l’écartement qui arrive entre deux fils d’argent égaux, & suspendus à une barre de fer électrisée. Si le fluide que ces fils reçoivent de la barre, en sortoit à mesure qu’il y est apporté, ils devroient rester immobiles & ne jamais s’écarter ; & si ce fluide entre dans ces fils plus facilement qu’il n’en sort, il doit s’y accumuler : or on observe que ces fils s’écartent dès qu’ils ont reçû le fluide électrique ; & que cet écartement est plus ou moins considérable, suivant que le fluide est plus ou moins condensé dans la barre, & par conséquent dans les fils : ensorte que cet écartement peut assez bien nous représenter la densité du fluide électrique dans la barre & dans les corps qui lui communiquent. Car il faut remarquer que les effets d’attraction & de répulsion dépendent plus de la densité du fluide électrique, que de la quantité de ce même fluide : en voici la preuve. Soient deux globes de métal A & B, dont A ait trois piés de diametre, & B seulement trois pouces ; qu’ils soient posés chacun sur un gâteau de cire d’une épaisseur suffisante, & qu’ils reçoivent en même tems l’électricité d’une barre de fer suspendue par des soies, & que l’on puisse hausser ou baisser par le moyen des poulies ; la barre étant posée sur les globes, & ayant été électrisée, ces deux globes & la barre attireront les corps legers à-peu-près d’une égale distance. Enlevez promptement la barre, cette égalité de force attractive paroîtra encore en cet instant dans les deux globes, qui n’ont plus maintenant de communication ; mais peu-à-peu elle s’affoiblit dans le globe de trois pouces, tandis qu’elle reste long-tems sensible dans celui de trois piés : or au moment que la barre est enlevée, le fluide électrique se trouve d’une égale densité dans les deux globes, aussi opere-t-il des effets égaux ; cependant les quantités de matiere électrique répandues dans ces deux corps, sont bien inégales.

Quand on électrise le globe de métal de trois piés de diametre, suspendu à des cordons de soie, on éprouve que plus on introduit de fluide électrique dans ce corps, plus il résiste à en recevoir une nouvelle quantité, plus il s’échappe de ce corps avec impétuosité, lorsqu’on en approche le doigt ou tout autre corps non-électrique ; au lieu que cette quantité surabondante sort & se dissipe dans l’air d’une maniere insensible, & dans un espace de tems assez long, lorsque ce corps reste parfaitement isolé.

Le même globe étant électrisé & amené en contact avec un autre de même nature, de telle grandeur qu’on voudra, & qui ne soit point électrisé, partagera avec celui-ci le fluide électrique qu’il contient, de maniere qu’il se trouve d’une égale densité dans l’un & dans l’autre ; ensorte que si ce nouveau corps est infiniment grand par rapport au premier, les effets d’électricité seront presqu’insensibles dans tous les deux : c’est le cas des corps électrisés qu’on fait communiquer avec la terre.

Lorsqu’on électrise un fil-de-fer très-long, supporté par des cordons de soie, le fluide électrique s’élance d’une extrémité à l’autre avec une vîtesse si grande, qu’elle n’a point encore de mesure. En touchant à ce fil-de-fer avec le doigt aussi-tôt qu’il vient d’être électrisé, on retire avec la même vîtesse le fluide électrique accumulé dans toute son étendue ; & plus le fil-de-fer est long, plus l’explosion qui accompagne l’étincelle paroît forte.