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Si on suppose le prix d’achat des chevaux & celui des bœufs de moitié moins, c’est-à-dire chaque cheval à 150 livres, & le bœuf à 100 livres, on trouvera toûjours que la perte sur les bœufs surpassera dans la même proportion celle que l’on fait sur les chevaux.

Il y en a qui n’employent les bœufs que quelques années, c’est-à-dire jusqu’à l’âge le plus avantageux pour la vente.

Il y a des fermiers qui suivent le même usage pour les chevaux de labour, & qui les vendent plus qu’ils ne les achetent. Mais dans ces cas on fait travailler les bœufs & les chevaux avec ménagement, & il y a moins d’avantage pour la culture.

On dit que les chevaux sont plus sujets aux accidens & aux maladies que les bœufs ; c’est accorder beaucoup que de convenir qu’il y a trois fois plus de risque à cet égard pour les chevaux que pour les bœufs : ainsi par proportion, il y a le même danger pour douze bœufs que pour quatre chevaux.

Le desastre général que cause les maladies épidémiques des bœufs, est plus dangereux que les maladies particulieres des chevaux : on perd tous les bœufs, le travail cesse ; & si on ne peut pas réparer promptement cette perte, les terres restent incultes. Les bœufs, par rapport à la quantité qu’il en faut, coûtent pour l’achat une fois plus que les chevaux ; ainsi la perte est plus difficile à réparer. Les chevaux ne sont pas sujets, comme les bœufs, à ces maladies générales ; leurs maladies particulieres n’exposent pas le cultivateur à de si grands dangers.

On fait des dépenses pour le ferrage & le harnois des chevaux, qu’on ne fait pas pour les bœufs : mais il ne faut qu’un charretier pour labourer avec quatre chevaux, & il en faut plusieurs pour labourer avec douze bœufs. Ces frais de part & d’autre peuvent être estimés à-peu-près les mêmes.

Mais il y a un autre objet à considérer, c’est la nourriture : le préjugé est en faveur des bœufs. Pour le dissiper, il faut entrer dans le détail de quelque point d’agriculture, qu’il est nécessaire d’apprécier.

Les terres qu’on cultive avec des chevaux sont assolées par tiers : un tiers est ensemencé en blé, un tiers en avoine & autres grains qu’on seme après l’hyver, l’autre tiers est en jachere. Celles qu’on cultive avec les bœufs sont assolées par moitié : une moitié est ensemencée en blé, & l’autre est en jachere. On seme peu d’avoine & d’autres grains de Mars, parce qu’on n’en a pas besoin pour la nourriture des bœufs ; le même arpent de terre produit en six ans trois récoltes de blé, & reste alternativement trois années en repos : au lieu que par la culture des chevaux, le même arpent de terre ne produit en six ans que deux récoltes en blé ; mais il fournit aussi deux récoltes de grains de Mars, & il n’est que deux années en repos pendant six ans.

La récolte en blé est plus profitable, parce que les chevaux consomment pour leur nourriture une partie des grains de Mars : or on a en six années une récolte en blé de plus par la culture des bœufs, que par la culture des chevaux ; d’où il semble que la culture qui se fait avec les bœufs, est à cet égard plus avantageuse que celle qui se fait avec les chevaux. Il faut cependant remarquer qu’ordinairement la sole de terre qui fournit la moisson, n’est pas toute ensemencée en blé ; la lenteur du travail des bœufs détermine à en mettre quelquefois plus d’un quart en menus grains, qui exigent moins de labour : dès-là tout l’avantage disparoît.

Mais de plus on a reconnu qu’une même terre qui n’est ensemencée en blé qu’une fois en trois ans, en produit plus, à culture égale, que si elle en portoit tous les deux ans ; & on estime à un cinquieme ce qu’elle produit de plus : ainsi en supposant que trois

récoltes en six ans produisent vingt-quatre mesures, deux récoltes en trois ans doivent en produire vingt. Les deux récoltes ne produisent donc qu’un sixieme de moins que ce que les trois produisent.

Ce sixieme & plus se retrouve facilement par la culture faite avec des chevaux ; car de la sole cultivée avec des bœufs, il n’y a ordinairement que les trois quarts ensemencés en blé, & un quart en menus grains : ces trois récoltes en blé ne forment donc réellement que deux récoltes & un quart. Ainsi au lieu de trois récoltes que nous avons supposées produire vingt-quatre mesures, il n’y en a que deux & un quart qui ne fournissent, selon la même proportion, que dix-huit mesures ; les deux récoltes que produit la culture faite avec les chevaux, donne 20 mesures : cette culture produit donc en blé un dixieme de plus que celle qui se fait avec les bœufs. Nous supposons toûjours que les terres soient également bonnes & également bien cultivées de part & d’autre, quoiqu’on ne tire ordinairement par la culture faite avec les bœufs, qu’environ la moitié du produit que les bons fermiers retirent de la culture qu’ils font avec les chevaux. Mais pour comparer plus facilement la dépense de la nourriture des chevaux avec celle des bœufs, nous supposons que des terres également bonnes, soient également bien cultivées dans l’un & l’autre cas : or dans cette supposition même le produit du blé, par la culture qui se fait avec les bœufs, égaleroit tout au plus celui que l’on retire par la culture qui se fait avec les chevaux.

Nous avons remarqué que les fermiers qui cultivent avec des chevaux, recueillent tous les ans le produit d’une sole entiere en avoine, & que les métayers qui cultivent avec des bœufs, n’en recueillent qu’un quart. Les chevaux de labour consomment les trois quarts de la récolte d’avoine, & l’autre quart est au profit du fermier. On donne aussi quelque peu d’avoine aux bœufs dans les tems où le travail presse ; ainsi les bœufs consomment à-peu-près la moitié de l’avoine que les métayers recueillent. Ils en recueillent trois quarts moins que les fermiers qui cultivent avec des chevaux : il n’en reste donc au métayer qu’un huitieme, qui n’est pas consommé par les bœufs ; au lieu qu’il peut en rester au fermier un quart, qui n’est pas consommé par les chevaux. Ainsi malgré la grande consommation d’avoine pour la nourriture des chevaux, il y a à cet égard plus de profit pour le fermier qui cultive avec des chevaux, que pour le métayer qui cultive avec des bœufs. D’ailleurs à culture égale, quand même la sole du métayer seroit toute en blé, comme l’exécutent une partie des métayers, la récolte de ceux-ci n’est pas plus avantageuse que celle du fermier, la consommation de l’avoine pour la nourriture des chevaux étant fournie. Et dans le cas même où les chevaux consommeroient toute la récolte d’avoine, la comparaison en ce point ne seroit pas encore au desavantage du fermier. Cependant cette consommation est l’objet qui en impose sur la nourriture des chevaux de labour. Il faut encore faire attention qu’il y a une récolte de plus en fourrage ; car par la culture faite avec les chevaux, il n’y a que deux années de jachere en six ans.

Il y en a qui cultivent avec des bœufs, & qui assolent les terres par tiers : ainsi, à culture égale, les récoltes sont les mêmes que celles que procure l’usage des chevaux, le laboureur a presque toute la récolte de l’avoine ; il nourrit les bœufs avec le fourrage d’avoine ; ces bœufs restent moins dans les pâtures ; on en tire plus de travail, ils forment plus de fumier ; le fourrage du blé teste en entier pour les troupeaux, on peut en avoir davantage ; ces troupeaux procurent un bon revenu & fournissent beaucoup d’engrais aux terres. Ces avantages peuvent