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nées chacune par trois chevaux, en laboureroient environ quatre arpens & demi.

Si on met six bœufs à chaque charrue, douze bœufs qui tireroient deux charrues, laboureroient environ un arpent & demi ; mais huit bons chevaux qui meneroient deux charrues, laboureroient environ trois arpens.

S’il faut huit bœufs par charrue, vingt-quatre bœufs ou trois charrues labourent deux arpens ; au lieu que quatre forts chevaux étant suffisans pour une charrue, vingt-quatre chevaux, ou six charrues, labourent neuf arpens : ainsi en réduisant ces différens cas à un état moyen, on voit que les chevaux labourent trois fois autant de terre que les bœufs. Il faut donc au moins douze bœufs où il ne faudroit que quatre chevaux.

L’usage des bœufs ne paroît préférable à celui des chevaux, que dans des pays montagneux ou dans des terreins ingrats, où il n’y a que de petites portions de terres labourables dispersées, parce que les chevaux perdroient trop de tems à se transporter à toutes ces petites portions de terre, & qu’on ne profiteroit pas assez de leur travail ; au lieu que l’emploi d’une charrue tirée par des bœufs, est borné à une petite quantité de terre, & par conséquent à un terres beaucoup moins étendu que celui que les chevaux parcourroient pour labourer une plus grande quantité de terres si dispersées.

Les bœufs peuvent convenir pour les terres à seigle, ou fort legeres, peu propres à produire de l’avoine ; cependant comme il ne faut que deux petits chevaux pour ces terres, il leur faut peu d’avoine, & il y a toûjours quelques parties de terres qui peuvent en produire suffisamment.

Comme on ne laboure les terres avec les bœufs qu’au défaut de fermiers en état de cultiver avec des chevaux, les propriétaires qui fournissent des bœufs aux paysans pour labourer les terres, n’osent pas ordinairement leur confier des troupeaux de moutons, qui serviroient à faire des fumiers & à parquer les terres ; on craint que ces troupeaux ne soient mal gouvernés, & qu’ils ne périssent.

Les bœufs qui passent la nuit & une partie du jour dans les pâturages, ne donnent point de fumier ; ils n’en produisent que lorsqu’on les nourrit pendant l’hyver dans les étables.

Il s’ensuit de-là que les terres qu’on laboure avec des bœufs, produisent beaucoup moins que celles qui sont cultivées avec des chevaux par des riches fermiers. En effet, dans le premier cas les bonnes terres ne produisent qu’environ quatre septiers de blé mesure de Paris ; & dans le second elles en produisent sept ou huit. Cette même différence dans le produit se trouve dans les fourrages, qui serviroient à nourrir des bestiaux, & qui procureroient des fumiers.

Il y a même un autre inconvénient qui n’est pas moins préjudiciable : les métayers qui partagent la récolte avec le propriétaire, occupent, autant qu’ils peuvent, les bœufs qui leur sont confiés, à tirer des charrois pour leur profit, ce qui les intéresse plus que le labourage des terres ; ainsi ils en négligent tellement la culture, que si le propriétaire n’y apporte pas d’attention, la plus grande partie des terres reste en friche.

Quand les terres restent en friche & qu’elles s’enbuissonnent, c’est un grand inconvénient dans les pays où l’on cultive avec des bœufs, c’est-à-dire où l’on cultive mal, car les terres y sont à très-bas prix ; ensorte qu’un arpent de terre qu’on esserteroit & défricheroit, coûteroit deux fois plus de frais que le prix que l’on acheteroit un arpent de terre qui seroit en culture : ainsi on aime mieux acquérir que de faire ces frais, ainsi les terres tombées en friche restent pour

toûjours en vaine pâture, ce qui dégrade essentiellement les fonds des propriétaires.

On croit vulgairement qu’il y a beaucoup plus de profit, par rapport à la dépense, à labourer avec des bœufs, qu’avec des chevaux : c’est ce qu’il faut examiner en détail.

Nous avons remarqué qu’il ne faut que quatre chevaux pour cultiver un domaine où l’on employe douze bœufs.

Les chevaux & les bœufs sont de différens prix. Le prix des chevaux de labour est depuis 60 liv. jusqu’à 400 liv. celui des bœufs est depuis 100 livres la paire, jusqu’à 500 liv. & au-dessus ; mais en supposant de bons attelages, il faut estimer chaque cheval 300 livres, & la paire de gros bœufs 400 livres, pour comparer les frais d’achat des uns & des autres.

Un cheval employé au labour, que l’on garde tant qu’il peut travailler, peut servir pendant douze années. Mais on varie beaucoup par rapport au tems qu’on retient les bœufs au labour ; les uns les renouvellent au bout de quatre années, les autres au bout de six années, d’autres après huit années : ainsi en réduisant ces différens usages à un tems mitoyen, on le fixera à six années. Après que les bœufs ont travaillé au labour, on les engraisse pour la boucherie ; mais ordinairement ce n’est pas ceux qui les employent au labour, qui les engraissent ; ils les vendent maigres à d’autres, qui ont des pâturages convenables pour cet engrais. Ainsi l’engrais est un objet à part, qu’il faut distinguer du service des bœufs. Quand on vend les bœufs maigres après six années de travail, ils ont environ dix ans, & on perd à-peu-près le quart du prix qu’ils ont coûté ; quand on les garde plus long-tems, on y perd davantage.

Après ce détail, il sera facile de connoître les frais d’achat des bœufs & des chevaux, & d’appercevoir s’il y a à cet égard plus d’avantage sur l’achat des uns que sur celui des autres.

Quatre bons chevaux de labour estimés chacun 300 livres, valent 1200 liv.
1920 liv.
Ces quatre chevaux peuvent servir pendant douze ans : les intérêts des 1200 liv. qu’ils ont coûté, montent en douze ans à 720 liv.
Supposons qu’on n’en tire rien après douze ans, la perte seroit de 1920 liv.
Douze gros bœufs estimés chacun 200 livres, valent 2400 liv.
3120 liv.
Ces bœufs travaillent pendant six ans. Les intérêts des 2400 livres qu’ils ont coûté, montent en six ans à 720 liv.
Ils se vendent maigres, après six ans de travail, chacun 150 livres ; ainsi on retire de ces douze bœufs 1800 liv. ils ont coûté 2400 livres d’achat. Il faut ajoûter 720 liv. d’intérêts, ce qui monte à 3120 liv. dont on retire 1800 livres ; ainsi la perte est de 1320 liv.
Cette perte doublée, en douze ans est de 2640 liv.

La dépense des bœufs surpasse donc à cet égard celle des chevaux d’environ 700 livres. Supposons même moitié moins de perte sur la vente des bœufs, quand on les renouvelle ; cette dépense surpasseroit encore celle des chevaux : mais la différence en douze ans est pour chaque année un petit objet.