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bile qu’Helmont, puisqu’il la trouvoit fort approchante du sel volatil alkalin, joint à une huile volatile, il n’eut pas de peine à tirer de ces principes la conséquence, que ces deux sortes d’humeurs étant mêlées l’une avec l’autre, & toutes les deux avec le chyle déjà supposé acide, elles doivent produire une fermentation. Il imagina outre ce, qu’il s’ensuivroit de-là une précipitation des parties grossieres de ce mélange, qui n’avoient pas de l’affinité avec les parties intégrantes de ces différens fluides ; d’où résultoit la séparation des matieres fécales, tandis que les plus homogenes & les plus atténuées, composées du suc des alimens, des deux fermens dépurés, & de la pituite intestinale, rendue aussi plus fluide par la même cause, pénétroient dans les veines lactées sous le nom de chyle, ou étoient absorbées dans ces vaisseaux, pour être portées à leur destination.

Cette derniere opinion eut un grand nombre de partisans, parmi lesquels il y en avoit de célebres, tels que Schuyl, de Graaf, Swalve, Harder, Diemerbroek, &c. qui la soûtinrent avec autant d’obstination qu’ils l’avoient embrassée avec peu de fondement.

Il suffiroit, pour le prouver, de rappeller ce qui a été dit ci-devant au sujet du sang, dont la nature ne comporte aucunement qu’il fournisse dans l’état de santé ni acide ni alkali, soit par lui-même, soit par les fluides qui en sont séparés ; mais il ne faut rien omettre de ce qui a été dit de plus important pour renverser cette partie si fameuse du système chimique.

On a démontré que dans toute cette hypothèse il n’y a rien qui soit conforme à la nature. 1°. Il existe une définition, une idée précise du caractere qui distingue les substances acides de toute autre substance. Sylvius n’ignoroit pas quels en sont les signes distinctifs ; cependant de toutes les propriétés de l’acide il n’en est aucune qui se trouve dans le suc pancréatique : on ne l’a jamais vû former aucune effervescence avec un sel alkali ; il ne donne pas la couleur rouge au sirop violat ou à celui de tournesol, il ne caille pas le lait, &c. il n’a aucune sorte d’aigreur dans un animal sain : si on en a trouvé quelqu’indice, on a dû l’attribuer ou à quelque portion de suc d’alimens de nature acescente imparfaitement digérés, qui s’est mêlée avec le suc pancréatique sur lequel on a fait l’expérience, ou à quelque changement produit par maladie. Graaf lui-même n’a pas pû manquer de sincérité en faveur de son préjugé, au point de soûtenir qu’il ait toûjours trouvé au suc pancréatique un goût acide : il est convenu (de succo panc. in operib.) en présence de Sylvius son maître, qu’il est le plus souvent seulement d’un goût salé ; qu’il n’a quelquefois aucun goût ; qu’il est insipide, quelquefois d’une salure acide, & qu’il ne l’a trouvé que rarement ayant un goût acide bien décidé. L’expérience qu’il cite entr’autres, faite sur le cadavre d’un matelot d’Angers, ouvert dans le moment de sa mort arrivée subitement par accident, dans lequel on trouva ce suc digestif bien acide, est regardée comme faite avec peu de soin ; le fait en a été contesté par Pechlin (metam. apott. & oesc.) qui alléguoit le témoignage d’une personne présente à l’ouverture du cadavre ; lequel témoin nioit le résultat de Graaf, & rapportoit la chose d’un maniere toute différente.

1°. Le goût le plus ordinaire du suc pancréatique est d’être salé dans l’homme, & insipide dans les animaux, qui n’usent pas du sel commun, selon ce qu’enseigne Brunner, & ce dont chacun peut s’assûrer par soi-même en le goûtant. Il ne peut être acide que par l’effet des maladies dans lesquelles il y a dans les humeurs une acidité dominante. 2°. Le subterfuge de Sylvius, qui objectoit que le suc pancréatique étant

fourni par les nerfs, devoit participer à la nature du fluide nerveux, qu’il supposoit acide, ne lui réussit pas mieux que ses autres prétentions. On n’eut qu’à lui demander comment il avoit pû s’assûrer de l’acidité du fluide nerveux, qui jusqu’à présent a été si peu susceptible de tomber sous les sens, qu’on a crû conséquemment être autorisé à douter de son existence. D’ailleurs la difficulté déjà rebattue se présente encore. Comment le sang de nature alkalescente, selon cet auteur même, peut-il fournir de sa masse un fluide d’une nature opposée ? Sylvius se retrancha ensuite à dire que l’acide du suc pancréatique n’y est pas développé ; mais s’il ne peut pas donner des indices de sa présence, s’il n’est pas sensible, comment peut-on s’assûrer qu’il existe, qu’il peut produire une effervescence sensible ? Sylvius n’avoit donc pas d’autre raison de vouloir que ce suc pancréatique fût acide, que le besoin d’avoir un principe à opposer à la bile, pour établir la fermentation dans les intestins, comme il l’avoit dejà établie dans l’estomac. 3°. La fameuse expérience de Schuyl, rapportée dans son ouvrage de medicina veterum, avec laquelle il venoit à l’appui du système ébranlé de Sylvius, & que toute la secte chimique regarda comme invincible, n’est pas moins facile à réfuter que toutes les preuves alléguées précédemment. Cette expérience consistoit en ce que le duodénum étant lié au-dessus & au-dessous des conduits pancréatique & cholidoque dans un animal vivant, l’espace entre les deux ligatures s’enfle considérablement, avec une tension & une chaleur bien notables ; & le boyau étant ensuite ouvert en cet endroit, répandoit une liqueur écumeuse, avec une odeur très-forte : d’où on concluoit que l’effet de la fermentation du suc pancréatique avec la bile, étoit ainsi mis sous les yeux, & rendu incontestable. On croyoit cette derniere preuve suffisante pour suppléer à toutes celles qui avoient été rejettées, & on la présentoit avec l’assûrance qu’elle devoit imposer silence à tous les adversaires de l’école hollandoise ; cependant elle ne coûta pas plus à détruire que les autres : il n’y eut qu’à répéter la même expérience sur une autre portion du canal intestinal, qu’il ne se faisoit aucun mélange du suc pancréatique & de bile ; les ligatures faites, les mêmes effets s’ensuivirent que ceux rapportés ci-devant. On trouve dans les œuvres de Verheyen, lib. II. tr. j. c. xviij. qu’ayant lié de même le duodénum d’un lapin, dans lequel le conduit biliaire s’insere à quinze pouces de distance du conduit pancréatique, ensorte qu’il n’y avoit que ce dernier qui fût compris entre les ligatures, les mêmes phénomenes se montrerent que dans l’expérience de Schuyl. Mais il n’y a rien de bien singulier dans toutes les différentes circonstances de ces différentes expériences, une cause commune produit les mêmes effets dans les trois cas : c’est l’air enfermé dans la portion de boyau liée, mêlé avec de la pâte alimentaire, qui étant échauffé par la chaleur de l’animal, se rarefie, sort des matieres qui le contiennent, dilate, distend les parois du canal où il est resserré ; & lorsqu’on lui donne une issuë, il s’échappe encore de l’écume qu’il a formée dans les fluides avec lesquels il étoit confondu. Voilà l’explication bien simple & vraiment sans replique de ces merveilleux effets d’où on tiroit des conséquences si importantes, qui sont par-là réduites à ne prouver rien du tout pour ce que l’on vouloit prouver, puisque la fameuse expérience de Schuyl réussit aussi-bien là où il n’y a ni bile ni suc pancréatique, que s’il n’existoit dans la nature aucun de ces deux fluides digestifs. On peut ajoûter à tout cela, qu’il n’y a pas même bien de l’accord entre les auteurs, sur la vérité de cette expérience ; ayant été tentée six fois par le très-véridique physiologiste Bonh, elle ne lui réussit presque