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d’employer des expressions abrégées pour éviter des circonlocutions ; comme en Algebre, on est obligé d’exprimer des grandeurs, soit connues, soit inconnues, par des lettres de l’alphabet, pour faciliter à l’entendement les opérations qu’il doit faire sur ces objets, tout occultes ou inconnus qu’ils puissent être.

Les anciens ont reconnu dans les corps deux sortes de facultés, dont on ne doit pourtant la véritable distinction qu’à Leibnitz : savoir 1°. les facultés ou pouvoirs méchaniques, tels que sont ceux de tous les instrumens de Chirurgie, de Gymnastique, agissans par pression ou par percussion, relativement à la figure, la masse, la vîtesse, &c. des corps, & au nombre, à la situation de leurs parties sensibles ; & 2°. les facultés physiques, telles que sont celles des médicamens, des alimens, lesquels n’agissent que par leurs particules séparément imperceptibles, & dont nous ignorons la figure, la vîtesse, la grandeur, & les autres qualités méchaniques.

Comme nul changement ne peut se faire dans les corps que par le mouvement, toutes les facultés des corps agissent par des forces mouvantes, sur la premiere origine desquelles on est depuis long-tems en dispute. Les Medecins ont suivi sur cela les opinions qui ont été les plus à la mode, chacune en son tems. Aristote, Descartes, Newton, successivement les ont gouvernés.

On peut pourtant, ce me semble, quand il s’agit des facultés de l’homme, concilier ces sentimens en établissant que le principe du sentiment, du mouvement musculaire, enfin de la vie de l’homme, l’est aussi de tous ses mouvemens méchaniques, soit libres, soit naturels ; & la puissance générale qui fait approcher les corps les uns vers le centre des autres, communément nommée attraction ou adhésion, est le principe des mouvemens spontanés, qui arrivent sur-tout dans les liqueurs des animaux, des végétaux, ainsi que de l’action des médicamens & des alimens ; sauf aux Cartésiens à expliquer ce dernier principe par leurs tourbillons, ce qui ne paroît propre qu’à transporter la difficulté.

Les facultés des médicamens, prises indépendamment de la sensibilité du sujet qui en use, & en ne les estimant que par les effets qu’ils peuvent produire sur un corps inanimé, se peuvent déduire des regles de l’adhésion, comme l’a fait le savant professeur Hamberger dans plusieurs de ses dissertations. C’est ainsi que les molécules des délayans, des humectans, s’insinuent dans les pores du corps en diminuant la cohésion de ses parties élémentaires ; au lieu que les dessicatifs font évaporer l’humidité superflue, qui empêchoit l’adhésion mutuelle des parties. On peut déduire de ce même principe, l’action propre de tous les altérans ; mais pour expliquer les effets évacuans, il faut faire concourir la faculté mouvante de l’homme, laquelle correspond à sa sensibilité : ces médicamens ne font que solliciter ces deux puissances à agir.

Quant aux facultés de l’homme, on peut les diviser en deux sortes, savoir en celles qui lui sont communes avec les végétaux ; telles sont la faculté d’engendrer, de végéter, de faire des secrétions, & de digérer des sucs qui lui servent de nourriture. Les anciens & les Stalhiens ne sont pas fondés à attribuer ces facultés à l’ame, à moins que d’abuser ridiculement de ce terme, & de lui donner une signification contraire à l’usage reçû. On ne peut pas non plus les appeller naturelles, à moins que d’entendre par le mot de nature l’univers, l’ame du monde, ou pareilles significations, qui sont le moins d’usage parmi les Medecins. Voyez Nature.

Les facultés que l’homme possede, & qui ne se trouvent point dans les végétaux, sont de trois sor-

tes ; savoir celle de percevoir ou connoître, celle

d’appéter ou desirer, & celle de mouvoir son corps d’un lieu en un autre.

La faculté de percevoir est ou inférieure ou supérieure. L’inférieure, qui est commune à tous les animaux, s’appelle instinct ; la supérieure est l’entendement ou la raison.

L’instinct differe de l’entendement en ce qu’il ne donne que des idées confuses, & l’entendement est le pouvoir de former des idées distinctes. L’instinct se divise en sens, & en imagination. Le sens ou le sentiment, est le pouvoir de se représenter les objets qui agissent sur nos organes extérieurs ; on le divise en vûe, oüie, odorat, goût, & tact. L’imagination est le pouvoir de se représenter les objets même absens, actuels, passés, ou à venir : cette faculté comprend la mémoire & la prévision.

L’entendement forme des idées distinctes des objets, que l’ame connoît par l’entremise des sens & de l’imagination. Les sens ne nous donnent des idées que des êtres individus ; l’entendement généralise ces idées, les compare, & en tire des conséquences, & cela par le moyen de l’attention, de la réflexion, de l’esprit, du raisonnement, & sur-tout des opérations de l’Arithmétique & de l’Analyse.

Le principal usage de la perception est de connoître ce qui nous est utile & ce qui nous est nuisible ; & ainsi cette premiere faculté nous a été donnée pour diriger la seconde, qui nous fait pancher vers le bien & nous fait éloigner du mal. Le sentiment nous ayant fait connoître confusément, quoique clairement, ce qui nous est agréable, nous l’appétons ou le desirons, de même que nous avons de l’aversion pour ce qui nous paroît desagréable au sens ; ce penchant s’appelle cupidité ou aversion sensitives, desquelles on ne sauroit rendre des raisons distinctes : telle est l’aversion du vin, la cupidité ou l’appétit d’un tel aliment.

Mais quand l’entendement s’est formé des idées distinctes du bien ou du mal qui se trouve dans un objet, alors l’appétit qui nous porte vers l’un ou nous éloigne de l’autre, s’appelle volonté ou appétit rationel, dont on peut dire les raisons ou les motifs.

Or ces penchans & ces aversions nous auroient été inutiles, si en même tems nous n’avions eu le pouvoir d’approcher les objets utiles ou agréables de notre corps, & d’en éloigner ceux qui sont nuisibles ou qui déplaisent. La faculté mouvante étoit nécessaire pour ce but ; c’est celle qui par la contraction musculaire exécute ces mouvemens qu’on ne trouve que chez l’homme & chez les animaux.

Les mouvemens qui sont excités en nous, conséquemment à des idées confuses ou au sentiment du bien ou du mal sensibles, & dont le motif est la cupidité ou l’aversion naturelle, sont communément attribués à une puissance, que les Medecins appellent la nature ; & les actions qu’elle exécute sont appellées actions naturelles. Galien dit que la nature est le principe des mouvemens qui tendent à notre conservation, & qui se font indépendamment de la volonté souvent par coûtume, ou quoique nous ne nous souvenions point des motifs qui les déterminent.

Quant aux mouvemens qui sont déterminés par la notion du bien ou du mal intellectuel, & en conséquence par la volonté ou la nolonté, comme parle M. Wolf, ils sont communément attribués à une faculté de l’ame qu’on nomme liberté, qui est le pouvoir de faire ou d’omettre ce qui parmi plusieurs choses possibles, nous paroît le mieux conformément à notre raison ; & de-là les actions prennent le nom de libres.

Ainsi nos actions sont divisées par les philosophes moralistes en libres & en naturelles. Il y a une différence essentielle entre les unes & les autres, quoi-