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de l’expansibilité, soit qu’ils ayent besoin pour l’acquérir d’un degré de chaleur plus considérable.

L’énumération des différens corps expansibles, & l’examen des circonstances dans lesquelles ils acquierent cette propriété, nous présentent plusieurs faits généraux. Premierement, de tous les corps qui nous sont connus (car je ne parle point ici des fluides électriques & magnétiques, ni de l’élément de la chaleur ou éther dont la nature est trop ignorée), l’air est le seul auquel l’expansibilité paroisse au premier coup-d’œil appartenir constamment ; & cette propriété, dans tous les autres corps, paroît moins une qualité attachée à leur substance, & un caractere particulier de leur nature, qu’un état accidentel & dépendant de circonstances étrangeres. Secondement, tous les corps, qui de solides ou de liquides deviennent expansibles, ne le deviennent que lorsqu’on leur applique un certain degré de chaleur. Troisiemement, il est très-peu de corps qui ne deviennent expansibles à quelque degré de chaleur : mais ce degré n’est pas le même pour les différens corps. Quatriemement, aucun corps solide ne devient expansible par la chaleur, sans avoir passé auparavant par l’état de liquidité. Cinquiemement, c’est une observation constante, que le degré de chaleur auquel une substance particuliere devient expansible, est un point fixe & qui ne varie jamais lorsque la force qui presse la surface du liquide n’éprouve aucune variation. Ainsi le terme de l’eau bouillante, qui n’est autre que le degré de chaleur nécessaire pour la vaporisation de l’eau (Voyez le mémoire de M. l’abbé Nollet sur le bouillonnement des liquides, mém. de l’acad. des Sc. 1748.), reste toûjours le même, lorsque l’air comprime également la surface de l’eau. Sixiemement, si l’on examine les effets de l’application successive des différens degrés de température à une même substance, telle par exemple que l’eau, on la verra d’abord, si le degré de température est au-dessous du terme zéro du thermometre de M. de Reaumur, dans un état de glace ou de solidité. Quand le thermometre monte au-dessus du zéro, cette glace fond & devient un liquide. Ce liquide augmente de volume comme la liqueur du thermometre elle-même, à mesure que la chaleur augmente ; & cette augmentation a pour terme la dissipation même de l’eau, qui réduite en vapeur, fait effort en tout sens pour s’étendre, & brise souvent les vaisseaux où elle se trouve resserrée : alors si la chaleur reçoit de nouveaux accroissemens, la force d’expansion augmentera encore, & la vapeur comprimée par la même force occuperoit un plus grand espace. Ainsi l’eau appliquée successivement à tous les degrés de température connus, passe successivement par les trois états de corps solide (Voyez Glace), de liquide (Voyez Liquide), & de vapeur ou de corps expansible. Voy. Vapeur. Chacun des passages d’un de ces états à l’autre, répond à une époque fixe dans la succession des différentes nuances de température ; les intervalles d’une époque à l’autre, ne sont remplis que par de simples augmentations de volume ; mais à chacune de ces époques, la progression des augmentations du volume s’arrête pour changer de loi, & pour recommencer une marche relative à la nature nouvelle que le corps semble avoir revêtue. Septiemement, si de la considération d’un seul corps, & des changemens successifs qu’il éprouve par l’application de tous les degrés de température, nous passons à la considération de tous les corps comparés entre eux & appliqués aux mêmes degrés de température, nous en recueillons qu’à chacun de ces degrés répond dans chacun des corps un des trois états de solide, de liquide, ou de vapeur, & dans ces états un volume déterminé : qu’on peut ainsi regarder tous les corps de la nature comme autant de thermometres dont tous

les états & les volumes possibles marquent un certain degré de chaleur ; que ces thermometres sont construits sur une infinité d’échelles & suivent des marches entierement différentes ; mais qu’on peut toûjours rapporter ces échelles les unes aux autres, par le moyen des observations qui nous apprennent que tel état d’un corps & tel autre état d’un autre corps, répondent au même degré de chaleur ; ensorte que le degré qui augmente le volume de certains solides, en convertit d’autres en liquides, augmente seulement le volume d’autres liquides, rend expansibles des corps qui n’étoient que dans l’état de liquidité, & augmente l’expansibilité des fluides déjà expansibles.

Il résulte de ces derniers faits, que la chaleur rend fluides des corps, qui sans son action seroient restés solides ; qu’elle rend expansibles des corps qui resteroient simplement liquides, si son action étoit moindre ; & qu’elle augmente le volume de tous les corps tant solides que liquides & expansibles. Dans quelque état que soient les corps, c’est donc un fait général que la chaleur tend à en écarter les parties, & que les augmentations de leur volume, leur fusion & leur vaporisation, ne sont que des nuances de l’action de cette cause, appliquée sans cesse à tous les corps, mais dans des degrés variables. Cette tendance ne produit pas les mêmes effets sensibles dans tous les corps ; il faut en conclure qu’elle est inégalement contre-balancée par l’action des forces qui en retiennent les parties les unes auprès des autres, & qui constituent leur dureté ou leur liquidité, lorsqu’elles ne sont pas entierement surpassées par la répulsion que produit la chaleur. Je n’examine point ici quelle est cette force, ni comment elle varie dans tous les corps. Voyez Glace & Induration. Il me suffit qu’on puisse toûjours la regarder comme une quantité d’action, comparable à la répulsion dans chaque distance déterminée des particules entr’elles, & agissant dans une direction contraire.

Cette théorie a toute l’évidence d’un fait, si on ne veut l’appliquer qu’aux corps qui passent sous nos yeux d’un état à l’autre ; nous ne pouvons douter que leur expansibilité, ou la répulsion de leurs parties, ne soit produite par la chaleur, & par conséquent par une cause méchanique au sens des Cartésiens, c’est-à-dire dépendante des lois de l’impulsion, puisque la chaleur qui n’est jamais produite originairement que par la chûte des rayons de lumiere, ou par un frotement rapide, ou par des agitations violentes dans les parties internes des corps, a toûjours pour cause un mouvement actuel. Il est encore évident que la même théorie peut s’appliquer également à l’expansibilité du seul corps que nous ne voyons jamais privé de cette propriété, je veux dire de l’air. L’analogie qui nous porte à expliquer toûjours les effets semblables par des causes semblables, donne à cette idée l’apparence la plus séduisante ; mais l’analogie est quelquefois trompeuse : les explications qu’elle nous présente ont besoin, pour sortir du rang des simples hypothèses, d’être développées, afin que le nombre & la force des inductions suppléent au défaut des preuves directes. Nous allons donc détailler les raisons qui nous persuadent que l’expansibilité de l’air n’a pas d’autre cause que celle des vapeurs, c’est-à-dire la chaleur ; que l’air ne differe de l’eau à cet égard, qu’en ce que le dégré, qui réduit les vapeurs aqueuses en eau & même en glace, ne suffit pas pour faire perdre à l’air son expansibilité ; & qu’ainsi, l’air est un corps que le plus petit degré de chaleur connu met dans l’état de vapeur : comme l’eau est un fluide que le plus petit degré de chaleur connu au-dessus du terme de la glace met dans l’état de fluidité, & que le degré de l’ébullition met dans l’état d’expansibilité.

Il n’est pas difficile de prouver que l’expansibilité