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taché une boule de fer du poids de huit livres, avec quoi on pouvoit certainement assommer un homme armé, quelque bonnes que fussent ses armes, quand le bras qui portoit le coup étoit puissant. Il n’y a point d’hommes de ce tems assez forts pour manier une telle arme : c’est qu’alors on exerçoit dès la plus tendre jeunesse les enfans à porter à la main des poids fort pesans ; ce qui leur fortifioit le bras ; & par l’habitude ils y acquéroient une force extraordinaire : ce qu’on ne fait plus depuis plusieurs siecles ». Hist. de la milice franç. par le P. Daniel.

C’est par des exercices de cette espece qu’ils acquéroient cette force de bras qui produisoient ces coups extraordinaires, qu’on a beaucoup de peine à croire aujourd’hui. Voyez Epée.

Les armes que l’usage de la poudre a introduites dans les armées, n’exigeant aucun effort considérable, on s’est insensiblement deshabitué de tous les exercices qui pouvoient augmenter la force du corps, & l’endurcir aux travaux. On ne craint point de dire qu’on porte un peu trop loin aujourd’hui la négligence à cet égard : de-là vient que notre jeune noblesse, quoique pleine de valeur & d’envie de se signaler à la guerre, soûtiendroit difficilement une longue suite de travaux rudes & pénibles, le corps n’y étant point assez accoûtumé. On sait combien nos cuirasses, si legeres en comparaison de l’armure des anciens gendarmes, paroissent incommodes par leur poids : quel qu’en soit l’utilité & la nécessité, on s’en débarrasseroit souvent dans l’action même, si les reglemens n’obligeoient point à les porter. Le défaut d’exercices fatigans est la cause de cette espece de mollesse. « Aussi, dit le P. Daniel, excepté la médiocre fatigue de l’académie où passent les jeunes gens de condition, & qui consiste à s’accoûtumer à manier un cheval, à en souffrir les secousses, à faire des armes, & à quelques autres exercices, les soldats, soit cavaliers, soit fantassins, sont pour la plûpart des fainéans que l’aversion pour le travail & l’appas de la licence engagent au service, dont plusieurs y périssent, soit par la foiblesse de leur tempérament, soit parce qu’ils sont déjà usés de débauche. Ils ne portent pour la plûpart que leurs armes, beaucoup plus legeres que celles des anciens, qui outre les offensives en avoient de défensives, c’est-à-dire des casques, des cuirasses, des boucliers. Dans les campemens & dans les siéges où ils n’ont guere que le travail des tranchées, ils demeurent oisifs la plûpart du tems. Les plus gros travaux se font par des paysans qu’on fait venir des villages circonvoisins. Je ne parle point ici des officiers dont la plûpart se piquent autant de luxe, de délicatesse, de bonne-chere, que de valeur & d’application aux fonctions de leurs charges. Quelle différence tout cela doit-il mettre entre nos troupes & celles de ces anciens Romains » ! Histoire de la milice franç. tom. II. pag. 601.

L’exercice des troupes de l’Europe aujourd’hui, consiste uniquement dans le maniement des armes & dans les évolutions. Voyez Evolution.

Le maniement des armes, qu’on appelle communément l’exercice, comme nous l’avons déjà dit, a pour objet d’habituer les soldats à se servir avec grace, promptitude, & accord, des armes propres à l’infanterie, c’est-à-dire du fusil avec la bayonnette au bout, qui est aujourd’hui la seule arme du soldat.

Cet exercice renferme plusieurs choses arbitraires. Ses regles générales, suivant M. Bottée, sont de faire observer au soldat une contenance fiere, noble, & aisée. Or comme il est possible que des mouvemens qui paroissent aisés & naturels aux uns, ne le soient pas également aux yeux des autres ; que des tems & des

positions que les uns jugent nécessaires, les autres les croyent inutiles ; il arrive de-là que l’exercice n’a point encore eu de regles fixes & invariables parmi nous[1] : regles cependant qui ne seroient pas fort difficiles à trouver, si l’on vouloit se renfermer dans le pur nécessaire à cet égard, c’est-à-dire réduire le maniement des armes aux seuls mouvemens que le soldat peut exécuter devant l’ennemi, & ne pas s’attacher à faire paroître une troupe par une cadence & une mesure de mouvemens, plus propre, dit M. le maréchal de Puysegur, à donner de l’attention aux spectateurs, qu’à remplir l’objet capital, qui est d’apprendre aux soldats comment ils doivent se servir de leurs armes un jour d’action. Art de la guerre, t. I. pag. 131.

Ce même auteur, après avoir donné un projet d’exercice qui renferme tout ce qu’il y a d’utile dans le maniement des armes, observe qu’il y a bien d’autres choses dont il faut que les soldats soient instruits ; « que le principal objet du maniement des armes doit être de bien montrer au soldat comment il doit charger promptement son fusil, soit avec la cartouche ou en se servant de son fourniment pour mettre la poudre dans le canon, soit que la bayonnette soit au bout ou non ; comment il doit conduire son feu dans les occasions où il peut se trouver ; de l’accoûtumer à ne jamais tirer sans ordre, & sans regarder où il tire, afin de ne pas faire des décharges mal-à-propos, ainsi que cela arrive tous les jours aux troupes qui ne sont pas instruites de cette maniere ; de le faire tirer au blanc contre une muraille, afin qu’il voye le progrès qu’il fait… & comme on est obligé de charger le fusil, soit debout, ou un genou en terre, il faut que ces deux manieres de le faire entrent dans ce qui regarde le maniement des armes ». Art de la guerre, tom. I. pag. 137. & 138.

Ajoûtons à ces différentes observations, qu’il seroit peut-être très-utile de faire connoître au soldat toutes les différentes pieces du fusil, afin qu’il puisse le démonter, le nettoyer, & s’appercevoir plus facilement des réparations dont cette arme peut avoir besoin pour être en état de service.

Il seroit encore à-propos d’apprendre aux soldats à bien mettre la pierre au fusil, pour qu’elle frappe à-peu-près vers le milieu de la batterie : car on sait que lorsque les pierres sont trop longues, elles cassent au premier coup, & que quand elles sont trop courtes, elles ne font point de feu.

Plusieurs militaires très-intelligens prétendent aussi qu’il faudroit accoûtumer les soldats à ne pas s’effrayer des chevaux qui s’avanceroient sur eux avec impétuosité. L’expérience fait voir qu’un homme résolu, suffit seul pour détourner un cheval emporté ou échappé de son chemin : c’est pourquoi des soldats bien exercés à voir cette manœuvre, seroient plus disposés à faire ferme contre une troupe de cavalerie qui voudroit les mettre en desordre.

C’est le sentiment particulier de M. le marquis de Santa-Crux. Cet illustre & savant officier général dit sur ce sujet, « que les officiers d’infanterie doivent, en présence de leurs soldats, faire monter sur un cheval fort & robuste, tel homme qu’on voudra choisir, qui viendra fondre ensuite sur un fantassin, qui l’attendra de pié ferme, seulement un bâton à la main ; & ils verront qu’en ne faisant que voltiger le bâton aux yeux du cheval, ou en le touchant à la tête, ce cheval fera un écart sans vouloir avancer, à moins qu’il ne soit dressé à ce manége. De-là les officiers, continue M. le marquis de Santa-Crux, prendront occasion de repré-

  1. Ceci étoit écrit avant l’ordonnance du 6 Mai 1755, qui décide définitivement tout ce qui a rapport à l’exercice de l’infanterie.