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note d’infamie à celui qui n’est pas encore condamné à mort : c’est apparemment l’esprit de l’arrêt du 8 Mars 1624, rapporté par Basset, tome I. liv. VI. tit. xij. ch. ij. qui jugea que la question préparatoire ne devoit pas être donnée par le bourreau, mais par un sergent ou valet du concierge : il paroît par-là qu’il n’y avoit pas de questionnaire en titre.

Pour revenir au châtelet, les comptes dont on a déjà parlé justifient que les tourmenteurs jurés n’étoient pas les mêmes que le bourreau ; celui-ci est nommé maître de la haute justice du roi, en quelques endroits exécuteur de la haute justice & bourreau.

Ainsi dans un compte du domaine de 1417, on couche en dépense 45 s. parisis payés à Etienne le Bré, maître de la haute justice du roi notre sire, tant pour avoir fait les frais nécessaires pour faire bouillir trois faux monnoyeurs, que pour avoir ôté plusieurs chaînes étant aux poutres de la justice de Paris, & les avoir apportées en son hôtel : c’étoit le langage du tems.

Dans un autre compte de 1425, on porte 20 sols payés à Jean Tiphaine, exécuteur de la haute justice, pour avoir dépendu & enterré des criminels qui étoient au gibet.

Le compte de 1446 fait mention que l’on paya à Jean Dumoulin, sergent à verge, qui étoit aussi tourmenteur juré, une somme pour acheter à ses dépens trois chaînes de fer pour attacher contre un arbre près du Bourg-la-Reine, & là pendre & étrangler trois larrons condamnés à mort. On croiroit jusque-là que celui qui fit tous ces préparatifs, étoit le bourreau ; mais la suite de cet article fait connoître le contraire, car on ajoûte : & pour une échelle neuve où lesdits trois larrons furent montés par le bourreau qui les exécuta & mit à mort, &c.

En effet, dans les comptes des années suivantes il est parlé plusieurs fois de l’exécuteur de la haute justice, lequel, dans un compte de 1472, est nommé maître des hautes-œuvres ; & l’on voit que le fils avoit succédé à son pere dans cet emploi : & en remontant au compte de 1465, on voit qu’il avoit été fait une exécution à Corbeil.

On trouve encore dans le compte de 1478, que l’on paya à Pierre Philippe, maître des basses-œuvres, une somme pour avoir abattu l’échafaud du pilori, avoir rabattu les tuyaux où le sang coule audit échafaud, blanchi iceux & autres choses semblables, qui ont assez de rapport aux fonctions de l’exécuteur de la haute justice : ce qui pourroit d’abord faire croire que l’on a mis, par erreur, maître des basses-œuvres pour maître des hautes-œuvres ; mais tout bien examiné, il paroît que l’on a en effet entendu parler du maître des basses-œuvres que l’on chargeoit de ces réparations, sans doute comme étant des ouvrages vils que personne ne vouloit faire, à cause du rapport que cela avoit aux fonctions du bourreau.

Du tems de saint Louis il y avoit un bourreau fémelle pour les femmes : c’est ce que l’on voit dans une ordonnance de ce prince contre les blasphémateurs, de l’année 1264, portant que celui qui aura mesfait ou mesdit, sera battu par la justice du lieu tout de verges en appert ; c’est à sçavoir li hommes par hommes, & la femme par seules femmes, sans présence d’hommes. Traité de la Pol. tome l. p. 546.

Un des droits de l’exécuteur de la haute justice, est d’avoir la dépouille du patient, ce qui ne s’est pourtant pas toûjours observé par-tout de la même maniere ; car en quelques endroits les sergens & archers avoient cette dépouille, comme il paroît par une ordonnance du mois de Janvier 1304, rendue par le juge & courier de la justice séculiere de Lyon, de l’ordre de l’archevêque de cette ville, qui défend aux bedeaux ou archers de dépouiller ceux qu’ils

mettoient en prison, sauf au cas qu’ils fussent condamnés à mort, à ces archers d’avoir les habits de ceux qui auroient été exécutés.

L’exécuteur de la haute justice avoit autrefois droit de prise, comme le roi & les seigneurs, c’est-à-dire de prendre chez les uns & les autres, dans les lieux où il se trouvoit, les provisions qui lui étoient nécessaires, en payant néanmoins dans le tems du crédit qui avoit lieu pour ces sortes de prises. Les lettres de Charles VI. du 5 Mars 1398, qui exemptent les habitans de Chailly & de Lay près Paris, du droit de prise, défendent à tous les maîtres de l’hôtel du roi, à tous ses fourriers, chevaucheurs (écuyers), à l’exécuteur de notre haute justice, & à tous nos autres officiers, & à ceux de la reine, aux princes du sang, & autres qui avoient accoûtumé d’user de prises, d’en faire aucunes sur lesdits habitans. L’exécuteur se trouve là, comme on voit, en bonne compagnie.

Il est encore d’usage en quelques endroits, que l’exécuteur perçoive gratuitement certains droits dans les marchés.

Un recueil d’ordonnances & style du châtelet de Paris, imprimé en 1530, gothique, fait mention que le bourreau avoit à Paris des droits sur les fruits, verjus, raisins, noix, noisettes, foin, œufs & laine ; sur les marchands forains pendant deux mois ; un droit sur le passage du Petit-pont, sur les chasse-marées, sur chaque malade de S. Ladre, en la banlieue ; sur les gateaux de la veille de l’Epiphanie ; cinq sols de chaque pilorié ; sur les vendeurs de cresson, sur les pourceaux, marées, harengs : que sur les pourceaux qui couroient dans Paris, il prenoit la tête ou cinq sols, excepté sur ceux de S. Antoine. Il prenoit aussi des droits sur les balais, sur le poisson d’eau douce, chenevis, senevé ; & sur les justiciés tout ce qui est au-dessous de la ceinture, de quelque prix qu’il fût. Présentement la dépouille entiere du patient lui appartient.

Sauval en ses antiquités de Paris, tome II. p. 457. titre des redevances singulieres dûes par les ecclésiastiques, dit que les religieux de S. Martin doivent tous les ans à l’exécuteur de la haute justice cinq pains & cinq bouteilles de vin, pour les exécutions qu’il fait sur leurs terres ; mais que le bruit qui court que ce jour-là ils le faisoient dîner avec eux dans le refectoire, sur une petite table que l’on y voit, est un faux bruit.

Que les religieux de sainte Genevieve lui payent encore cinq sols tous les ans le jour de leur fête, à cause qu’il ne prend point le droit de havée, qui est une poignée de chaque denrée vendue sur leurs terres.

Que l’abbé de Saint-Germain-des-Prés lui donnoit autrefois, le jour de S. Vincent patron de son abbaye, une tête de pourceau, & le faisoit marcher le premier à la procession.

Que du tems que les religieux du Petit-Saint-Antoine nourrissoient dans leur porcherie près l’église des pourceaux qui couroient les rues, & que ceux qui en nourrissoient à Paris n’osoient les faire sortir, tout autant que le bourreau en rencontroit, il les menoit à l’hôtei-Dieu, & la tête étoit pour lui, ou bien on lui donnoit cinq sous ; que présentement il a encore quelques droits sur les denrées étalées aux halles & ailleurs les jours de marché.

Ces droits, dont parle Sauval, sont ce que l’on appelle communément havage, & ailleurs havée, havagium, havadium, vieux mot qui signifie le droit que l’on a de prendre sur les grains dans les marchés autant qu’on en peut prendre avec la main. Le bourreau de Paris avoit un droit de havage dans les marchés, & à cause de l’infamie de son métier, on ne lui laissoit prendre qu’avec une cuillere de fer-blanc, qui servoit de mesure. Ses préposés qui per-