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marié ; qu’à Reutlingue, ville impériale de Suabe, c’étoit le conseiller dernier reçû ; & à Stedien, petite ville de Thuringe, celui des habitans qui étoit le dernier habitué dans le lieu.

On dit que Witolde, prince de Lithuanie, introduisit chez cette nation que le criminel condamné à mort eût à se défaire lui-même de sa main, trouvant étrange qu’un tiers, innocent de la faute, fût employé & chargé d’un homicide ; mais suivant l’opinion commune, on ne regarde point comme un homicide, ou du moins comme un crime, l’exécution à mort qui est faite par le bourreau, vû qu’il ne fait qu’exécuter les ordres de la justice, & remplir un ministere nécessaire.

Puffendorf, en son traité du droit de la nature & des gens, met le bourreau au nombre de ceux que les lois de quelques pays excluent de la compagnie des honnêtes gens, ou qui ailleurs en sont exclus par la coûtume & l’opinion commune ; & Beyer, que nous avons déjà cité, dit qu’en Allemagne la fonction de bourreau est communément jointe au métier d’écorcheur ; ce qui annonce qu’on la regarde comme quelque chose de très-bas.

Il y a lieu de croire que ce qu’il dit ne doit s’appliquer qu’à ceux qui font les exécutions dans les petites villes, & qui ne sont apparemment que des valets ou commis des exécuteurs en titre établis dans les grandes villes ; car il est notoire qu’en Allemagne ces sortes d’officiers ne sont point réputés infâmes, ainsi que plusieurs auteurs l’ont observé : quelques-uns prétendent même qu’en certains endroits d’Allemagne le bourreau acquiert le titre & les priviléges de noblesse, quand il a coupé un certain nombre de têtes, porté par la coutume du pays.

Quoi qu’il en soit de ce dernier usage, il est certain que le préjugé où l’on est en France & ailleurs à cet égard, est bien éloigné de la maniere dont le bourreau est traité en Allemagne. Cette différence est sur-tout sensible à Strasbourg, où il y a deux exécuteurs, l’un pour la justice du pays, l’autre pour la justice du roi : le premier, qui est allemand, y est fort considéré : l’autre au contraire, qui est françois, n’y est pas mieux accueilli que dans les autres villes de France.

Les gens de ce métier sont aussi en possession de remettre les os disloqués ou rompus, quoique le corps des Chirurgiens se soit souvent plaint de cette entreprise ; il est intervenu différentes sentences qui ont laissé le choix à ceux qui ont des membres disloqués ou démis, de se mettre entre les mains des Chirurgiens, ou en celles du bourreau pour les fractures ou luxations seulement, à l’exclusion de toutes autres opérations de Chirurgie : il en est de même en France dans la plûpart des provinces.

Beyer dit encore que quelques auteurs ont mis au nombre des droits régaliens, celui d’accorder des provisions de l’office d’exécuteur. Il ajoûte que ceux qui ont droit de justice, n’ont pas tous droit d’avoir un exécuteur, mais seulement ceux qui ont merum imperium, qu’on appelle droit de glaive ou justice de sang.

En France, le roi est le seul qui ait des exécuteurs de justice, lesquels sont la plûpart en titre d’office ou par commission du roi. Ces offices, dit Loyseau, sont les seuls auxquels il n’y a aucun honneur attaché ; ce qu’il attribue à ce que cet office, quoique très-nécessaire, est contre nature. Cette fonction est même regardée comme infâme ; c’est pourquoi quand les lettres du bourreau sont scellées, on les jette sous la table.

Les seigneurs qui ont haute-justice, n’ont cependant point de bourreau, soit parce qu’ils ne peuvent créer de nouveaux offices, soit à cause de la difficulté qu’il y a de trouver des gens pour remplir cette fonction. Lorsqu’il y a quelqu’exécution à faire dans

une justice seigneuriale, ou même dans une justice royale pour laquelle il n’y a pas d’exécuteur, on fait venir celui de la ville la plus voisine.

Barthole sur la loi 2. ff. de publicis judiciis, dit que si l’on manque de bourreau, le juge peut absoudre un criminel, à condition de faire cette fonction, soit pour un tems, soit pendant toute sa vie ; & dans ce dernier cas celui qui est condamné à faire cette fonction, est proprement servus pana : il y en a un arrêt du parlement de Bordeaux, du 13 Avril 1674. Voyez la Peyrere, lett. E.

Si le juge veut contraindre quelqu’autre personne à remplir cette fonction, il ne le peut que difficilement. Gregorius Tolosanus dit, vix potest. Paris de Puteo, en son traité de syndico, au mot manivoltus, dit que si on prend pour cela un mendiant ou autre personne vile, il faut lui payer cinq écus pour son salaire, quinque aureos.

Il s’éleva en l’échiquier tenu à Roüen à la S. Michel 1312, une difficulté par rapport à ce qu’il n’y avoit point d’exécuteur, ni personne qui en voulût faire les fonctions. Pierre de Hangest, qui pour lors étoit bailli de Roüen, prétendit que cela regardoit les sergens de la vicomté de l’eau ; mais de leur part ils soûtinrent avec fermeté qu’on ne pouvoit exiger d’eux une pareille servitude ; que leurs prédécesseurs n’en avoient jamais été tenus, & qu’ils ne s’y assujettiroient point ; qu’ils étoient sergens du roi, & tenoient leurs sceaux de Sa Majesté ; que par leurs lettres il n’étoit point fait mention de pareille chose. Ce débat fut porté à l’échiquier, où présidoit l’évêque d’Auxerre, où il fut décidé qu’ils n’étoient pas tenus de cette fonction ; mais que dans le cas où il ne se trouveroit point d’exécuteur, ils seroient obligés d’en aller chercher un, quand bien même ils iroient au loin, & que ce seroit aux dépens du roi, à l’effet de quoi le receveur du domaine de la vicomté de Roüen seroit tenu de leur mettre entre les mains les deniers nécessaires.

Cependant un de mes confreres, parfaitement instruit des usages du parlement de Roüen, où il a fait long-tems la profession d’avocat, m’a assûré qu’on tient pour certain dans ce parlement, que le dernier des huissiers ou sergens du premier juge peut être contraint, lorsqu’il n’y a point de bourreau, d’en faire les fonctions. Comme ces cas arrivent rarement, on ne trouve pas aisément des autorités pour les appuyer.

En parcourant les comptes & ordinaires de la prevôté de Paris, rapportés par Sauval, on trouve que c’étoient communément des sergens à verge du châtelet qui faisoient l’office de tourmenteur juré du roi au châtelet de Paris. Ce mot tourmenteur venoit du latin tortor, que l’on traduit souvent par le terme de bourreau. Ces tourmenteurs jurés faisoient en effet des fonctions qui avoient beaucoup de rapport avec celles du bourreau. C’étoient eux, par exemple, qui faisoient la dépense & les préparatifs nécessaires pour l’exécution de ceux qui étoient condamnés au feu ; ils fournissoient aussi les demi-lames ferrées où on exposoit les têtes coupées sur l’échafaud : enfin on voit qu’ils fournissoient un sac pour mettre le corps de ceux qui avoient été exécutés à mort, comme on voit par les comptes de 1439, 1441 & 1449.

Cependant il est constant que cet office de tourmenteur juré n’étoit point le même que celui de bourreau : ce tourmenteur étoit le même officier que l’on appelle présentement questionnaire.

Il est vrai que dans les justices où il n’y a point de questionnaire en titre, on fait souvent donner la question par le bourreau. On fait néanmoins une différence entre la question préparatoire & la question définitive ; la premiere ne doit pas être donnée par la main du bourreau, afin de ne pas imprimer une