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moral de se décider ou de ne se pas décider pour la même chose : elle n’est donc pas libre dans ce moment ; ainsi elle n’a pas, dans le tems où elle veut décisivement délibérer, ni dans le tems où elle se détermine décisivement, le double pouvoir actuel d’acquiescer & de se désister, dans lequel consiste la liberté ; ce qui paroît en effet exclure toute liberté. Mais il faut être fort attentif à distinguer les volontés indécises des volontés décisives. Quand l’ame a plusieurs volontés indécises qui se contrarient, il faut qu’elle examine & qu’elle délibere ; or c’est dans le tems de la délibération qu’elle est réellement libre, qu’elle a indéterminément le double pouvoir d’être décidée, ou à se refuser ou à se livrer à une volonté indécise, puisqu’elle délibere effectivement, ou pour se refuser, ou pour se livrer décisivement à cette volonté, selon les motifs qui la décideront après la délibération.

Les motifs naturels sont de deux sortes, instructifs & affectifs ; les motifs instructifs nous déterminent par les lumieres de la raison ; les motifs affectifs nous déterminent par le sentiment actuel, qui est la même chose dans l’homme que ce qu’on appelle vulgairement instinct dans les bêtes.

La liberté naturelle est resserrée entre deux états également opposés à la liberté même : ces deux états sont l’invincibilité des motifs & la privation des motifs. Quand les sensations affectives sont trop pressantes & trop vives relativement aux sensations instructives & aux autres motifs actuels, l’ame ne peut, sans des secours surnaturels, les vaincre par elle-même. La liberté n’existe pas non plus dans la privation d’intérêts & de tout autre motif ; car dans cet état d’indifférence les déterminations de l’ame, si l’ame pouvoit alors se déterminer, seroient sans motif, sans raison, sans objet : elles ne seroient que des déterminations spontanées, fortuites, & entierement privées d’intention pour le bien ou pour le mal, & par conséquent de tout exercice de liberté & de toute direction morale. Les motifs sont donc eux-mêmes de l’essence de la liberté ; c’est pourquoi les Philosophes & les Théologiens n’admettent point de libre arbitre versatile par lui-même, ni de libre arbitre nécessité immédiatement par des motifs naturels ou surnaturels.

Dans l’exercice tranquille de la liberté, l’ame se détermine presque toûjours sans examen & sans délibération, parce qu’elle est instruite des regles qu’elle doit suivre sans hésiter. Les usages légitimes établis entre les hommes qui vivent en société, les préceptes & les secours de la religion, les lois du gouvernement qui intéressent par des récompenses ou par des châtimens, les sentimens d’humanité ; tous ces motifs réunis à la connoissance intime du bien & du mal moral, à la connoissance naturelle d’un premier principe auquel nous sommes assujettis, & aux connoissances révelées, forment des regles qui soûmettent les hommes sensés & vertueux.

La loi naturelle se présente à tous les hommes, mais ils l’interpretent diversement ; il leur faut des regles positives & déterminées, pour fixer & assûrer leur conduite. Ainsi les hommes sages ont peu à examiner & à délibérer sur leurs intérêts dans le détail de leurs actions morales ; dévoüés habituellement à la regle & à la nécessité de la regle, ils sont immédiatement déterminés par la regle même.

Mais ceux qui sont portés au déréglement par des passions vives & habituelles, sont moins soûmis par eux-mêmes à la regle, qu’attentifs à la crainte de l’infamie & des punitions attachées à l’infraction de la regle. Dans l’ordre naturel, les intérêts ou les affections se contrarient ; on hésite, on délibere, on répugne à la regle ; on est enfin décidé ou par la passion qui domine, ou par la crainte des peines.

Ainsi la regle qui guide les uns suffit dans l’ordre moral pour les déterminer sans hésiter & sans délibérer ; au lieu que la contrariété d’intérêt qui affecte les autres, résiste à la regle ; d’où naît l’exercice de la liberté animale, qui est toûjours dans l’homme un desordre, un combat intenté par des passions trop vives qui résultent d’une mauvaise organisation du corps, naturelle ou contractée par de mauvaises habitudes qui n’ont pas été réprimées. L’ame est livrée alors à des sensations affectives, si fortes & si discordantes, qu’elles dominent les sensations instructives qui pourroient la diriger dans ses déterminations ; c’est pourquoi on est obligé dans l’ordre naturel de recourir aux punitions & aux châtimens les plus rigoureux, pour contenir les hommes pervers.

Cette liberté animale ou ce conflit de sensations affectives qui bornent l’attention de l’ame à des passions illicites, & aux peines qui y sont attachées, c’est-à-dire au bien & au mal physique ; cette prétendue liberté, dis-je, doit être distinguée de la liberté morale ou d’intelligence, qui n’est pas obsédée par des affections déréglées ; qui rappelle à chacun ses devoirs envers Dieu, envers soi-même, envers les autres ; qui fait appercevoir toute l’indignité du mal moral, de l’iniquité du crime, du déréglement ; qui a pour objet le bien moral, le bon ordre, l’observation de la regle, la probité, les bonnes œuvres, les motifs ou les affections licites, l’intérêt bien entendu. C’est cette liberté qui fait connoître l’équité, la nécessité, les avantages de la regle ; qui fait chérir la probité, l’honneur, la vertu, & qui porte dans l’homme l’image de la divinité : car la liberté divine n’est qu’une pure liberté d’intelligence. C’est dans l’idée d’une telle liberté, à la quelle l’homme est élevé par son union avec l’intelligence divine, que nous appercevons que nous sommes réellement libres ; & que dans l’ordre naturel nous ne sommes libres effectivement, qu’autant que nous pouvons par notre intelligence diriger nos déterminations morales, appercevoir, examiner, apprécier les motifs licites qui nous portent à remplir nos devoirs, & à résister aux affections qui tendent à nous jetter dans le déréglement : aussi convient-on que dans l’ordre moral les enfans, les fous, les imbécilles ne sont pas libres. Ces premieres vérités évidentes sont la base des connoissances surnaturelles, les premiers développemens des connoissances naturelles, les vérités fondamentales des Sciences, les lois qui dirigent l’esprit dans le progrès des connoissances, les regles de la conduite de tous les animaux dans leurs actions relatives à leur conservation, à leurs besoins, à leurs inclinations, à leur bonheur, & à leur malheur.

* EVIEN, adj. (Myth.) surnom de Bacchus : on dit qu’il lui resta d’une exclamation de joie que son pere, transporté d’admiration, poussa en lui voyant défaire un géant. Evius vient des mots grecs εὖ υἱὲ courage, mon fils.

EVIER, s. m. (Maçon.) pierre creusée & percée d’un trou, avec grille, qu’on place à hauteur d’appui dans une cuisine, pour laver la vaisselle & en faire écouler l’eau : c’est aussi un canal de pierre qui sert d’égoût dans une cour ou une allée. (P)

EVINCER, v. act. (Jurisprud.) c’est déposséder quelqu’un juridiquement d’un héritage ou autre immeuble. On peut être évincé en plusieurs manieres. comme par une demande en complainte, ou par une demande en desistement ; par une demande en déclaration d’hypotheque, par une saisie réelle, par un retrait féodal ou lignager, ou par un remeré ou retrait conventionnel : bien entendu que dans tous ces cas le possesseur n’est point évincé de plein droit en vertu des procédures faites contre lui ; il ne peut l’être juridiquement qu’en vertu d’un jugement qui