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tions ; & que c’est une chose généralement reçûe des Chimistes éclairés, juges compétens dans cette matiere, que ces hypothèses des Physiciens sont très-éloignées d’être d’accord avec les phénomenes de la dissolution.

Après avoir expliqué la maniere dont les particules évaporables se détachent de la superficie des corps, & passent dans l’air, M. Hamberger se sert d’une nouvelle supposition, pour expliquer le méchanisme par lequel les molécules s’élevent dans l’atmosphere : il pense que l’air est échauffé par les vapeurs ; que cet air chargé de vapeurs, devenu plus chaud, & par conséquent plus rare & plus leger que l’air environnant, s’éleve nécessairement, & par son mouvement entraîne avec lui les vapeurs : mais cette seconde partie de son hypothese a encore le défaut de supposer que les molécules évaporables ne s’élevent dans l’atmosphere qu’autant que les corps desquels elles se détachent sont plus chauds que l’air environnant ; ce qui est, comme nous l’avons déjà remarqué, contraire à l’observation journaliere.

Après cet examen des principales hypothèses que les Physiciens nous ont données sur l’évaporation, je crois, comme je l’ai déjà dit, devoir rendre compte de ce que j’ai donne moi-même sur cette matiere. C’est ce que je vais faire en transcrivant une partie de mon memoire, pour en expliquer clairement le dessein : je commence par quelques remarques sur le mot dissolution.

« Le mot dissolution est employé par les Chimistes, pour signifier des choses très-différentes. Quelquefois ils s’en servent pour exprimer l’action du dissolvant sur le corps qui s’y dissout. C’est dans ce sens qu’ils disent que la dissolution du sel dans l’eau se fait par l’action des molécules d’eau, qui, comme autant de coings, s’insinuent entre les molécules du sel, ou parce que les molécules d’eau ont une affinité particuliere avec les particules du sel. Dans d’autres circonstances, il se servent du mot dissolution, pour signifier le mélange singulier qui résulte de la suspension du corps dissous dans le dissolvant. On attache cette idée au mot dissolution, lorsqu’on dit : la dissolution du cuivre dans l’huile de vitriol est bleue. C’est dans ce dernier sens que l’employerai ordinairement le mot dissolution dans ce mémoire. S’il m’arrive de lui donner la premiere signification, j’aurai soin de le déterminer par les termes qui l’accompagneront.

» Nous n’avons jusqu’ici aucune connoissance certaine sur le méchanisme de la dissolution, considérée comme l’action du dissolvant. Les meilleurs Chimistes prétendent que la nature du mélange singulier du dissolvant, & du corps dissous qui constitue l’état de dissolution, est mieux connue, & qu’il consiste dans l’union intime des dernieres molécules de ces deux corps. Mais comme cette considération n’est point essentielle à mon objet, je ne m’arrêterai point à examiner les expériences qui semblent démontrer la vérité de ce sentiment. Il me suffira de remarquer que ce mélange singulier, qui constitue l’état de dissolution, est caractérisé par une propriété sensible à laquelle on peut le reconnoître.

» Cette qualité sensible, c’est la transparence. Ainsi, de l’aveu de tous les Chimistes, lorsqu’un corps solide ou fluide est suspendu dans un fluide, de sorte que du mélange de ses deux corps, il en résulte un fluide homogene & transparent, alors on peut dire que les deux corps sont mêlés dans l’état d’une véritable dissolution. Si au contraire un corps solide divisé en molécules très-subtiles, est suspendu dans un fluide transparent, de sorte que du mélange de ces deux corps, il résulte un

tout hétérogene opaque ; alors on peut assûrer qu’il n’y a point de véritable dissolution, & que le corps solide est suspendu dans le fluide, dans l’état que les Chimistes appellent état de simple division méchanique. De même si deux fluides sont mêlés ensemble, de sorte que leurs molécules, quoique très-subtiles, ne soient cependant pas si intimement unies, qu’elles ne conservent encore leurs propriétés particulieres ; le fluide qui résulte du mêlange de ces deux fluides, n’est point homogene. Les réfractions différentes que la lumiere souffre en le traversant, le rendent opaque, quoique composé de deux fluides transparens ; & dans ce cas, il n’y a point de véritable dissolution ; ces deux fluides sont mêlés dans l’état de simple division méchanique.

» Après ce que je viens de dire sur la dissolution, on concevra aisément le dessein de ce mémoire. Le voici en peu de mots. Personne n’ignore que l’eau peut se charger de sel, & le soûtenir dans l’état de véritable dissolution. On sait de plus que le mélange d’eau & de sel a certaines propriétés particulieres ; que, par exemple, une certaine quantité d’eau à un degré de chaleur donné, ne peut tenir en dissolution qu’une quantité de sel déterminée ; qu’étant saoulée de sel à un degré de chaleur donné, elle en pourroit dissoudre de nouveau, si on l’échauffoit d’avantage ; qu’au contraire, si elle venoit à se refroidir, elle laisseroit nécessairement précipiter une partie du sel qu’elle tenoit en dissolution. Appliquez au mélange d’air & d’eau, qui constitue notre atmosphere, ce que je viens de dire sur les dissolutions des sels dans l’eau, c’est-là le principal objet de la premiere partie de ce mémoire. Je me propose donc de faire voir que l’air de notre atmosphere contient toûjours de l’eau dans l’état de véritable dissolution ; qu’une quantité d’air déterminée à un degré de chaleur donné, ne peut tenir en dissolution qu’une certaine quantité d’eau ; qu’étant saoulé d’eau à un degré de chaleur donné, il en pourroit dissoudre de nouvelle, si on l’échauffoit davantage ; qu’au contraire, si étant saoulé d’eau à un degré de chaleur donné, il vient à se refroidir, il laisse nécessairement précipiter une partie de l’eau qu’il tenoit en dissolution ».

Article premier. L’eau souffre dans l’air une véritable dissolution. « Cette proposition peut facilement se démontrer par une expérience connue de tout le monde, mais à laquelle on n’avoit pas fait toute l’attention qu’elle mérite. Il s’agit seulement de mettre un jour d’été de la glace dans un verre bien sec. Le verre s’obscurcit bien-tôt après ; ses parois extérieures se couvrent d’une infinité de petites bulles d’eau. L’eau qui, dans cette expérience, s’attache en très-grande quantité aux parois du verre, se trouvoit donc suspendue dans l’air qui l’environnoit, & comme elle ne troubloit point sa transparence, cette expérience réussissant par le tems le plus serein, il est clair qu’elle y étoit contenue dans l’état l’une véritable dissolution. Ce sont les premieres réflexions que j’ai faites sur cette expérience, qui m’ont conduit de conséquence en conséquence, à toutes les propositions que je tâcherai d’établir dans ce mémoire ».

Art. II. Cette dissolution a les mêmes propriétés que la dissolution de la plûpart des sels dans l’eau. « L’air échauffé à un degré de chaleur donné, ne peut tenir en dissolution qu’une quantité d’eau déterminée. Si étant chargé de cette quantité d’eau, il vient à se refroidir, il laisse précipiter une partie de l’eau qu’il tenoit en dissolution[1]. Si au con-

  1. « J’employe dans ce mémoire les mots précipiter & précipitation dans le sens des Chimistes, pour signifier le