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même espece, puisqu’ils produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes en produire d’autres ; au lieu que le cheval & l’âne sont certainement de différentes especes, puisqu’ils ne produisent ensemble que des individus viciés & inféconds.

» C’est donc dans la diversité caractéristique des especes, que les intervalles des nuances de la nature sont les plus sensibles & les mieux marqués ; on pourroit même dire que ces intervalles entre les especes sont les plus égaux & les moins variables de tous, puisqu’on peut toûjours tirer une ligne de séparation entre deux especes, c’est-à-dire entre deux successions d’individus qui se reproduisent & ne peuvent se mêler, comme l’on peut aussi réunir en une seule espece deux successions d’individus qui se reproduisent en se mêlant. Ce point est le plus fixe que nous ayons en Histoire naturelle ; toutes les autres ressemblances & toutes les autres différences que l’on pourroit saisir dans la comparaison des êtres, ne seroient ni si constantes, ni si réelles, ni si certaines…

» L’espece n’étant donc autre chose qu’une succession constante d’individus semblables & qui se reproduisent, il est clair que cette dénomination ne doit s’étendre qu’aux animaux & aux végétaux, & que c’est par un abus des termes ou des idées que les nomenclateurs l’ont employée pour désigner les différentes sortes de minéraux : on ne doit donc pas regarder le fer comme une espece, & le plomb comme une autre espece, mais seulement comme deux métaux différens… » M. de Buffon, hist. nat. ger. & part. &c. tom. IV. p. 784 & suiv.

Especes, (Pharm.) en latin species. On entend, en Pharmacie, par especes, différentes drogues simples mêlées ensemble, & destinées à entrer dans les décoctions, dans les infusions, & même dans les électuaires. C’est ainsi qu’on dit espece de decoctum sudoriferum, especes de la confection hyacinthe, especes des tablettes diacarthami, &c.

On donne aussi ce nom à plusieurs poudres composées, officinales ; ainsi au lieu de dire la poudre de diarrhodon, on dit les especes diarrhodon, &c.

Les vulnéraires suisses s’appellent encore especes vulnéraires, &c.

On donne aussi le nom de thé aux especes qui sont destinées à être infusées ; ainsi on dit thé vulnéraire, thé céphalique, thé pectoral, aussi bien qu’especes vulnéraires, especes céphaliques, especes pectorales. (b)

Especes, (Chimie.) Quelques auteurs de Chimie ont désigné par ce nom les produits généraux de l’ancienne analyse, ou les fameux principes des Chimistes, l’huile, le sel, &c. Voyez Principe. (b)

Espece, (Jurisp.) signifie quelquefois le fait & les circonstances qui ont précédé ou accompagné quelque chose : ainsi on dit l’espece d’une question, ou d’un jugement.

Espece signifie aussi quelquefois la chose même qui doit être rendue, & non pas une autre semblable. Il y a des choses fungibles qui peuvent être remplacées par d’autres, comme de l’argent, du grain, du vin, &c. mais les choses qui ne sont pas fungibles, comme un cheval, un bœuf, doivent être rendues en espece ; c’est-à-dire que l’on doit rendre précisément le même cheval ou bœuf qui a été preté.

Especes, en style de Palais, signifie aussi quelquefois de l’argent comptant : on dit payable en especes ; on ajoûte quelquefois sonnantes, pour dire que le payement ne se fera point en billets. (A)

Especes, (Comm.) ce sont les différentes pieces de monnoie qui servent dans le Commerce, ou dans différentes actions de la vie civile, à payer le prix de la valeur des choses.

Il n’y a dans un état d’especes courantes que cel-

les autorisées par le prince ; & le droit d’en faire

fabriquer n’appartient qu’au souverain, & est un droit domanial de la couronne. Si anciennement divers seigneurs, barous, & évêques, avoient droit de faire battre monnoie, c’est que sans doute ce droit leur avoit été cédé avec la joüissance du fief, ou qu’ils le possédoient à titre de souveraineté ; ce qui sous les deux premieres races fut souffert dans le tems foible de l’autorité royale, tems où s’établit le genre d’autorité nommé suseraineté, espece de seigneurie que le bon droit eut tant de peine à détruire, après que le mauvais droit l’eut usurpé si facilement.

En 1262, l’ordonnance sur le fait des monnoies, dit que dans les terres où les barons n’avoient point de monnoie, il n’y aura que celle du roi qui y aura cours ; & que dans les terres où les barons auroient une monnoie, celle du roi aura cours pour le même prix qu’elle auroit dans ses domaines.

Philippe-le-Bel commença à réduire les hauts seigneurs à vendre leur droit de battre monnoie, & l’édit de 1313 gêna si fort la fabrication, qu’ils y renoncerent.

Philippe-le-Long songeoit quand il mourut (dit le président Hénault) à faire ensorte que dans la France on se servît de la même monnoie, & à rendre les poids & les mesures un formes. Louis XI. eut depuis la même pensée. Voyez Poids & Mesure.

Il n’appartient qu’à l’histoire de fixer le tems où l’on a commencé à fabriquer les différentes especes, de parler des matieres & des marques en usage dans les tems reculés.

Le but de l’Encyclopédie n’est que de faire remarquer aux hommes les choses qui se passent sous leurs yeux ; si l’on rappelle celles qui se sont passées, ce n’est que par le rapport qu’elles ont aux présentes, ou afin d’en faire une comparaison qui opere un avantage pour la réforme de ce qui se pratique. Il est bon de satisfaire la curiosité des lecteurs, il est mieux de les instruire utilement. Nous renvoyons donc à l’histoire pour tout ce qui n’est pas maintenant en usage. Il est à-propos cependant de parler du florin, du parisis, & du tournois. La premiere de ces especes étoit une monnoie réelle qui étoit fort sujette à varier d’autant plus souvent, que les rois de France regardoient les droits qu’ils retiroient de ces mutations comme une des principales branches de leurs revenus. En 1361, le bon florin, ou le florin de poids, valoit douze tournois d’argent, le tournois quinze deniers tournois : donc le florin valoit cent quatre-vingt deniers tournois, ou quinze sous tournois.

Le parisis n’est plus qu’un terme qui signifie le quart en sus. Ce nom vient de ce que la monnoie réelle frappée à Paris, valoit un quart en sus plus que celle frappée à Tours. Elle n’est plus d’usage ; nous n’en parlons que pour faire entendre que lorsqu’on trouvera dans quelque ordonnance ce terme employé, il signifie le quart en sus.

Le tournois étoit une monnoie frappée à Tours ; elle n’est plus monnoie réelle, elle est maintenant de compte : on dit une livre tournois, un sou tournois ; elle est moindre que le parisis d’un cinquieme, c’est celle qui est en usage aujourd’hui quant au terme seulement.

Les especes qui ont cours en France sont les pieces d’or, nommées anciennement écus. La fabrication des écus d’argent ne fut ordonnée qu’en Septembre 1641 ; & lorsqu’avant ce tems on parle d’écus, cela veut dire des écus d’or. Ce n’est pas qu’avant ce tems il n’y eût des especes d’argent ; la fabrication des grosses especes d’argent avoit commencé sous Louis XII. qui fit ouvrer les gros testons ; ils ont continué jusqu’à Henri III. lequel en interdisant leur fabrication,