Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/976

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont libres, & si-tôt qu’un esclave y entre, en se faisant baptiser il acquiert sa liberté, ce qui n’est établi par aucune loi, mais par un long usage qui a acquis force de loi.

Il ne reste plus d’esclaves proprement dits dans les pays de la domination de France, que dans les îles françoises de l’Amérique ; l’édit du mois de Mars 1685, appellé communément le code noir, contient plusieurs réglemens par rapport aux negres que l’on tient esclaves dans ces îles.

Cet édit ordonne que tous les esclaves qui seront dans les îles françoises seront baptisés, instruits dans la religion catholique, apostolique, & romaine : il est enjoint aux maîtres qui acheteront des negres nouvellement arrivés, d’en avertir dans huitaine les gouverneurs & intendans des îles, qui donneront les ordres pour les faire instruire & baptiser dans le tems convenable.

Les maîtres ne doivent point permettre ni souffrir que leurs esclaves fassent aucun exercice public ni assemblée, pour aucune autre religion.

On ne doit préposer à la direction des negres que des commandeurs faisant profession de la religion catholique, à peine de confiscation des negres contre les maîtres qui les auroient préposés, & de punition arbitraire contre les commandeurs qui auroient accepté cette charge.

Il est défendu aux Religionnaires d’apporter aucun trouble à leurs esclaves dans l’exercice de la religion catholique, à peine de punition exemplaire.

Il est pareillement défendu de faire travailler les esclaves les dimanches & fêtes, depuis l’heure de minuit jusqu’au minuit suivant, soit à la culture de la terre, à la manufacture des sucres, ou autres ouvrages, à peine d’amende & de punition arbitraire contre les maîtres, & de confiscation tant des sucres que des esclaves qui seront surpris dans le travail.

On ne doit pas non plus tenir ces jours-là le marché des negres, sur pareilles peines, & d’amende arbitraire contre les marchands.

Les hommes libres qui ont un ou plusieurs enfans de leur concubinage avec leurs esclaves, & les maîtres qui l’ont souffert, sont condamnés chacun à une amende de 2000 livres de sucre ; & si c’est le maître de l’esclave, il est en outre privé de l’esclave & des enfans, elle & eux sont confisqués au profit de l’hôpital, sans pouvoir jamais être affranchis. Ces peines n’ont cependant point lieu, lorsque le maître n’étant point marié à une autre, épouse en face d’église son esclave, laquelle est affranchie par ce moyen & les enfans rendus libres & légitimes.

Toutes les formalités prescrites par les ordonnances sont nécessaires pour le mariage des esclaves, excepté le consentement des pere & mere de l’esclave ; celui du maître suffit. Les curés ne doivent point marier les esclaves sans qu’on leur fasse apparoir de ce consentement. Il est aussi défendu aux maîtres d’user d’aucune contrainte sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré.

Les enfans qui naissent d’un mariage entre esclaves sont aussi esclaves, & appartiennent aux maîtres des femmes esclaves, & non à ceux de leur mari, si le mari & la femme ont des maîtres différens.

Lorsqu’un esclave épouse une femme libre, les enfans tant mâles que femelles suivent la condition de leur mere, & sont libres comme elle nonobstant la servitude de leur pere ; & si le pere est libre & la mere esclave, les enfans sont pareillement esclaves.

Les maîtres doivent faire inhumer dans les cimetieres destinés à cet effet, les esclaves baptisés. Ceux qui décedent sans avoir reçu le baptême, sont inhumés dans quelque champ voisin du lieu où ils sont décédés.

Les esclaves ne peuvent porter aucunes armes of-

fensives, ni de gros bâtons, à peine du foüet & de

confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis ; à l’exception de ceux qui sont envoyés à la chasse par leurs maîtres, & qui sont porteurs de leur billet ou marque connue.

Il est défendu aux esclaves de différens maîtres de s’attrouper, soit le jour ou la nuit, sous prétexte de nôces ou autrement, soit chez un de leurs maîtres ou ailleurs, encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle, qui ne peut être moindre que du foüet, & de la fleur-de-lis ; & en cas de fréquentes récidives & autres circonstances aggravantes, ils peuvent être punis de mort.

Les maîtres convaincus d’avoir permis ou toléré telles assemblées, composées d’autres esclaves que de ceux qui leur appartiennent, sont condamnés en leur propre & privé nom à réparer tout le dommage qui aura été fait à leurs voisins à l’occasion de ces assemblées, en dix écus d’amende pour la premiere fois, & au double en cas de récidive.

Il est défendu aux esclaves de vendre des cannes de sucre pour quelque cause ou occasion que ce soit, même avec la permission de leur maître, à peine du foüet contre l’esclave, de dix livres contre le maître qui l’aura permis, & pareille amende contre l’acheteur.

Il ne peuvent aussi exposer en vente au marché, ni porter dans les maisons pour vendre, aucunes denrées, fruits, légumes, bois, herbes, bestiaux de leurs manufactures, sans permission expresse de leurs maîtres par un billet ou par des marques connues, à peine de revendication des choses ainsi vendues sans restitution du prix par le maître, & de six livres d’amende à son profit contre l’acheteur. Il doit y avoir dans chaque marché deux personnes préposées pour tenir la main à cette disposition.

Les maîtres sont tenus de fournir chaque semaine à leurs esclaves, âgés de dix ans & au-dessus, pour leur nourriture, deux pots & demi mesure de pays de farine de Magnoc, ou trois cassaves pesant deux livres & demie chacun au moins, ou choses équivalant, avec deux livres de bœuf salé, ou trois livres de poisson, ou autres choses à proportion ; & aux enfans depuis qu’ils sont sevrés jusqu’à l’âge de dix ans, on doit fournir la moitié des mêmes vivres.

Il est défendu aux maîtres de donner aux esclaves de l’eau-de-vie de canne guildent, pour tenir lieu de ces vivres, ni de se décharger de la nourriture de leurs esclaves, en leur permettant de travailler certain jour de la semaine pour leur compte particulier.

Chaque esclave doit avoir par an deux habits de toile, ou quatre aulnes de toile au gré du maître.

Les esclaves qui ne sont point nourris, vêtus, & entretenus par leur maître, selon le réglement, peuvent en donner avis au procureur du roi, & mettre leurs mémoires entre ses mains, sur lesquels & même d’office les maîtres peuvent être poursuivis à sa requête & sans frais La même chose doit être observée pour les crieries & traitemens inhumains des esclaves.

Ceux qui deviennent infirmes par vieillesse, maladie, ou autrement, soit que la maladie soit incurable ou non, doivent être nourris & entretenus par leur maître ; & en cas qu’il les eût abandonnés, les esclaves sont adjugés à l’hôpital, auquel les maîtres sont condamnés de payer six sous par jour pour chaque esclave pour sa nourriture & entretien.

Les esclaves ne peuvent rien avoir qui ne soit à leur maître ; & tout ce qui leur vient par industrie ou par la libéralité d’autres personnes ou autrement, est acquis en pleine propriété à leur maître, sans que les enfans des esclaves, leurs pere & mere, leurs pa-