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là, ils sont affligés par des inflammations des amygdales, des oppressions asthmatiques, des graviers, des vers ronds, ascarides, des excroissances verruqueuses, des parotides enflées, des ardeurs d’urine, des écroüelles, & d’autres tubercules, des luxations des vertebres du cou : ainsi il paroît, d’après cette exposition, que les maladies des enfans ne sont pas les mêmes dans les différens tems plus ou moins éloignés de la naissance, & qu’elles ne les affectent pas toûjours de la même maniere ; qu’elles sont de plus ou moins longue durée, & qu’elles sont plus ou moins dangereuses, attendu que la différence de l’âge change le tissu des parties du corps, leur donne plus de fermeté. La différente nourriture & la diverse façon de vivre, ne contribuent pas peu aussi à changer la disposition des sujets à contracter différentes maladies.

Parmi celles qui viennent d’être rapportées d’après le pere de la Medecine, il en est qui se font d’abord connoître par elles-mêmes ; mais il en est d’autres que l’on ne peut connoître que difficilement. C’est pourquoi il est à propos d’en donner ici le diagnostic le plus exact qu’il est possible, quoique les signes soient souvent si cachés & si équivoques, que les medecins les plus pénétrans y sont quelquefois trompés ; car les enfans qui ne parlent pas ne peuvent pas faire connoître, par le rapport de ce qu’ils sentent, la nature de la maladie & jusqu’à quel point les fonctions sont lésées : on ne peut pas en juger par l’urine, avec quelque soin qu’on l’examine, ni par le pouls touché avec le plus d’attention, ni par les apparences extérieures qui sont très-souvent & très-facilement variables en bien & en mal : on ne peut s’assurer de rien par tous ces signes ; car l’urine des enfans, soit qu’ils se portent bien ou qu’ils soient malades, est presque toûjours épaisse & trouble ; & il n’est pas facile d’en avoir à part, parce qu’ils la rendent ordinairement avec les gros excrémens. Le pouls peut changer par une infinité de causes, être rendu ou plus fréquent ou plus lent ; ensorte qu’il pourroit en imposer à celui qui le touche, s’il portoit son jugement sur l’état du moment présent : d’ailleurs il est souvent très difficile de s’assûrer, deux secondes de suite, du bras des enfans, qui ne cessent ordinairement de remuer & d’empêcher qu’on ne puisse fixer ses doigts sur le carpe.

Cependant le medecin, pour ne pas rester dans l’incertitude, puisqu’il ne peut tirer aucun indice de ces deux signes, doit s’informer des assistans, & particulierement des femmes au soin desquelles les enfans sont remis, s’ils font des cris, s’ils sont agités, inquiets, & s’ils passent le jour & la nuit sans dormir ; s’ils font par la bouche des vents aigres ou nidoreux ; s’ils font des efforts pour vomir ; s’ils vomissent en effet, & quelles matieres ils rendent par le vomissement ; s’ils ont le hocquet ; & s’ils sont fatigués par des mouvemens convulsifs ; s’ils toussent & s’ils sont oppressés ; s’ils se vuident librement des ventosités & des matieres fécales ; quelle en est la consistence & la couleur ; & il fera d’autres questions de cette nature ; il n’omettra pas d’examiner attentivement toute la surface du corps de l’enfant malade, de la tête aux piés, pour sçavoir s’il ne paroît pas en quelque partie extérieure des rougeurs inflammatoires, ou quelque espece d’exanthème : il tâchera aussi de lui faire ouvrir la bouche, & de sentir si son haleine est bien chaude ; s’il a des pustules dans la bouche ; s’il a les gencives enflées ou enflammées : on peut tirer de toutes ces choses, comme de principes connus, des conséquences par lesquelles on peut parvenir à découvrir ce qui est plus caché, comme la nature de la maladie, &c.

De tout ce qui vient d’être dit sur les moyens de connoître les maladies des enfans, de ceux sur-tout

qui sont encore à la mammelle, il suit que quelque difficile qu’il soit d’en porter son jugement d’après l’inspection des malades, il est cependant possible de suppléer à ce qui manque de ce côté-là ; ainsi la plainte de ceux qui s’excusent du mauvais succès du traitement, sur l’incertitude du diagnostic, n’est pas tant fondée sur le défaut de symptome, que sur la précipitation & l’irrégularité de la méthode que l’on suit.

Boerhaave dans ses préleçons de Pathologie, publiées par le docteur Haller, en recherchant les causes des maladies des enfans, insiste sur ce qu’ils ont la tête & le genre nerveux plus considérables à proportion du reste du corps, que les adultes. Un homme nouveau-né, qui ne pese pas plus de douze livres, a la tête du poids de trois livres. Les adultes ont cette partie respectivement moins grosse à proportion qu’ils avancent plus en âge. Il conclud de-là que les maladies propres aux enfans sont presque toutes de la classe des convulsives, parce que le système des nerfs étant plus étendu dans les premiers tems de la vie que dans la suite, il est plus susceptible d’irritabilité, plus exposé à tout ce qui peut l’affecter. De mille enfans qui périssent, continue-t-il, à peine en voit-on mourir un sans que des mouvemens convulsifs ayent précédé. La plus petite fievre, une dent qui a de la peine à sortir, une legere douleur de ventre, une foible difficulté d’uriner ; tout mal de cette espece, qui n’affecteroit pas, pour ainsi dire, un homme de trente ans, fait tomber un enfant dans de violentes convulsions. Tout ce qui peut troubler l’économie dans cette petite machine, dispose à cet effet.

Car comme dans l’âge tendre les parties solides, à cause de leur débilité, n’agissent que foiblement sur les fluides, & ne les poussent qu’avec peine dans les extrémités des vaisseaux, il s’ensuit que le cours du sang & des autres humeurs peut être facilement rallenti, & que les secrétions doivent être conséquemment arrêtées. Cela étant, non-seulement les fluides augmentent en quantité de plus en plus, mais encore ils deviennent épais, & ils contractent des qualités absolument étrangeres & nuisibles. De cette plénitude non-seulement il se forme des engorgemens & des dégénérations ultérieures d’humeurs, mais encore il s’excite des mouvemens spasmodiques, par la pression, le tiraillement & l’irritation des nerfs des parties contenantes ; & la violence de ces spasmes affectant tous les solides & tous les fluides, toutes les fonctions en sont troublées, & les corps délicats des enfans, qui sont très-disposés à recevoir même les plus petites impressions, contractent aisément & promptement, par tous ces effets, de très-violentes maladies.

Il n’est par conséquent pas difficile, d’après toutes ces altérations, d’établir les véritables causes des principales maladies des enfans. En supposant, par exemple, une abondance d’humeurs pituiteuses, susceptibles de produire des engorgemens, on conçoit aisément comment ce vice dominant peut rendre les enfans sujets aux fréquentes fluxions catarrheuses, aux douleurs rhumatismales, aux embarras des poumons ; d’où les oppressions, les affections rheumatiques, asthmatiques, les déjections liquides, les diarrhées, les tumeurs des glandes, les amas d’ordures humides dans les oreilles, & autres semblables maladies. En supposant la dépravation & l’acrimonie des humeurs, il est aisé de voir pourquoi les enfans ont de la disposition à avoir fréquemment des aphthes & différentes affections exanthémateuses. Et enfin en supposant une très-grande sensibilité dans le genre nerveux, il paroît évidemment pourquoi ils sont tourmentés par de si violentes douleurs des parties internes, & de si fortes secousses convulsives des parties externes, pour peu qu’il se fasse d’irritation