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tre plus lente, ou la quantité d’espace dont l’une devance l’autre.

Le mouvement de la Lune par rapport au Soleil, ou l’arc compris entre la Lune & le Soleil, s’appelle l’élongation de la Lune au Soleil ; cependant les astronomes modernes se servent presque toûjours en ce cas du mot distance. Voyez les art. Lune & Soleil. On dit aussi élongation diurne, élongation horaire, &c.

Angle d’élongation, ou angle à la Terre, c’est la différence entre le vrai lieu du Soleil & le lieu géocentrique d’une planete ; tel est l’angle ETR (Planches d’Astron. fig. 26.) compris entre le lieu E du Soleil, & le lieu géocentrique R de la planete. Voy. Géocentrique, &c. (O)

Elongation, terme de Chirurgie ; c’est l’allongement d’une partie, causé par le gonflement des cartilages qui encroûtent les têtes & les cavités des os, ou par un amas d’humeurs dans la cavité articulaire qui enchâsse la tête de l’os. L’élongation est une espece de luxation imparfaite. M. Petit le chirurgien a parlé dans les mémoires de l’académie royale des Sciences, d’une luxation qui se fait peu-à-peu, & long-tems après l’action de la cause externe. Cela arrive principalement lorsqu’à l’occasion d’un coup ou d’une chûte, il y a eu une percussion dans la cavité, par la tête de l’os même. L’engorgement des cartilages est un effet ordinaire de la contusion qu’ils ont soufferte. Il y a aussi des causes internes du déplacement de l’os. Hippocrate (aphor. lx. sect. 6.) dit qu’il arrive par le relâchement des ligamens à la suite des douleurs sciatiques ; & il recommande l’application du cautere actuel, pour consumer l’humidité superflue qui abreuve les ligamens, afin de les rétablir dans leur ressort naturel. Le feu est un des meilleurs moyens que l’art puisse employer pour fortifier & corroborer les parties ; mais c’est un remede extrème, auquel on ne doit avoir recours qu’après avoir reconnu l’inutilité des douches, des fomentations, de l’application des sachets faits avec des médicamens qui peuvent avoir la vertu de remettre les parties dans leur état naturel. (Y)

ELOQUENCE, s. f. (Belles-Lettres) L’article suivant nous a été envoyé par M. de Voltaire, qui, en contribuant par son travail à la perfection de l’Encyclopédie, veut bien donner à tous les gens de Lettres citoyens, l’exemple du véritable intérêt qu’ils doivent prendre à cet ouvrage. Dans la lettre qu’il nous a fait l’honneur de nous écrire à ce sujet, il a la modestie de ne donner cet article que comme une simple esquisse ; mais ce qui n’est regardé que comme une esquisse par un grand maître, est un tableau précieux pour les autres. Nous exposons donc au public cet excellent morceau, tel que nous l’avons reçû de son illustre auteur : y pourrions-nous toucher sans lui faire tort ?

L’Eloquence, dit M. de Voltaire, est née avant les regles de la Rhétorique, comme les langues se sont formées avant la Grammaire. La nature rend les hommes éloquens dans les grands intérêts & dans les grandes passions. Quiconque est vivement émû, voit les choses d’un autre œil que les autres hommes. Tout est pour lui objet de comparaison rapide, & de métaphore : sans qu’il y prenne garde il anime tout, & fait passer dans ceux qui l’écoutent, une partie de son enthousiasme. Un philosophe très-éclairé a remarqué que le peuple même s’exprime par des figures ; que rien n’est plus commun, plus naturel que les tours qu’on appelle tropes. Ainsi dans toutes les langues le cœur brûle, le courage s’allume, les yeux étincellent, l’esprit est accablé : il se partage, il s’épuise : le sang se glace, la tête se renverse : on est enflé d’orgueil, enyvré de vengeance. La nature se peint par-tout dans ces images fortes devenues ordinaires.

C’est elle dont l’instinct enseigne à prendre d’abord un air, un ton modeste avec ceux dont on a besoin. L’envie naturelle de captiver ses juges & ses maîtres, le recueillement de l’ame profondément frappée, qui se prépare à déployer les sentimens qui la pressent, sont les premiers maîtres de l’art.

C’est cette même nature qui inspire quelquefois des débuts vifs & animés ; une forte passion, un danger pressant, appellent tout-d’un-coup l’imagination : ainsi un capitaine des premiers califes voyant fuir les Musulmans, s’écria : Où courez-vous ? ce n’est pas là que sont les ennemis. On vous a dit que le calife est tué : eh ! qu’importe qu’il soit au nombre des vivans ou des morts ? Dieu est vivant & vous regarde : marchez.

La nature fait donc l’éloquence ; & si on a dit que les poëtes naissent & que les orateurs se forment, on l’a dit quand l’éloquence a été forcée d’étudier les lois, le génie des juges, & la méthode du tems.

Les préceptes sont toûjours venus après l’art. Tisias fut le premier qui recueillit les lois de l’éloquence dont la nature donne les premieres regles.

Platon dit ensuite dans son Gorgias, qu’un orateur doit avoir la subtilité des dialecticiens, la science des philosophes, la diction presque des poëtes, la voix & les gestes des plus grands acteurs.

Aristote fit voir ensuite que la véritable philosophie est le guide secret de l’esprit dans tous les arts. Il creusa les sources de l’éloquence dans son livre de la Rhétorique ; il fit voir que la dialectique est le fondement de l’art de persuader, & qu’être éloquent c’est savoir prouver.

Il distingua les trois genres, le délibératif, le démonstratif, & le judiciaire. Dans le délibératif il s’agit d’exhorter ceux qui déliberent, à prendre un parti sur la guerre & sur la paix, sur l’administration publique, &c. dans le démonstratif, de faire voir ce qui est digne de loüange ou de blâme ; dans le judiciaire, de persuader, d’absoudre ou de condamner, &c. On sent assez que ces trois genres rentrent souvent l’un dans l’autre.

Il traite ensuite des passions & des mœurs que tout orateur doit connoître.

Il examine quelles preuves on doit employer dans ces trois genres d’éloquence. Enfin il traite à fond de l’élocution sans laquelle tout languit ; il recommande les métaphores pourvû qu’elles soient justes & nobles ; il exige sur-tout la convenance, la bienséance. Tous ses préceptes respirent la justesse éclairée d’un philosophe, & la politesse d’un Athénien ; & en donnant les regles de l’éloquence, il est éloquent avec simplicité.

Il est à remarquer que la Grece fut la seule contrée de la terre où l’on connût alors les lois de l’éloquence, parce que c’étoit la seule où la véritable éloquence existât. L’art grossier étoit chez tous les hommes ; des traits sublimes ont échappé par-tout à la nature dans tous les tems : mais remuer les esprits de toute une nation polie, plaire, convaincre & toucher à la fois, cela ne fut donné qu’aux Grecs. Les Orientaux étoient presque tous esclaves : c’est un caractere de la servitude de tout exagérer ; ainsi l’éloquence asiatique fut monstrueuse. L’Occident étoit barbare du tems d’Aristote.

L’éloquence véritable commença à se montrer dans Rome du tems des Gracques, & ne fut perfectionnée que du tems de Cicéron. Marc Antoine l’orateur, Hortensius, Curion, César, & plusieurs autres, furent des hommes éloquens.

Cette éloquence périt avec la république ainsi que celle d’Athenes. L’éloquence sublime n’appartient, dit-on, qu’à liberté ; c’est qu’elle consiste à dire des vérités hardies, à étaler des raisons & des peintures fortes. Souvent un maître n’aime pas la vérité,