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pour le grand roi ; mais il ne paroissoit pas clairement par son livre, si sous ce nom il désignoit J. C. ou s’il en entendoit un autre. Il défendoit de prier vers l’orient, & vouloit qu’on tournât le visage vers Jérusalem en quelque pays que l’on fût. Il condamnoit les sacrifices comme indignes de Dieu, & ne lui ayant, disoit-il, été offerts ni par les peres, c’est-à-dire les patriarches, ni en vertu de la loi. Il défendoit de manger de la chair comme faisoient les Juifs, & rejettoit l’autel & le feu ; mais il croyoit que l’eau étoit bonne, ce qui pourroit faire conjecturer qu’il admettoit une sorte de baptême.

Elxaï décrivoit le Christ comme une vertu céleste qui, née dès le commencement du monde, avoit paru de tems en tems sous divers corps, & il en décrivoit ainsi les dimensions : Vingt-quatre schoenes en longueur, c’est-à-dire quatre-vingt-seize mille pas ; six schoenes en largeur, ou vingt-quatre mille pas, & l’épaisseur à proportion. Ces mesures semblent avoir été forgées sur une interprétation grossiere de ces paroles de S. Paul aux Ephesiens, ch. iij. V. 18. ut possitis comprehendere cum omnibus sanctis, quæ sit latitudo, & longitudo, & sublimitas, & profundum. Par une erreur semblable, il donnoit au saint Esprit le sexe féminin, parce qu’en Hébreu rouats ou touach, qui signifie esprit, est de ce genre. Il le faisoit semblable au Christ & posé devant lui, droit comme une statue, sur un nuage entre deux montagnes, & toutefois invisible. Il donnoit à l’un & à l’autre la même mesure, & prétendoit l’avoir connue par la hauteur des montagnes, parce que leurs têtes y atteignoient. Enfin, il enseignoit dans son livre une priere en termes barbares, dont il défendoit de chercher l’explication, & que S. Epiphane traduit ainsi : la bassesse, la condamnation, l’oppression, la peine de mes peres est passée par la mission parfaite qui est venue. Ce pere, Origene, & Eusebe ont parlé des Elcésaïtes. Le premier les nomme aussi Samséens, du mot hébreu sames, qui signifie le soleil. Scaliger s’est trompé en prétendant qu’Elxaï étoit le même qu’Essaï ou Ezen ; & par une suite de sa premiere erreur, il a confondu les Elcesaïtes avec la secte des Esséens. Les disciples d’Elxaï se joignirent à ceux d’Ebion, & gardoient comm’eux la circoncision ; ils subsisterent plusieurs siecles, quoiqu’Eusebe, liv. VI. ch. xxxviij. assûre le contraire. Fleury, hist. ecclés. liv. I. tom. II. pag. 291. & 92. (G)

ELCHE, (Géog. mod.) ville du royaume de Valence en Espagne. Elle est située sur la Segre. Long. 17. 25. lat. 38. 10.

* ELÉATIQUE, (secte) Hist. de la Philosophie. La secte éléatique fut ainsi appellée d’Elée, ville de la grande Grece, où naquirent Parménide, Zénon, & Leucippe, trois célebres défenseurs de la philosophie dont nous allons parler.

Xénophane de Colophone passe pour le fondateur de l’Eléatisme. On dit qu’il succéda à Telauge fils de Pythagore, qui enseignoit en Italie la doctrine de son pere. Ce qu’il y a de certain, c’est que les Eléatiques furent quelquefois appellés Pythagoriciens.

Il se fit un grand schisme dans l’école éléatique, qui la divisa en deux sortes de philosophes qui conserverent le même nom, mais dont les principes furent aussi opposés qu’il étoit possible qu’ils le fussent ; les uns se perdant dans des abstractions, & élevant la certitude des connoissances métaphysiques aux dépens de la science des faits, regarderent la physique expérimentale & l’étude de la nature comme l’occupation vaine & trompeuse d’un homme qui, portant la vérité en lui-même, la cherchoit au-dehors, & devenoit de propos délibéré le joüet perpétuel de l’apparence & des phantômes : de ce nombre furent Xénophane, Parménide, Mélisse, & Zénon ; les autres, au contraire, persuadés qu’il n’y a de vérité que dans

les propositions fondées sur le témoignage de nos sens, & que la connoissance des phénomenes de la nature est la seule vraie philosophie, se livrerent tout entiers à l’étude de la Physique : & l’on trouve à la tête de ceux-ci les noms célebres de Leucippe, de Démocrite, de Protagoras, de Diagoras, & d’Anaxarque. Ce schisme nous donne la division de l’histoire de la philosophie éléatique, en histoire de l’Eléatisme métaphysique, & en histoire de l’Eléatisme physique.

Histoire des éléatiques métaphysiciens. Xénophane vécut si long-tems, qu’on ne sait à quelle année rapporter sa naissance. La différence entre les historiens est de vingt olympiades : mais il est difficile d’en trouver une autre que la cinquante-sixieme, qui satisfasse à tous les faits donnés. Xénophane, né dans la cinquante-sixieme olympiade, put apprendre les élémens de la Grammaire, tandis qu’Anaximandre fleurissoit ; entrer dans l’école pythagoricienne à l’âge de vingt-cinq ans, professer la philosophie jusqu’à l’âge de quatre-vingt-douze, être témoin de la défaite des Perses à Platée & à Marathon, voir le regne d’Hiéron, avoir Empedocle pour disciple, atteindre le commencement de la quatre-vingt-unieme olympiade, & mourir âgé de cent ans.

Xénophane n’eut point de maître. Persécuté dans sa patrie, il se retira à Zancle ou à Catane dans la Sicile. Il étoit poëte & philosophe. Réduit à la derniere indigence, il alla demander du pain à Hiéron. Demander du pain à un tyran ! il valoit encore mieux chanter ses vers dans les rues ; cela eût été plus honnête & plus conforme aux mœurs du tems. Indigné des fables qu’Homere & Hésiode avoient débitées sur le compte des dieux, il écrivit contre ces deux poëtes ; mais les vers d’Hésiode & d’Homere sont parvenus jusqu’à nous, & ceux de Xénophane sont tombés dans l’oubli. Il combattit les principes de Thalès & de Pythagore ; il harcela un peu le philosophe Epiménide ; il écrivit l’histoire de son pays ; il jetta les fondemens d’une nouvelle philosophie dans un ouvrage intitulé de la nature. Ses disputes avec les philosophes de son tems, servirent aussi d’aliment à la mauvaise humeur de Timon ; je veux dire que le misantrope s’en réjoüissoit intérieurement, quoiqu’il en parût fâché à l’extérieur.

Nous n’avons point les ouvrages des Eléatiques ; & l’on accuse ceux d’entre les anciens qui ont fait mention de leurs principes, d’avoir mis peu d’exactitude & de fidélité dans l’exposition qu’ils nous en ont laissée. Il y a toute apparence que les Eléatiques avoient la double doctrine. Voici tout ce qu’on a pu recueillir de leur métaphysique & de leur physique.

Métaphysique de Xénophane. Rien ne se fait de rien. Ce qui est a donc toûjours été : mais ce qui est éternel est infini ; ce qui est infini est un : car où il y a dissimilitude, il y a pluralité. Ce qui est éternel, infini, un, par-tout le même, est aussi immuable & immobile : car s’il pouvoit changer de lieu, il ne seroit pas infini ; & s’il pouvoit devenir autre, il y auroit en lui des choses qui commenceroient, & des choses qui finiroient sans cause ; il se feroit quelque chose de rien, & rien de quelque chose ; ce qui est absurde. Il n’y a qu’un être qui soit éternel, infini, un, immuable, immobile, tout ; & cet être est Dieu. Dieu n’est point corps ; cependant sa substance s’étendant également en tout sens, remplit un espace immense sphérique. Il n’a rien de commun avec l’homme. Dieu voit tout, entend tout, est présent à tout ; il est en même tems l’intelligence, la durée, la nature ; il n’a point notre forme ; il n’a point nos passions ; ses sens ne sont point tels que les nôtres.

Ce système n’est pas éloigné du Spinosisme. Si Xénophane semble reconnoître deux substances dont l’union intime constitue un tout, qu’il appelle l’uni-