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l’écu des chevaliers dans les joutes & les tournois.

L’usage de l’écu dont ils paroissent avoir pris leur dénomination, est même beaucoup plus ancien que les joutes & tournois, puisqu’il nous vient des Romains.

L’écu étoit plus petit que le bouclier, parce que celui-ci étoit pour les cavaliers, au lieu que l’autre étoit pour les gens de pié.

Les écuyers romains étoient des compagnies de gens de guerre armés d’un écu & d’un javelot. Ils étoient fort estimés, mais néanmoins inférieurs pour le rang à d’autres gens de guerre, qu’on appelloit gentils, gentiles ; ceux-ci étoient certaines bandes ou compagnies de soldats prétoriens, c’est à dire destinés à la garde & défense du prétoire ou palais de l’empereur. Le maître des offices avoit sous lui deux écoles différentes, l’une pour les gentils, l’autre pour les écuyers.

Il est parlé des uns & des autres avec distinction dans Ammian Marcellin, liv. XIV. XVI. XVII. XX. & XXVII. & in notitia imperii Romani.

Pasquier en ses recherches, tome I. liv. II. ch. xvj. remarque que sur le déclin de l’empire romain, il y eut deux sortes de gens de guerre qui furent sur tous les autres en réputation de bravoure ; savoir, les gentils & les écuyers, dont Julien l’apostat faisoit grand cas lorsqu’il séjournoit dans les Gaules ; c’est pourquoi Ammian Marcellin, liv. XVII, rapporte que ce prince fut assiégé dans la ville de Sens par les Sicambriens, parce qu’ils savoient scutarios non adesse nec gentiles, ces troupes ayant été répandues en divers lieux pour les faire subsister plus commodément.

Scintule, comte de l’étable de César, eut ordre de choisir les plus alertes d’entre les écuyers & les gentils, ce qui fait voir que c’étoit l’élite des troupes ; & Pasquier observe que les écuyers n’étoient point soûmis ordinairement au comte de l’étable, qu’ils avoient leur capitaine particulier, appellé scutariorum rector, & que ce fut une commission extraordinaire alors donnée à Scintule.

Procope rapporte que vingt-deux de ces écuyers défirent trois cens Vandales.

Les empereurs faisant consister la meilleure partie de leurs forces dans les gentils & les écuyers, & voulant les récompenser avec distinction, leur donnerent la meilleure part dans la distribution qui se faisoit aux soldats des terres à titre de bénéfice.

Les princes qui vinrent de Germanie établir dans les Gaules la monarchie françoise, imiterent les Romains pour la distribution des terres conquises à leurs principaux capitaines ; & les Gaulois ayant vû sous l’empire des Romains les gentils & les écuyers tenir le premier rang entre les militaires, & posséder les meilleurs bénéfices, appellerent du même nom ceux qui succéderent aux mêmes emplois & bénéfices sous les rois françois.

L’état d’écuyer n’étoit même pas nouveau pour les Francs : en effet Tacite en son livre des mœurs des Germains, n. 5. dit que quand un jeune homme étoit en âge de porter les armes, quelqu’un des princes, ou bien le pere ou autre parent du jeune homme, lui donnoit dans l’assemblée de la nation un écu & un javelot, scuto trameaque juvenem ornant. Ainsi il devenoit scutarius, écuyer, ce qui relevoit beaucoup sa condition ; car jusqu’à cette cérémonie les jeunes gens n’étoient considerés que comme membres de leur famille ; ils devenoient ensuite les hommes de la nation. Ante hoc domus pars videntur, mox reipublicæ.

Ce fut sans doute de-là qu’en France ces écuyers furent aussi appellés gentils-hommes, quasi gentis homines, ou bien de ceux que l’on appelloit gentiles. La premiere étymologie paroît cependant plus na-

turelle, car on écrivoit alors gentishome, & non pas

gentil-homme.

Quoi qu’il en soit, comme les gentils-hommes & écuyers n’étoient chargés d’aucune redevance pécuniaire, pour raison des bénéfices ou terres qu’ils tenoient du prince, mais seulement de servir le roi pour la défense du royaume, on appella nobles tous les gentils-hommes & écuyers, dont la profession étoit de porter les armes, & qui étoient distingués du reste du peuple, qui étoit serf.

Ainsi la plus ancienne noblesse en France est venue du service militaire & de la possession des fiefs, qui obligeoient tous à ce service, mais de différentes manieres, selon la qualité du fief.

Celui que l’on appelloit vexillum ou feudum vexilli, banniere, ou fief banneret, obligeoit le possesseur, non-seulement à servir à cheval, mais même à lever banniere ; le chevalier étoit appellé miles.

Le fief de haubert, feudum lorica, obligeoit seulement le chevalier à servir avec une armure de fer.

Enfin les fiefs appellés feuda scutiferorum, donnerent le nom aux écuyers qui étoient armés d’un écu & d’un javelot ; on les appelloit aussi armigeri ou nobiles, & en françois nobles, écuyers ou gentilshommes.

Ces écuyers ou gentils-hommes combattoient d’abord à pié ; ensuite, lorsqu’on leur substitua les sergens que fournirent les communes, on mit les écuyers à cheval & on leur permit de porter des écus comme ceux des chevaliers ; mais ceux-ci étoient les seuls qui pussent porter des éperons dorés, les écuyers les portoient blancs, c’est-à-dire d’argent, & les vilains ou roturiers n’en portoient point, parce qu’ils servoient à pié.

Ainsi les écuyers ou possesseurs de simples fiefs avoient au-dessus d’eux les simples chevaliers qu’on appelloit aussi bacheliers-bannerets.

Le titre de noble ou écuyer s’acquéroit par la naissance ou par la possession d’un fief, lorsqu’il étoit parvenu à la tierce foi : mais pour pouvoir prendre le titre de chevalier, il falloit avoir été reconnu tel ; & pour devenir banneret, il falloit avoir servi pendant quelque tems d’abord en qualité d’écuyer, & ensuite de chevalier ou bachelier.

Suivant une convention faite entre le roi Philippe de Valois & les nobles en 1338, l’écuyer étoit au-dessus des sergens & arbalétriers : il étoit aussi distingué du simple noble ou gentil-homme qui servoit à pié.

L’écuyer, scutifer, qui avoit un cheval de vingt-cinq livres, avoit par jour six sols six deniers tournois.

Le chevalier banneret en avoit par jour vingt tournois.

Le simple chevalier dix sols tournois.

L’écuyer qui avoit un cheval de quarante livres, avoit sept sols six deniers.

Le simple gentil-homme, nobilis homo-pedes, armé de tunique, de gambiere & de bassinet, avoit deux sols, & s’il étoit mieux armé, deux sols six deniers.

L’écuyer avec un cheval de vingt-cinq livres ou plus, non couvert, avoit par-tout sept sols tournois, excepté dans les sénéchaussées d’Auvergne & d’Aquitaine, où il n’avoit que six sols six deniers tournois.

Le chevalier qui avoit double banniere, & l’écuyer avec banniere, avoit par tout le royaume la solde ordinaire.

On voit par ce détail, que la qualité d’écuyer n’étoit pas alors le terme usité pour désigner un noble, que c’étoit le terme nobilis ou miles pour celui qui étoit chevalier, que l’écuyer étoit un noble qui n’étoit pas encore élevé au grade de chevalier, mais