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de la Samarie, qui conservoient le Pentateuque écrit en anciens caracteres hébraïques, n’eussent pas manqué de convaincre Esdras d’imposture, s’il eût changé la moindre chose dans la nouvelle édition du Pentateuque, qu’il donna aux Juifs en lettres chaldéennes. L’altération du Pentateuque faite du consentement général de toute la nation juive, est donc une chimere. Il est encore plus insensé de prétendre qu’elle ait été l’ouvrage de quelques particuliers. De quelle autorité auroient-ils entrepris une pareille innovation ? personne n’auroit-il réclamé ? Par quelle voie auroient-ils sans contradiction altéré tous les exemplaires, tant ceux dont chaque citoyen étoit possesseur, que ceux qui étoient déposés dans les archives publiques, & notamment dans l’arche d’alliance ? Les mêmes raisons sont exactement applicables aux Livres du nouveau Testament : les églises qui en étoient dépositaires, n’auroient pû les falsifier d’un commun consentement, sans soûlever contr’elles les Hérétiques mêmes, qui dès le premier siecle de l’Eglise conservoient des exemplaires authentiques de ces Livres ; à plus forte raison les particuliers n’auroient-ils osé tenter une pareille innovation ; un cri général se seroit élevé contre un tel attentat, ainsi qu’il s’est pratiqué toutes les fois que les Juifs ou les Hérétiques ont voulu altérer tant soit peu le sens des Livres divins. C’est donc une these insoûtenable que celle de cette altération prétendue, dont on n’articule d’ailleurs ni le tems, ni le lieu, ni les auteurs, ni la maniere, & qui n’a d’autre fondement que la présomption avec laquelle on l’avance, soit quant au fond, soit quant aux circonstances. 5°. Enfin la difficulté tirée du style des Ecritures, n’est pas plus solide ; car, comme nous l’exposerons dans un instant, ou le S. Esprit, en inspirant les écrivains sacrés sur le fond des choses, les a laissés libres sur le choix des expressions, ou il les a inspirés également quant à l’un & à l’autre point : l’une & l’autre de ces opinions est libre ; les Interpretes & les Théologiens sont partagés a cet égard, sans que la foi périclite. Or dans l’un ou l’autre sentiment, les Ecritures sont à couvert des objections des incrédules : dans le premier elles sont divines quant à leur principe, & quant au fond des choses : dans le second elles le sont même quant au coloris dont les choses sont revêtues. Falloit-il, en effet, que pour en démontrer la divinité ou l’authenticité, tout ce que contiennent les divines Ecritures fût exprimé d’une maniere sublime ? nullement. Les mysteres sont exposés avec une sorte d’obscurité, parce qu’ils sont du ressort de la foi, & non de la raison ou de l’évidence. Les vérités de pratique sont exprimées d’une maniere claire, précise & sentencieuse, comme autant de préceptes ou de conseils qu’on a besoin de graver aisément dans sa mémoire, pour se les rappeller sur le champ. Les faits y sont racontés avec cette noble simplicité si connue des anciens, si propre à peindre sans prévention comme sans affectation, & si peu propre en même tems à masquer la vérité. Enfin quand il s’agit d’annoncer aux peuples leurs destinées, à Israël sa réprobation, à l’univers son libérateur, quels traits, quelles images dans les Prophetes ! A parler humainement, je demande à l’incrédule ce qu’il trouve de mieux dans les écrivains profanes, & si l’éloquence du cantique de Moyse, de David, d’Isaïe, de S. Jean-Baptiste, de Jesus-Christ, & de saint Paul, ne vaut pas bien l’atticisme ou l’urbanité de Platon, la véhémence de Démosthene, & l’élégance abondante de Ciceron. Il faut avoir des regles de goût bien peu sûres ou d’étranges préjugés pour admirer ces derniers, quand on traite les écrivains sacrés d’auteurs quelquefois médiocres. Mais nous examinerons encore cet article plus à fond dans un moment.

II. La solution de la question de la divinité des Ecritures dépend d’un seul point, du sentiment qu’on prend sur la maniere dont elles sont émanées de Dieu comme cause premiere ou efficiente, ou des hommes comme cause seconde ou instrumentale. Tous les chrétiens, en effet, conviennent que l’Ecriture sainte est la parole de Dieu, mais les Théologiens sont partagés sur la maniere que Dieu lui-même a choisi pour la transmettre aux hommes. Les uns prétendent que tous les livres de l’Ecriture ont été inspirés par le Saint-Esprit aux écrivains sacrés non-seulement quant au fonds & aux pensées, mais encore quant au style & aux expressions : d’autres soutiennent que l’inspiration s’est bornée aux pensées, sans s’étendre jusqu’au style que l’Esprit-Saint a laissé au choix des autres. D’autres théologiens modernes ont avancé sur la fin du seizieme siecle, qu’il suffisoit pour la divinité des Ecritures d’une simple direction ou assistance du Saint-Esprit ; mais que l’inspiration proprement dite, n’étoit nullement nécessaire pour toutes les sentences & vérités contenues dans les livres saints. Ils allerent plus loin & prétendirent qu’un livre, tel que peut être le second des Machabées, écrit par une industrie humaine, devient écriture sainte, si le Saint-Esprit témoigne ensuite qu’il ne contient rien de faux. C’étoit réduire à bien peu de chose la divinité des Ecritures : aussi la faculté de théologie de Louvain s’éleva-t-elle contre cette doctrine qu’elle censura en 1588. Grotius n’admettoit dans les écrivains sacrés qu’un pieux mouvement, mais sans inspiration ni direction ou assistance. Spinosa dans son traité théologo-politique, chap. xj. & xij. ne reconnoît nulle inspiration, même dans les prophetes. M. Simon dans son histoire critique du nouveau Testament, chap. xxiij. & xxjv. s’est déclaré contre les docteurs de Louvain. Néanmoins il reconnoît que le Saint-Esprit est auteur de toute l’Ecriture sainte, soit par l’inspiration, soit par un instinct ou secours particulier dont M. Simon n’a pas assez développé la nature : quoi qu’il en soit, il soûtient que l’esprit de Dieu a tellement assisté les auteurs sacrés, non-seulement dans les pensées, mais encore dans le style, qu’ils ont été garantis de toute erreur qui auroit pû venir de l’oubli ou du défaut d’attention. M. le Clerc a avancé sur l’origine des Ecritures un système hardi, & qui ne differe presqu’en rien de celui de Spinosa. Voici en substance ce qu’on en trouve dans un recueil de lettres imprimées sous le titre de Sentimens de quelques théologiens de Hollande, lettre xj. L’auteur anonyme (M. le Clerc) dont le sentiment est rapporté dans cette lettre, prétend qu’on ne doit reconnoître dans les écrivains sacrés aucun secours surnaturel ou assistance particuliere, à moins que ce ne soit dans des cas fort rares & fort singuliers. Il dit que les historiens sacrés n’ont eu besoin que de leur mémoire en employant d’ailleurs tout le soin & l’exactitude que l’on demande dans ceux qui se mêlent d’écrire l’histoire : à l’égard des prophetes, il reconnoît qu’il y a eu du surnaturel dans les visions dont ils ont été favorisés, & que le Seigneur leur a apparu pour leur manifester certaines vérités cachées, ou leur révéler quelques grands mysteres : mais il ne voit rien que de naturel dans la maniere dont les prophetes ont écrit leurs visions ; ils n’ont eu besoin, selon lui, que de leur mémoire pour se souvenir de ce qui leur avoit été montré pendant qu’ils veilloient, ou dans le sommeil. Il étoit inutile, ajoute-t-il, que leur mémoire fût aidée d’aucun secours surnaturel : on retient aisément ce qui a fait une impression vive sur l’imagination, & ce qui a été gravé profondément dans la mémoire ; les visions que Dieu accordoit aux prophetes produisoient naturellement ces effets. Cet auteur prétend encore que ce que les prophetes disoient naturellement &