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uns ont pris le goût romain, d’autres qui se sont arrêtés plus long-tems à Venise, en sont revenus avec une inclination particuliere pour la maniere de ce pays-là. Les uns ont suivi le goût de l’antique, pour le dessein ; & d’autres, celui d’Annibal Carrache. On reproche à quelques-uns des plus célebres Peintres françois, un coloris assez trivial ; mais ils ont d’ailleurs tant de belles parties, que leurs ouvrages serviront toûjours d’ornement au royaume, & seront admirés de la postérité.

Le Primatice, maître Roux, Nicolo, & plus encore Léonard de Vinci, ont apporté le bon goût dans ce royaume sous le regne de François I. On sait assez qu’avant eux, tout ce que nous faisions dans les Arts, étoit barbare & gothique.

Cousin, (Jean) né à Soucy près de Sens, dans le xvj. siecle, doit être regardé comme le premier peintre françois qui se soit fait quelque réputation ; mais il s’attacha davantage à peindre des vitres, que des tableaux : cependant il en a fait quelques-uns. Le plus considérable est le jugement universel, qui est dans la sacristie des Minimes de Vincennes. Quoique Cousin fût bon dessinateur, & qu’il ait mis beaucoup d’expression dans ses têtes, sa maniere seche, jointe à un certain goût gothique, le fera toûjours distinguer des peintres qui l’ont suivi.

Freminet, (Martin) né à Paris en 1567, mort dans la même ville en 1619, montra après son retour d’Italie, une maniere qui tenoit de celle de Michel Ange. Il étoit savant, & assez bon dessinateur. On découvre de l’invention dans ses tableaux ; mais les expressions fortes de ses figures, des muscles, & des nerfs durement prononces, & les actions de ses personnages trop recherchées, ne sauroient plaire. L’ouvrage le plus considérable de Freminet, est le plafond de la chapelle de Fontainebleau.

Plusieurs peintres succéderent à ce maître ; mais loin de perfectionner sa maniere, ils laisserent tomber pour la seconde fois notre peinture dans un goût fade, qui dura jusqu’au tems que Voüet revint d’Italie.

Voüet, (Simon) né à Paris en 1582, mort dans la même ville en 1641. Il fit un long séjour en Italie ; & à son retour en France, Louis XIII. le nomma son 1er peintre. On peut le regarder comme le fondateur de l’école françoise, & la plûpart de nos meilleurs maîtres ont pris de ses leçons. On compte parmi se, éleves, le Sueur, le Brun, Mignard, Mole, Testelin, du Fresnoy, &c. Voüet inventoit facilement, & consultoit le naturel ; mais accablé de travail, il se fit une maniere expéditive par de grandes ombres, & par des teintes générales peu recherchées.

Il y auroit lieu de s’étonner de la prodigieuse quantité de ses ouvrages, si l’on ne savoit qu’un grand nombre de ses éleves travailloit sur ses desseins, que Voüet se contentoit de retoucher ensuite. Les ouvrages de ce peintre manquent, non-seulement par le dessein qui n’est point terminé, mais sur-tout par le coloris qui est généralement mauvais ; d’ailleurs l’on ne voit dans ses figures aucune expression des passions de l’ame, & ses têtes ne disent rien. Le plus grand mérite des ouvrages de cet artiste, vient de ses plafonds, qui ont donné à ses disciples l’idée de faire beaucoup mieux.

Poussin, (Nicolas) né en 1594 à Andely en Normandie, mourut à Rome en 1665. On peut le nommer le Raphael de la France. Il étoit de son tems le premier peintre de l’Europe. Un beau & heureux génie, joint au travail le plus assidu, le firent marcher à grands pas dans la route du sublime. Son mérite avoit déjà éclaté, lorsqu’il partit pour l’Italie. Uniquement animé du desir de se perfectionner dans son art, il vêcut pauvre, mais content. On l’a nommé le peintre des gens d’esprit & de goût ; on pourroit aussi

l’appeller le peintre des savans. Aucun maître particulier n’eut la gloire de le former, & il n’a lui-même fait aucun éleve. On admire sa grande maniere, sans oser l’imiter ; soit qu’on la trouve inaccessible, soit qu’on craigne en y entrant de n’en pas soûtenir le caractere.

Le jugement, la sagesse, & en même tems la noblesse de ses compositions, l’expression, l’érudition, la convenance, & la poésie de l’art, brillent dans tous les sujets qu’il a traités. Ses inventions sont des plus ingénieuses ; son style est fort, grand, héroïque. Ses premiers tableaux sont bien coloriés ; mais dans la suite il a paru craindre que le charme du coloris ne lui fît négliger le dessein, & n’ôtât à ses productions le fini qu’il y vouloit mettre. On dit qu’il inventoit encore, quand il n’avoit plus les talens nécessaires à l’exécution de ses inventions. Son génie avoit survêcu à la dextérité de sa main.

Ce génie le portoit plus souvent au caractere noble, mâle, & sévere, qu’au gracieux. Son dessein est presque aussi correct que celui de Raphael. On prétend que sa passion pour l’antique est si sensible, qu’on pourroit quelquefois indiquer les statues qui lui ont servi de modeles. De-là vient le trop grand nombre de plis de ses étoffes, & un peu trop d’uniformité dans ses attitudes & dans ses airs de têtes. Il semble encore que le nud de ses figures y fait desirer cette délicatesse de chair, que Rubens & le Titien présentent pleine de sang & de vie.

On voit à Rome divers ouvrages du Poussin ; mais la plus grande partie est heureusement revenue en France. L’église de S. Germain-en-Laye possede la belle cêne de ce célebre maître.

Les Jésuites du Noviciat à Paris ont le S. Xavier ressuscitant un mort ; tableau admirable ! Le Poussin dans ce tableau a disposé ses figures, ensorte qu’elles voyent toutes le miracle, & a remué leurs passions avec un jugement & une adresse toute particuliere ; il a conduit leur douleur & leur joie par degrés, à proportion des degrés du sang & de l’intérêt. Une femme, qui au chevet du lit soûtient la tête de la personne ressuscitée, est placée & courbée dans cette action avec une science merveilleuse. Jesus-Christ dans le ciel honore ce miracle de sa présence ; l’attitude en est majestueuse, & la figure est si finie, qu’il semble qu’il n’y a que Raphael qui en pût faire une semblable.

On sait avec quel esprit le Poussin nous a fait connoître Agrippine, dans son tableau de la mort de Germanicus : autre chef-d’œuvre de son art, sur lequel je renvoye à l’abbé du Bos.

La collection du palais royal offre, entre plusieurs morceaux de ce fameux maître, outre le ravissement de S. Paul, tableau d’un beau coloris, & qui fait un digne pendant avec la vision d’Ezéchiel de Raphael, les sept sacremens du Poussin ; suite très-précieuse, dont M. le régent paya 120000 livres.

Enfin on connoît le beau paysage nommé Arcadie, & celui du palais du Luxembourg, qui représente le déluge. Dans le premier, en même tems que des bergers & des bergeres parés de guirlandes de fleurs, nous enchantent ; le monument qu’on apperçoit d’une jeune fille morte à la fleur de son âge, fait naître dans notre esprit mille autres réflexions. Dans le second paysage, nous sommes accablés de l’évenement qui s’offre à nos yeux, & du bouleversement du monde ; nous croyons voir la nature expirante. En effet ce grand homme a aussi bien peint dans le paysage tous les effets de la nature, que les passions de l’ame dans ses tableaux d’histoire. Voyez Paysage.

Les curieux peuvent lire dans la vie de cet homme célebre, donnée par Félibien en françois, & en italien par Bellori, beaucoup d’autres détails sur ses ouvrages.