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corps est moins nécessaire, depuis qu’elle ne décide plus de l’avantage des combattans ; mais outre qu’un exercice continuel l’entretient dans une santé vigoureuse, desirable pour tous les états, il est constant que les militaires ont à essuyer des fatigues qu’ils ne peuvent surmonter qu’autant qu’ils sont robustes. On soûtient difficilement aujourd’hui le poids d’une cuirasse, qui n’auroit fait qu’une très-legere partie d’une armure ancienne.

Nous venons de dire que l’esprit ne devoit être nourri que de choses utiles. Nous n’entendons pas par-là que tout ce qui est utile, doive être enseigné ; tous les génies n’embrassent pas tous les objets, les connoissances nécessaires n’ont peut-être que trop d’étendue : ainsi dans le détail que nous allons faire ; il sera facile de distinguer par la nature des choses, ce qui est essentiel de ce qui est avantageux, en un mot ce qui est bon de ce qui est grand.

Religion. La Religion étant sans contredit ce qu’il y a de plus important dans quelqu’éducation que ce soit, on imagine aisément qu’elle a attiré les premiers soins. M. l’archevêque de Paris est supérieur spirituel de l’école royale militaire ; lui-même est venu voir cette portion précieuse de son troupeau. Il se chargea de diriger les instructions qui lui étoient nécessaires ; il en fixa l’ordre & la méthode ; il détermina les heures & la durée des prieres, des catéchismes, & généralement de tous les exercices spirituels, qui se pratiquent avec autant de décence que d’exactitude. Ce prélat a confié le soin de cette importante partie à des docteurs de Sorbonne dont il a fait choix : on ne pouvoit les chercher dans un corps ni plus éclairé, ni plus respectable.

Les exercices des jours ouvriers commençent par la priere & la messe ; ils sont terminés par une priere d’un quart-d’heure. Les instructions sont réservées pour les dimanches & fêtes, elles sont aussi simples que lumineuses ; l’on y interroge régulierement tous les éleves, sur ce qui fait la base de notre croyance. M. l’archevêque connoît parfaitement l’étendue & les bornes que doit avoir la science d’un militaire dans ce genre-là. Nous n’entrerons pas dans un plus grand détail à ce sujet ; ce que nous venons de dire est suffisant pour tranquilliser l’esprit de ceux qui ont cru trop legerement que cette partie pourroit être négligée ; un établissement militaire n’a pas à cet égard les mêmes dehors & le même extérieur que bien d’autres.

Après la religion, le sentiment qui succede le plus naturellement, a pour objet le Souverain. Il est si facile à un François d’aimer son Roi, que ce seroit l’insulter que de lui en faire un précepte. Outre ce penchant commun à toute la nation, les éleves de l’école royale militaire ont des motifs de reconnoissance, sur lesquels il ne faut que refléchir un moment pour en être pénétré. Si on leur parle souvent de leur Maitre & de ses bienfaits, c’est moins pour réveiller dans leur cœur un sentiment qu’on ne cesse jamais d’y appercevoir, que pour redoubler leur zele & leur émulation ; c’est principalement à ce soin qu’on doit les progrès qu’ils ont faits jusqu’ici : on n’y a encore remarqué aucun rallentissement.

Etudes. La Grammaire, les langues françoise, latine, allemande, & italienne ; les Mathématiques, le Dessein, le Génie, l’Artillerie, la Géographie, l’Histoire, la Logique, un peu de Droit naturel, beaucoup de Morale, les ordonnances militaires, la théorie de la guerre, les évolutions ; la Danse, l’Escrime, le Manége, & ses parties, sont les objets des études de l’école royale militaire. Disons un mot de chacun en particulier.

Grammaire. La Grammaire est nécessaire & commune à toutes les langues ; sans elle on n’en a jamais qu’une connoissance fort imparfaite. Ce que chaque

langue a de particulier, peut être considéré comme des exceptions à la Grammaire générale par laquelle on commence ici les études. On juge aisément qu’elle ne peut s’enseigner qu’en françois. C’est d’après les meilleurs modeles qu’on a tâché de se restraindre au plus petit nombre de regles qu’il a été possible. Les premieres applications s’en font toûjours à la langue françoise, parce que les exemples sont plus frappans & plus immédiatement sensibles. Lorsqu’une fois les éleves sont assez fermes sur leurs principes, pour appliquer facilement l’exemple à la regle & la regle à l’exemple, on commence à leur faire voir ce qu’il y a de commun entre ces principes appliqués aux-langues latine & allemande. On y parvient d’autant plus aisément, que toutes ces leçons se font de vive voix. On pourroit se contenter de citer l’expérience pour justifier cette méthode, fort commune par-tout ailleurs qu’en France ; un moment de réflexion en fera sentir les avantages. Ce moyen est beaucoup plus propre à fixer l’attention que des leçons dictées, qui font perdre un tems considérable & toûjours précieux. Nous nous assûrons par cette voie que nos regles ont été bien entendues ; parce que, comme il n’est pas naturel que des enfans puissent retenir exactement les mêmes mots qui leur ont été dits, lorsqu’on les interroge, ils sont obligés d’en substituer d’équivalens, ce qu’ils ne font qu’autant qu’ils ont une connoissance claire & distincte de l’objet dont il s’agit. si l’on remarque quelque incertitude dans leurs réponses, c’est une indication certaine qu’il faut répéter le principe, & l’expliquer d’une façon plus intelligible. Il faut convenir que cette méthode est moins faite pour la commodité des maîtres, que pour l’avantage des éleves. Il est aisé de conclure de ce que nous venons de dire, que le raisonnement a plus de part à cette forme d’instruction que la mémoire. Lorsqu’après des interrogations réitérées & retournées de plusieurs manieres, on s’est bien assûré que les principes sont clairement conçus, chaque éleve en particulier les rédige par écrit comme il les a entendus, le professeur y corrige ce qu’il pourroit y avoir de défectueux, & passe à une autre matiere qu’il traite dans le même goût.

Nous observerons deux choses principales sur cette méthode : la premiere, c’est qu’elle n’est peut-être praticable qu’avec peu d’éleves ou beaucoup de maîtres ; la seconde, est que l’esprit des enfans se trouvant par-là dans une contention assez forte, la durée des leçons doit y être proportionnée. Nous croyons qu’il y a de l’avantage à les rendre plus courtes, & à les réitérer plus souvent.

Après avoir ainsi jetté les premiers fondemens des connoissances grammaticales, après avoir fait sentir ce qu’il y a d’analogue & de différent dans les langues ; après avoir fixé les principes communs à toutes en général, & caractéristiques de chacune en particulier, l’usage à notre avis, est le meilleur moyen d’acquérir une habitude suffisante d’entendre & de s’exprimer avec facilité ; & c’est tout ce qui est nécessaire à un militaire.

Langues. On sent aisément la raison du choix qu’on a fait des langues latine, allemande, & italienne. La premiere est d’une utilité si généralement reconnue, qu’elle est regardée comme une partie essentielle de toutes les éducations. Les deux autres sont plus particulierement utiles aux militaires, parce que nos armes ne se portent jamais qu’en Allemagne ou en Italie.

La langue italienne n’a rien de difficile, particulierement pour quelqu’un qui sait le latin & le françois. Il n’en est pas de même de l’allemand, dont la prononciation sur-tout ne s’acquiert qu’avec peine ; mais on en vient à-bout à un âge où les organes se prêtent facilement : c’est dans la vûe de surmonter