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εἰσήχθη ὑπὸ ποτάμωνος τοῦ Ἀλεξανδρέως, ἐκλεξαμένου τὰ ἀρέσκοντα ἐξ ἑκάστης τῶν αἱρέσεων). Voilà le passage auquel il faut s’en tenir ; il l’emporte par la clarté sur celui de Porphyre, & par l’autorité sur celui de Suidas. D’où il s’ensuit que Potamon naquit sous Alexandre Severe, & que sa philosophie se répandit sous la fin du second siecle & le commencement du troisieme. En effet si l’éclectisme étoit antérieur à ces tems, comment seroit-il arrivé à Galien, à Sextus Empiricus, à Plutarque sur-tout, qui a fait mention des sectes les plus obscures, de ne rien dire de celle-ci ?

Potamon pouvoit avoir autant de sens qu’il en falloit pour jetter les premiers fondemens de l’Eclectisme ; mais il lui manquoit, & l’impartialité nécessaire pour faire un bon choix parmi les principes des autres philosophes, & des qualités personnelles, telles que l’enthousiasme, l’éloquence, l’esprit, & même un extérieur intéressant, sans lesquelles on réussit difficilement à s’attacher un grand nombre d’auditeurs. Il avoit d’ailleurs pour le Platonisme, une prédilection incompatible avec son système ; il se renfermoit entierement dans les matieres purement philosophiques ; & graces aux querelles des Chrétiens & des Payens, qui étoient alors plus violentes qu’elles ne l’ont jamais été, les seules matieres de religion étoient à la mode. Telles furent les causes principales de l’obscurité dans laquelle la philosophie de Potamon tomba, & du peu de progrès qu’elle fit.

Potamon soûtenoit, en Metaphysique, que nous avons dans nos facultés intellectuelles, un moyen sûr de connoître la vérité ; & que l’évidence est le caractere distinctif des choses vraies ; en Physique, qu’il y a deux principes de la production générale des êtres ; l’un passif, ou la matiere ; l’autre actif, ou toute cause efficiente qui la combine. Il distinguoit dans les corps naturels, le lieu & les qualités ; & il demandoit d’une substance, quelle qu’elle fût, quelle en étoit la cause, quels en étoient les élémens, quelle étoit sa constitution & sa forme, & en quel endroit elle avoit été produite. Il reduisoit toute la morale à rendre la vie de l’homme la plus vertueuse qu’il étoit possible ; ce qui, selon lui, excluoit l’abus, mais non l’usage des biens & des plaisirs.

Ammonius Saccas disciple & successeur de Potamon, étoit d’Alexandrie. Il professa la philosophie éclectique sous le regne de l’empereur Commode. Son éducation fut chrétienne ; mais un goût décidé pour la philosophie regnante, ne tarda pas à l’entraîner dans les écoles du paganisme. A peine eut-il reçu les premieres leçons d’Eclectisme, qu’il sentit qu’une religion telle que la sienne, étoit incompatible avec ce système. En effet, le Christianisme ne souffre aucune exception. Rejetter un de ses dogmes, c’est n’en admettre aucun. Ammonius apostasia, & revint à la religion autorisée par les lois, ce qu’ils appelloient τὴν κατὰ νόμος πολιτείαν, c’est-à-dire qu’à parler exactement il n’en avoit point ; car celui à qui l’on demande quelle est sa religion, & qui répond, la religion du prince, se montre plus courtisan que religieux. Ammonius l’éclectique n’écrivit point, ce qui le distingue de l’Ammonius d’Eusebe. Il imposa à ses disciples un profond silence sur la nature & l’objet de ses leçons. Il craignit que les disputes, qui ne manqueroient pas de s’élever entre ses disciples & les autres philosophes, n’augmentassent le mépris de la Philosophie & le scandale des petits esprits ; ce qui est très conforme à ce que nous lisons de lui dans Hieroclès : Cum hactenus magnæ inter platonicos & aristotelicos, cæterosque philosophos exstitissent contentiones, quorum insania eo usquè erat provecta, ut scripta quoque præceptorum suorum depravarent, quo magis viros hos inter se pugnantes sisterent, æstu quodam raptus ad philosophiam Ammonius, vir θεοδίδακτος, rejectis, quæ philosophiæ contemtui erant & opprobrio, opinionum dissentionibus,

perpurgatisque & resectis, quæ utrinque excreverant nugis, in præcipuis quibusque & maxime necessariis dogmatibus concordem esse Platonis & Aristotelis philosophiam demonstravit, sicque philosophiam à contentionibus liberam suis discipulis tradidit. Ammonius dit donc à ses disciples : « Commençons par nous séparer de ces auditeurs oisifs, dont nous n’avons aucun secours à attendre dans la recherche de la vérité ; ils se sont amusés assez long tems aux dépens d’Aristote & de Platon ; méditons dans le silence ces précepteurs du genre humain. Attachons-nous particulierement à ce qui peut étendre l’esprit, purifier l’ame, élever l’homme au-dessus de sa condition, & l’approcher des immortels. Que ces sources fécondes de doctrine, ne nous fassent ni mépriser ni négliger celles où nous espérerions de puiser encore une seule goutte d’instruction solide. Tout ce que les hommes ont produit de bon, nous appartient. Si la secte intolérante qui nous persecute aujourd’hui, peut nous procurer quelques lumieres sur Dieu, sur l’origine du monde, sur l’ame, sur sa condition présente, sur son état à venir, sur le bien, sur le mal moral, profitons-en. Aurions-nous la mauvaise honte de rejetter des principes qui tendroient à nous rendre meilleurs, parce qu’ils seroient renfermés dans les livres de nos ennemis ? Mais avant tout, engageons-nous à ne révéler notre philosophie, à ces hommes que le torrent de la superstition nouvelle entraîne, que quand ils seront capables d’en profiter. Que le serment en soit fait à la face du ciel ». Cette philosophie conciliatrice, paisible & secrette, qui s’imposoit un silence rigoureux, & qui étoit toûjours disposée à écouter & à s’instruire, plut beaucoup aux hommes sensés. Elle fut aussi favorisée par le gouvernement, qui ne demandoit pas mieux de voir les esprits se porter de ce côté : non qu’il se souciât beaucoup que telle secte prévalût sur telle autre, mais il n’ignoroit pas que tous ceux qui entroient dans l’école d’Ammonius, étoient perdus pour celle de Jesus-Christ. Ammonius eut un grand nombre de disciples. Ils garderent, du moins pendant la vie de leur maître, un silence si religieux sur sa doctrine, que nous n’en parlerions que par conjecture. Cependant Ammonius s’étant proposé de donner à l’Eclectisme toute la faveur possible, il est certain qu’il eut de l’indulgence pour le goût dominant de son tems, & que ses leçons furent mêlées de théologie & de philosophie. Ce mêlange monstrueux produisit dans la suite les plus mauvais effets. L’Eclectisme dégénera, sous les successeurs d’Ammonius, en une théurgie abominable. Ce ne fut plus qu’un rituel extravagant d’exorcismes, d’incantations, d’évocations & d’opérations nocturnes, superstitieuses, soûterraines & magiques ; & ses disciples ressemblerent moins à des philosophes qu’à des sorciers.

Denis Longin, ce rhéteur célebre de qui nous avons un traité du sublime, fut un des philosophes de l’école d’Ammonius. Longin voyagea ; les voyages étoient beaucoup selon l’esprit de la secte éclectique. Il conféra avec les orateurs, les philosophes, les grammairiens, & tous ceux, qui, de son tems, avoient quelque réputation dans les lettres. Il eût passé pour un grand philosophe, s’il n’eût pas été le premier philologue du monde : mais il excella tellement dans les lettres, qu’on ne parla point de lui comme philosophe. Eunapius nous le donne encore comme un homme profondément versé dans l’histoire. Il l’appelle βιϐλιοθήκην τινὰ ἔμψυχον, bibliotheque vivante, éloge qu’on a donné depuis à tant d’autres. Il eut pour disciples Porphyre & Zénobie reine d’Orient. L’honneur d’enseigner la philosophie & les lettres à une reine, lui coûta la vie. Zénobie, seule maîtresse du throne des Palmiréniens, après le meurtre d’Edenathe son mari, envahit l’Egypte & quel-