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qui aille avec beaucoup de justesse pendant quelque tems, & qui sont à portée de les faire nettoyer souvent, & raccommoder par d’habiles horlogers : encore, pour qu’ils en obtiennent la justesse dont nous venons de parler, faut-il qu’elles soient très-bien faites.

Tel étoit donc l’état de l’échappement à cylindre en 1750, que nous écrivions cet article, que, tout bien examiné, nous croyions qu’il valoit mieux en général faire usage de l’échappement à roue de rencontre. Depuis, c’est-à-dire en 1753, M. Caron le fils l’a perfectionné, ou plûtôt en a inventé un autre qui remédie si bien à un des principaux inconvéniens qu’on lui reprochoit, que nous nous croyons obligés d’en ajoûter ici la description.

Dans cet échappement, comme dans celui à cylindre, la roue de rencontre est parallele aux platines. On donne à cette roue tel nombre de dents que l’on veut : ordinairement elle en a trente. Ces dents sont formées comme celles d’une roue ordinaire, excepté qu’elles sont un peu plus longues & plus déliées ; elles portent à leur extrémité des chevilles qui, situées perpendiculairement à ses surfaces supérieure & inférieure, sont rangées alternativement sur ces deux surfaces, desorte qu’il y en a quinze d’un côté de la roüe, & quinze de l’autre. L’axe du balancier est une espece de cylindre creux, entaillé de façon qu’il paroît composé de deux simples portions de cylindre réunies par une petite tige placée fort près de la circonférence convexe. Cette tige porte une palette en forme de virgule, dans laquelle on distingue deux parties : l’une circulaire & concave dans la suite de la concavité du cylindre, c’est sur elle que les chevilles de la roue de rencontre doivent se reposer ; l’autre est droite, & sert de levée ou de levier d’impulsion aux mêmes chevilles, pour les vibrations du balancier. Au point diamétralement opposé à la tige, est un pédicule qui porte une virgule ou croissant semblable au premier, placé de façon que la roue de rencontre passe entre les deux palettes, & les rencontre alternativement par ses chevilles opposées.

D’après cette courte description, il est facile de concevoir comment se fait le jeu de cet échappement. On voit, par exemple, qu’une cheville de la roue agissant sur la levée du pédicule, elle la fait tourner de dehors en-dedans ; ensuite de quoi cette cheville échappant, celle qui la suit tombe sur la partie circulaire concave qui appartient à l’autre croissant, sur laquelle elle s’appuie ou se repose jusqu’à ce que la vibration étant achevée, elle glisse & passe sur la levée de ce croissant, & la chasse de dedans en-dehors, & ainsi de suite. Il est clair par la nature & la construction de cet échappement, qu’il compense les inégalités du roüage & de la force motrice, comme celui de M. Graham, ou à cylindre, & (ce qui le rend de beaucoup supérieur à ce dernier) que ses levées ne sont point sujettes à l’usure, comme les levres du cylindre de M. Graham. Cette usure étant, comme nous l’avons observé, un des plus grands inconvéniens de son échappement, on n’aura pas de peine à découvrir la cause de cet avantage du nouvel échappement, si l’on fait attention que l’usure étant produite uniquement par l’action répetée des dents de la roue de rencontre sur les levres du cylindre, elle ne peut avoir lieu dans l’échappement que nous venons de décrire ; car les chevilles y parcourant toute la levée, il s’ensuit que le frottement qu’éprouve chacun des points de cette levée dans le tour de la roue, est à celui qu’éprouvent les levres du cylindre dans le même tour de sa roue, comme la surface des points des chevilles qui frottent sur cette levée, est à celle des faces des dents de cette même roue : or comme les chevilles peuvent être très-fines, & qu’ainsi cette surface peut n’être pas la

quarantieme partie de celle des faces des dents de la roue à cylindre, le frottement sur ces levées ne sera pas la quarantieme partie de celui qui se fait sur les levres du cylindre ; & ainsi l’usure qui pourroit en résulter, sera insensible. Cet échappement a encore un autre avantage sur celui de M. Graham ; c’est que les repos s’y font à égale distance du centre, puisqu’ils se font sur la circonférence concave du cylindre ; au-lieu que dans celui de ce célebre horloger ils se font à différentes distances du centre, les dents reposant tantôt sur la circonférence concave du cylindre, & tantôt sur sa circonférence convexe.

On pourroit objecter que dans cet échappement, & on l’a même fait, le diametre intérieur du cylindre devant être égal à l’intervalle entre deux chevilles, plus une de ces chevilles, il devient plus gros par rapport à sa roue, que celui de l’échappement de Graham ; mais on répondroit que cette grosseur du cylindre n’est point déterminée par la nature du nouvel échappement, & qu’on peut le faire plus petit (ce qui est encore un nouvel avantage), comme on l’a fait effectivement depuis qu’il a été découvert.

Il étoit bien flateur pour un horloger d’avoir imaginé un pareil échappement ; mais plus il avoit lieu de s’en applaudir, plus il avoit lieu de craindre que quelqu’un ne lui enlevât l’honneur de sa découverte : c’est aussi ce qui pensa arriver à M. Caron. Cependant M. le comte de Saint-Florentin ayant demandé à l’académie royale des Sciences son jugement sur la contestation élevée entre lui & un autre horloger qui vouloit s’attribuer l’invention du nouvel échappement, elle décida le 24 Février 1754, sur le rapport de MM. Camus & de Montigny (commissaires nommés pour examiner les différens titres des contendans), que M. Caron en étoit le véritable auteur, & que celui qui lui disputoit la gloire de cette découverte, n’avoit fait que l’imiter. C’est, je crois, le premier jugement de cette espece que l’académie ait prononcé ; cependant il seroit fort à souhaiter qu’elle décidât plus souvent de pareilles disputes, ou qu’il y eût dans la république des Lettres un tribunal semblable, qui en mettant un frein à l’envie qu’ont les plagiaires de s’approprier les inventions des autres, encourageroit les génies véritablement capables d’inventer, en leur assûrant la propriété de leurs découvertes.

Au reste si nous avons rapporté cette anecdote au sujet de l’échappement de M. Caron, c’est que nous avons crû qu’elle ne seroit pas déplacée dans un ouvrage consacré, comme celui-ci, non-seulement à la description des Arts, mais encore à l’histoire des découvertes qu’on y a faites, & à en assûrer, autant qu’il est possible, la gloire à ceux qui en sont les véritables auteurs. (T)

* Echappement de M. Caron fils, corrigé. Depuis la contestation élevée entre M. Caron & M. le Paute, sur l’invention de l’échappement à virgules, il en est survenu une autre sur sa perfection, entre l’inventeur & M. de Romilly habile horloger. Cette nouvelle contestation a été aussi portée au tribunal de l’académie des Sciences. Voici en abrégé les prétentions de M. de Romilly. 1°. Dans l’échappement de M. Caron, l’axe du balancier porte un cylindre qui avoit, lors de l’invention, pour diametre intérieur l’intervalle de deux chevilles ; c’est sur cette circonférence concave que se font les deux repos de l’échappement à virgules. Le cylindre est divisé en deux par une entaille perpendiculaire à son axe, & l’on ne réserve qu’une petite colonne qui tient assemblés les deux cylindres. M. de Romilly prétend avoir réduit le diametre intérieur du cylindre à n’admettre qu’une cheville. 2°. Aux deux extrémités de l’intervalle sont deux plans en forme de