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fiefs, ce fut un titre de plus pour les obliger au service militaire, comme ils continuerent en effet de le rendre. Dès qu’il y avoit guerre, les églises étoient obligées d’envoyer à l’armée leurs hommes ou vassaux, & un certain nombre de personnes, & de les y entretenir à leurs dépens : les évêques & abbés devoient être à la tête de leurs vassaux.

Il est dit dans les capitulaires, que l’on présenta une requête à Charlemagne, tendante à ce que les ecclésiastiques fussent dispensés du service militaire, & il paroît que c’étoient les peuples qui le demandoient, représentans au roi que les ecclésiastiques serviroient l’état plus utilement en restant dans leurs églises, & s’occupant aux prieres pour le roi & ses sujets, qu’en marchant à l’ennemi & au combat, ce qui confirme que quand ils venoient en personne à l’armée, ils n’étoient pas ordinairement simples spectateurs du combat.

La réponse de Charlemagne fut qu’il accordoit volontiers la demande, mais que de telles affaires devoient être concertées avec tous les ordres.

Les prélats furent cependant dispensés de se trouver en personne à l’armée, à condition d’y envoyer leurs vassaux sous la conduite de quelqu’autre seigneur ; mais les évêques insisterent alors pour continuer à faire le service militaire en personne, craignant que s’ils le cessoient, cela ne leur fît perdre leurs fiefs & n’avilît leur dignité.

Il paroît même que les successeurs de Charlemagne rétablirent l’obligation du service militaire de la part des ecclésiastiques ; on en trouve en effet plusieurs preuves.

Rouillard, en son histoire de Melun, pag. 322. fait mention d’un ecclésiastique, lequel, sous Louis le Débonnaire, en 871, commandoit l’armée des Esclavons.

La chronique manuscrite de l’abbaye de Mouson, fait aussi mention d’Adalberon archevêque de Reims, qui assiégea le château de Vuarch en 971.

Ordericus Vitalis dit sur l’année 1094, que Philippe I. assiégeant la forteresse de Breval, les abbés y conduisirent leurs vassaux, & que les curés s’y trouverent à la tête de leurs paroissiens, chacun rangés sous leurs bannieres.

Philippe Auguste, en 1209, confisqua les fiefs des évêques d’Auxerre & d’Orléans pour avoir quitté l’armée, prétendant qu’ils ne devoient le service que quand le roi y étoit en personne.

Joinville parle de son prêtre, qui se battoit vaillamment contre les Turcs.

Le pere Thomassin prétend que les évêques & les abbés n’étoient dans les armées, que pour contenir leurs vassaux & troupes à leur solde, & qu’ils ne faisoient pas le service de gens de guerre, ce qui est une erreur ; car outre les exemples que l’on a déjà rapportés du contraire, il est certain que les ecclésiastiques continuerent encore long-tems de servir en personne, & que les plus valeureux se battoient réellement contre les ennemis, tandis que ceux qui étoient plus pacifiques levoient les mains au ciel : ceux qui se battoient, pour ne point tomber en irrégularité en répandant le sang humain, s’armoient d’une massue de bois pour étourdir & abbattre ceux contre qui ils combattoient.

Ce fut Guerin, élu depuis peu évêque de Senlis, qui rangea l’armée avant la bataille de Bouvines, en 1214 ; il ne combattit cependant pas de la main à cause de sa qualité d’évêque ; mais Philippe cousin du roi & évêque de Beauvais, se souvenant que le pape l’avoit repris pour s’être déjà trouvé en un autre combat contre les Anglois, assommoit dans celui-ci les ennemis avec une massue, d’un coup de laquelle il terrassa le comte de Salisbury ; il s’imaginoit par ce moyen être à couvert de tout repro-

che, prétendant que ce n’étoit pas répandre le sang,

comme cela lui étoit défendu à cause de sa qualité d’évêque.

Quelques évêques & abbés obtenoient des dispenses de servir en personne, & envoyoient quelqu’un en leur place ; d’autres étoient dispensés purement & simplement du service, comme Philippe Auguste l’accorda en 1200 à l’évêque de Paris, & Philippe III. à Gerard de Moret abbé de S. Germain-des-Prez ; mais nos rois étoient fort retenus dans la concession de ces dispenses, qui tendoient à affoiblir les forces de l’état.

Pour être convaincu de l’usage constant où étoient les ecclésiastiques de faire le service militaire pour leurs fiefs, ou au moins d’envoyer quelqu’un en leur place, il suffit de parcourir les rôles des anciens bans & arriere-bans, qui sont rapportés à la suite du traité de la noblesse par de la Roque, dans lesquels sont compris les évêques, abbés, prieurs, chanoines, & autres bénéficiers, les religieux, & même les religieuses, & cela depuis Philippe Auguste jusque fort avant dans le xjv. siecle.

Philippe le Bel, en 1303, écrivit à tous les archevêques & évêques des lettres circulaires, qu’ils eussent à se rendre avec leurs gens à son armée de Flandre ; & par d’autres lettres de la même année, il demande à tous les gens d’église un secours d’hommes & d’argent à proportion des terres qu’ils possédoient ; il ordonna encore, en 1304, à tous les ecclésiastiques de son royaume, de se trouver en personne à son armée à Arras, ainsi qu’ils y étoient obligés par le serment de fidélité.

De même Philippe V, dans des lettres du 4 Juin 1318, adressées au bailli de Vermandois, dit : Nous vous envoyons plusieurs lettres, par lesquelles nous requérons & semonnons les prélats, abbés, barons, nobles, & autres,… qu’ils soient en chevaux & en armes appareillés suffisamment selon leur état, & le plus fortement qu’ils le pourront, à la quinzaine prochaine à Arras, &c.

Il y eut encore pendant long tems plusieurs prélats & autres ecclésiastiques, qui faisoient en personne le service militaire qu’ils devoient pour leurs fiefs.

On voit dans les registres de la chambre des comptes, qu’Henri de Thoire & de Villars, étant évêque de Valence & depuis archevêque de Lyon, porta les armes, avec Humbert sire de Thoire & de Villars, son frere aîné, dans les armées de Philippe de Valois en Flandres, dans les années 1337, 1338, 1340, 1341, & 1342, ayant six chevaliers & quatre-vingt-deux écuyers de leur compagnie.

Jean de Meulant évêque de Meaux, se trouva aussi en 1339 & 1340, dans les armées de Flandres.

Renaut Chauveau évêque de Châlons, assista à la bataille de Poitiers où il fut tué ; & Guillaume de Melun archevêque de Sens, y fut fait prisonnier.

A la bataille d’Azincourt, donnée le 25 Octobre 1415, Guillaume de Montaigu archevêque de Sens, qui fut le seul entre les ecclésiastiques qui se trouva en personne à cette journée, fit admirer son grand courage dont il avoit déjà donné des preuves en d’autres occasions ; il se porta dans celle-ci aux endroits les plus dangereux, & y perdit la vie.

Louis d’Amboise cardinal & évêque d’Alby, s’employa aussi fort utilement au siége de Perpignan l’an 1475.

Dans la suite, au moyen des contributions d’hommes & d’argent que les ecclésiastiques ont fournies, ils ont été peu-à-peu dispensés de servir en personne, & même entierement exemptés du ban & de l’arriere-ban, tant par François I. le 4 Juillet 1541, que par contrat du 29 Avril 1636, sous le regne de Louis XIII.

Depuis le regne de Constantin, les ecclésiastiques