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Il faut observer que lorsque ces dernieres eaux sont bien préparées, & sur-tout lorsqu’elles ont été très-chargées des principes volatils des plantes par des cohobations répetées (voyez Cohobation), elles ne retiennent que bien peu de l’eau étrangere qui a été employée dans leur distillation, & qu’elles sont comprises par conséquent dans la définition que nous avons donnée des eaux distillées en général, qui paroîtroit, sans cette réflexion, ne convenir qu’aux eaux essentielles.

Les eaux essentielles, rétirées des substances odorantes, sont cependant plus aromatiques & plus durables que celles qui sont rétirées des mêmes substances par l’addition de l’eau. Cela vient, pour la partie aromatique, de ce que dans la premiere opération toute la partie aromatique du sujet traité passe avec l’eau essentielle ; au lieu que dans la seconde, une partie de ce principe reste unie à une huile essentielle qui s’éleve avec l’eau dans la distillation du plus grand-nombre des plantes odorantes (voyez Huile essentielle). Les eaux distillées par la seconde méthode sont moins durables, parce que l’eau qu’on employe à leur distillation, & le plus haut degré de feu qu’on leur applique, volatisent une certaine matiere mucilagineuse qui forme des especes de réseaux ou nuages qui troublent après quelques mois la limpidité de ces eaux, & qui les corrompt à la fin, qui les fait graisser. Les eaux les plus sujettes à cette altération, sont celles qu’on retire des plantes très aqueuses, insipides, & inodores ; telles sont l’eau de laitue, l’eau de pourpier, de bourrache, de buglosse, &c.

Voilà donc les principales différences des deux opérations : l’addition d’une eau étrangere & un feu plus fort, distinguent la derniere de la premiere. On verra à l’article Feu, qu’un corps exposé à la chaleur de l’eau, dans l’appareil que nous appellons bain-marie, ne prend jamais le même degré de chaleur que le bain, & par conséquent qu’il ne contracte jamais celui de l’eau bouillante.

Après avoir donné une idée générale de ces opérations, voici les observations particulieres que nous croyons les plus importantes.

Premierement, il importe très-fort pour l’exactitude absolue de la préparation, & plus encore pour son usage médicinal, que les vaisseaux qu’on employe à la distillation des eaux dont il s’agit, ne puissent leur communiquer rien d’étranger, & sur-tout de nuisible. C’est pour se conformer à cette regle (qui n’est qu’une application d’une loi générale du manuel chimique), que nous avons recommandé de se servir de cucurbites d’étain autant qu’il étoit possible : il est plus essentiel encore que les chapiteaux soient faits de ce métal, que les principes les plus actifs élevés dans la distillation dont nous parlons n’attaquent point, du moins sensiblement, au lieu que le cuivre est manifestement entamé par plusieurs de ces principes. Voyez Chapiteau.

La pauvreté chimique ne permet pas de penser aux chapiteaux d’argent ou d’or, qui seroient sans contredit les meilleurs. Les alembics de verre, recommandés dans la pharmacopée de Paris pour la distillation des plantes alkalines, ne peuvent servir que pour un essai, ou dans le laboratoire d’un amateur, mais jamais dans celui d’un artiste qui exécute ces distillations en grand : car la fracture à laquelle ces vaisseaux sont sujets, la prodigieuse lenteur de la distillation dans des alembics dont on ne peut presque pas rafraîchir les chapiteaux, l’impossibilité d’en avoir d’une certaine capacité ; tout cela, dis-je, rend cette opération à-peu-près impraticable. On a eu raison cependant de préferer les vaisseaux de verre aux vaisseaux de cuivre, malgré tous les inconvéniens de l’emploi des premiers ; mais l’étain, com-

me nous l’avons déjà observé, n’est pas dangereux

comme le cuivre, & il en a toutes les commodités.

2°. Si le réfrigérant adapté au chapiteau d’étain, ne condense pas assez au gré de l’artiste certains principes très-volatils, il a la ressource du serpentin ajoûté au bec du chapiteau. Voyez Serpentin.

3°. Si les substances à distiller sont dans un état sec ou solide, il est bon de les faire macérer à froid ou à chaud, pendant un tems proportionné à l’état de chaque matiere. Les bois & les racines seches doivent être rapés, les racines fraîches pilées ou coupées par rouelles ; les écorces seches, comme celles de canelle, concassées, &c. N. B. Que les bois, les racines, & les écorces se traitent par le second procédé.

4°. L’on doit avoir soin dans la distillation avec addition d’eau, de ne remplir la cucurbite que d’une certaine quantité de matiere, telle que le plus grand volume qu’elle acquerra dans l’opération, n’excede pas la capacité de la cucurbite ; car si ces matieres en se gonflant passoient dans le chapiteau, non-seulement l’opération seroit manquée, mais même si le bec du chapiteau venoit à se boucher, ce qui arrive souvent, dans ce cas le chapiteau pourroit être enlevé avec effort, & l’artiste être blessé ou brûlé. Les plantes qu’on appelle grasses, & sur-tout celles qui sont mucilagineuses, font sur-tout risquer cet accident.

5°. Aucun artiste n’observe les doses d’eau prescrites dans la plûpart des pharmacopées, & il est en effet très-inutile d’en prescrire : la regle générale qu’ils se contentent d’observer, est d’employer une quantité d’eau suffisante, pour qu’il y ait au fond du vaisseau ; sous la plante, le bois ou l’écorce traitée, toutes matieres qui surnagent pour la plûpart ; qu’il y ait, dis-je, au fond de la cucurbite trois ou quatre pouces d’eau, plus ou moins, selon la capacité du vaisseau, ou un ou deux pouces au-dessus des bois plus pesans que l’eau, comme gayac, &c.

6°. On ne voit point assez à quoi peut être bonne l’eau demandée dans la pharmacopée de Paris, dans les distillations exécutées par notre premier procédé : il semble qu’il vaudroit mieux la supprimer.

Les eaux distillées sont ou simples ou composées. Les eaux simples sont celles qu’on retire d’une seule substance distillée avec l’eau : les eaux composées sont le produit de plusieurs substances distillées ensemble avec l’eau.

Nous n’avons parlé jusqu’à présent que des eaux distillées proprement dites, c’est-à-dire de celles qui ne sont mêlées à aucun principe étranger, ou tout au plus à une petite quantité d’eau commune, qui est une substance absolument identique avec celle qui constitue leur base.

Il est outre cela dans l’art plusieurs préparations, soit simples soit composées, qui portent le nom d’eau spiritueuse, ou même d’eau simplement, & qui sont des produits de la distillation de diverses substances aromatiques avec les esprits ardens ou avec le vin ; telles sont l’eau de cannelle spiritueuse, l’eau de mélisse ou eau des carmes, l’eau de la reine d’Hongrie, &c. On prépare ces eaux comme les eaux distillées proprement dites : les regles de manuel sont les mêmes pour les deux opérations ; il faut seulement ne pas négliger dans la distillation des eaux spiritueuses, les précautions qu’exige la distillation des esprits ardens. Voyez Vin.

Au reste, toutes les préparations de cette espece ne sont pas connues dans l’art sous le nom d’eau ; cette dénomination est bornée par l’usage à un certain nombre : plusieurs autres exactement analogues à celles-ci portent le nom d’esprit (voyez Esprit) ; ainsi on dit eau de cannelle & esprit de lavande, de thim, de citron ; eau vulneraire & esprit carminatif