Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occasion un bel éloge des Germains, en disant que les bonnes mœurs avoient chez eux plus de force que n’en ont ailleurs les lois. Les testamens n’étoient point usités parmi eux ; ensorte que les successions étoient déférées ab intestat ; d’abord aux enfans, & à défaut d’enfans, au parent le plus proche ; d’abord aux freres, ensuite aux oncles. Ils traitoient doucement leurs esclaves ; & néanmoins ils pouvoient les punir, soit en leur mettant des fers, ou en les chargeant de travaux pénibles : il leur arrivoit même quelquefois de les tuer, non pas par principe de justice ni de sévérité, mais par un mouvement de colere ; & ces faits demeuroient impunis. Les terres étoient distribuées aux habitans de chaque canton, à proportion du nombre des cultivateurs ; & ceux-ci les subdivisoient ensuite entre eux.

Telles étoient en substance les coûtumes des Germains au tems dont parle Tacite, qui vivoit sous l’empire de Vespasien.

Les Romains avoient cependant déjà remporté quelques avantages sur certains peuples de la Germanie, mais ils ne les subjuguerent jamais entierement. Il est vrai que les peuples qui demeuroient entre l’Italie & le Rhin, furent soûmis aux Romains du tems d’Auguste & de Tibere, ce qui a pu commencer à introduire le droit en Allemagne ; mais après la mort de ces empereurs, les Romains ne purent conserver que les peuples qui porterent les premiers le nom d’Allemands : encore ceux-ci se révolterent-ils vers l’an 200, & firent souvent des courses dans les Gaules. Le reste de l’Allemagne au-delà du Danube & de l’Elbe, ne fut jamais assujetti aux Romains ; on voit au contraire que les Cimbres, les Saxons, les. Huns, & autres peuples de Germanie, firent souvent des courses sur les terres de l’empire en Occident, & les occuperent presque toutes ; de sorte que les Germains conserverent toûjours leurs anciennes coûtumes, à moins que le mêlange qui se fit des vainqueurs avec les vaincus, ne contribuât encore à faire adopter insensiblement les lois romaines aux Germains.

Un des peuples de Germanie qui habitoit entre le Danube & le Rhin, ayant pris le nom d’Allemand, ce nom devint dans la suite celui de toute la nation Germanique ; ce qui arriva vers le tems de l’empereur Frédéric.

Les coûtumes & les lois des Francs qui étoient un mêlange de différens peuples de Germanie, peuvent aussi être considérées comme des vestiges du droit Allemand ou de Germanie en général. En effet Clovis défit les Allemands proprement dits l’an 496 ; d’autres, peuples de Germanie se soûmirent à lui ; Clotaire & Thierri fils de Clovis, défirent les Thuringiens en 530 ; & en 532 dans la suite, les successeurs de Thierri gouvernerent par des ducs les peuples qu’ils avoient soûmis en Allemagne.

On commença alors à rédiger par écrit les coûtumes des Germains, & ces coûtumes furent appellées lois : de ce nombre est la loi des Allemands, laquelle fut d’abord rédigée par écrit à Châlons-sur-Marne, conformément à la tradition, par ordre de Thierri roi de France, fils de Clovis. Elle fut ensuite corrigée par Childebert, & enfin par Clotaire : cette derniere rédaction porte en titre dans les anciennes éditions, qu’elle a été résolue par Clotaire, par ses princes ou juges, savoir par trente-quatre évêques, trente-quatre ducs, soixante-douze comtes, & partout le peuple. Les lois se faisoient alors dans l’assemblée générale de la nation.

Il ne faut pas croire cependant que la loi des Allemands fût le droit de toute la Germanie, ce n’étoit que la loi particuliere des peuples d’Alsace & du haut Palatinat. Il y eut encore plusieurs autres lois qui furent redigées par écrit pour chacune des prin-

cipales nations, dont la Germanie étoit composée,

& qui étoient soûmises aux Francs, où dont quelques détachemens les avoient suivis dans les Gaules.

Ainsi la loi Salique, faite de l’autorité des rois Childebert & Clotaire, enfans de Clovis, étoit la loi particuliere des Francs, & par conséquent d’une partie des peuples de Germanie.

La loi des ripuaires ou des ripuariens, qui n’est quasi qu’une répétition de la loi Salique, étoit aussi pour les Francs ; on croit seulement que la loi Salique étoit pour ceux qui habitoient entre la Loire & la Meuse, & que l’autre étoit pour ceux qui habitoient entre la Meuse & le Rhin.

On rédigea aussi dans le même tems la loi des Bavarois & celle des Saxons, tous peuples de Germanie.

Toutes ces différentes lois furent rédigées en latin par des Romains, qui étoient alors presque les seuls qui eussent l’usage des lettres. Elles sont remplies de mots allemands. Nous n’entreprendrons point ici d’entrer dans le détail de leurs dispositions, qui nous meneroit trop loin : on les peut voir toutes rassemblées dans le recueil intitulé, codex legum antiquarum. Nous observerons seulement qu’Agathias, liv. I. pag. 18. édit. reg. écrit que du tems de Justinien, les Allemands suivoient pour l’administration de la justice, les lois faites par les rois des Francs.

Pour ce qui est du droit observé présentement en Allemagne, il est de deux sortes : savoir, le droit commun à toute l’Allemagne ; & le droit particulier de chaque état dont le corps Germanique est composé.

Le droit commun & général de l’empire est composé des constitutions anciennes, de la bulle-d’or, de la pacification de Passau, des traités de Westphalie & autres semblables, & du droit romain, lequel y a sans doute été introduit insensiblement, de même qu’en France, par le mêlange des Allemands avec les Romains, & avec les Gaulois qui observoient le droit romain.

Lorsque Charlemagne parvint à l’empire d’Occident, il ordonna que l’on suivroit en Allemagne le code Théodosien dans tous les cas qui n’étoient pas décidés par les coûtumes particulieres, telles que celles des Saxons qui avoient leur loi, dans l’usage de laquelle il les confirma.

On suivit ainsi pendant plus d’un siecle en Allemagne le code Théodosien ; ce code, les lois saxones, & les coûtumes, formerent pendant plus de 200 ans tout le droit observé en Allemagne.

Les lois de Justinien ne commencerent à y être observées que depuis qu’on les eut retrouvées en Italie dans le douzieme siecle. Irnerius, qui étoit Allemand de naissance, obtint de l’empereur Lothaire que les ouvrages de Justinien seroient cités dans le barreau, & qu’ils auroient force de loi dans l’empire à la place du code Théodosien. Il n’y avoit cependant point encore d’écoles de droit en Allemagne. Ce fut Haloander, aussi Allemand de naissance, lequel, vers l’an 1500, mit en vogue l’étude des lois romaines dans sa patrie.

La loi des Saxons, qui étoit l’ancien droit d’une grande partie de l’Allemagne, continua cependant d’y être observée dans les provinces qui l’avoient adoptée avant le recouvrement du digeste ; mais le droit romain a été depuis ce tems considéré comme le droit commun du pays, auquel on a recours pour décider les cas qui ne sont pas nettement prévûs par le droit saxon, ou par les coûtumes particulieres des villes ou des provinces, ou par les constitutions des souverains. Cet usage fut confirmé par un decret exprès de l’Empire du tems de Maximilien : cependant quelques novateurs ont contesté ce principe en Allemagne, comme on l’a contesté en France : mais