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toûjours être regardée comme nuisible par elle-même, soit qu’elle soit seule ou qu’elle se trouve jointe à quelqu’autre maladie, parce qu’elle abolit les forces, elle trouble les fonctions, elle empêche la coction des humeurs morbifiques, elle produit toûjours d’une maniere proportionnée à son intensité quelques-uns des mauvais effets ci-dessus mentionnés. Toute douleur qui affecte un organe principal est très pernicieuse, sur-tout si elle est très-forte & qu’elle tourmente beaucoup ; si elle est continue & qu’elle subsiste long-tems ; si elle fait perdre à la partie sa chaleur naturelle, & qu’elle la rende insensible. On regarde comme moins mauvaise, celle qui n’est pas considérable, qui n’est pas fixe, qui n’est pas durable, & qui n’a pas son siége dans un organe principal, mais dans une partie moins importante. Les douleurs, quoique toûjours pernicieuses de leur nature, servent cependant quelquefois dans les maladies aiguës à annoncer un bon effet, un évenement salutaire ; telles sont celles qui dans un jour critique où il paroît des signes de coction, surviennent dans une partie qui ne sert pas aux fonctions principales, comme les cuisses, les jambes. Les douleurs se font sentir au commencement des maladies, ou dans la suite : les premieres sont ordinairement symptomatiques ; & si elles ont leur siége dans les cavités qui contiennent les visceres, elles sont un signe d’inflammation, ou tout au moins de disposition inflammatoire, sur-tout lorsqu’elles sont accompagnées de fievre, de tension dans la partie : celles de cette nature qui ne sont pas continues & qui se dissipent, après quelqu’effet qui en ait pû emporter la cause, comme après quelques évacuations que la nature ou l’art ont faites à-propos, ne sont pas dangereuses, sur-tout si elles ne sont accompagnées d’aucun mauvais signe, & dans le cas même où la fiévre subsisteroit après qu’elles paroîtroient dissipées, parce qu’elle est une continuation de l’effort qu’a fait la nature pour résoudre l’humeur morbifique. C’est sur ce fondement qu’Hippocrate a dit, aphorisme 4, sect. 6. « La fiévre qui survient à ceux qui ont les hypocondres tendus avec douleur, guérit la maladie » ; & ensuite dans l’aphor. 52 sect. 7, il ajoute : « ceux qui ont des douleurs aux environs du foie, en sont bien-tôt délivrés si la fiévre survient ». Pour ce qui est des douleurs qui sont guéries par quelqu’évacuation, il dit dans les coaques, sect. 1, text. 32 : « ceux qui avec la fiévre ont des douleurs de côté, guérissent par les déjections fréquentes de matieres aqueuses mêlées de bile » ; ainsi de bien d’autres prognostics de cette nature, qu’Hippocrate rapporte sur les douleurs dans ses différens ouvrages. Il n’est pas moins riche d’observations, par lesquelles il porte, d’après les douleurs, des jugemens desavantageux, tels que ceux-ci, aphorisme 62, sect. 4 : « s’il survient dans les fiévres une grande chaleur à l’estomac avec douleur vers l’orifice supérieur, c’est un mauvais signe » ; & dans l’aphorisme suivant : « les convulsions & les douleurs violentes autour des visceres, qui surviennent dans les fiévres continues, sont de très-mauvais augure » ; dans les prognostics, text. 36 : « la douleur aiguë des oreilles dans une fiévre violente, est un mauvais signe, parce qu’il y a lieu de craindre qu’il ne survienne un délire ou une défaillance ». Ces exemples doivent suffire pour exciter à consulter ce grand maître dans l’art de prédire les évenemens des maladies, dans ses œuvres mêmes ou dans celles de ses excellens commentateurs, tels que Prosper Alpin, de præsag. vitâ & morte, Duret, in coacas, & autres.

Tout ce qui peut faire cesser la disposition des nerfs, qui sont en danger de se rompre, peut faire cesser la douleur ; mais comme cette disposition peut

être occasionnée par un si grand nombre de causes différentes, les remedes anodins sont aussi différens entr’eux, puisqu’ils doivent être appropriés à chacune de ces causes : il est donc absolument nécessaire de les bien connoître, avant que de déterminer ce qu’il convient d’employer pour en faire cesser l’effet : mais avant toutes choses il faut prescrire le régime convenable, attendu que les douleurs, pour peu qu’elles soient considérables, troublent toutes les fonctions, il est nécessaire d’observer une diete d’autant plus severe, que les douleurs sont plus grandes. Cela posé, dans le cas où la douleur provient d’une trop forte distension de la partie souffrante, il faut en procurer le relâchement ou méchaniquement ou physiquement : dès qu’on cesse l’extension & la contre-extension des membres dont on veut réduire la luxation, la douleur cesse aussi. Si on ne peut pas faire cesser la distension des fibres, on doit faire ensorte qu’elle puisse subsister sans que la rupture s’ensuive ; c’est ce qu’on peut obtenir par le moyen des émolliens aqueux, huileux, appliqués à la partie affectée de douleur. Une verge de bois sec se rompt aisément lorsqu’on la fléchit ; si elle est humectée on peut la plier sans la rompre : de même la tension d’une partie enflammée qui cause une douleur insupportable, se relâche considérablement par l’application des cataplasmes humectans, des fomentations lénitives, de la vapeur de l’eau tiede par les bains ; en un mot, tous les remedes qui peuvent produire le relâchement des parties solides, conviennent contre la douleur, de quelque cause qu’elle puisse provenir, parce qu’elle est toûjours l’effet d’une trop grande tension des fibres nerveuses ; ils peuvent par conséquent être regardés presque comme universels en ce genre ; il est très-peu de cas où ils soient contr’indiqués. Voyez Emolliens.

Lorsque la douleur provient d’une matiere qui obstrue un vaisseau quelconque, en distend trop les parois, on doit s’appliquer à faire cesser cette cause, en procurant la résolution ou la suppuration de la matiere de l’obstruction (voyez Obstruction, Résolutif, Suppuratif) ; en diminuant le mouvement, l’effort & la quantité de la matiere qui fait la distension du vaisseau par de copieuses & de fréquentes saignées, autant que les forces du malade le peuvent permettre : les autres évacuans peuvent aussi être employés dans ce cas comme les purgatifs, &c. s’il n’y a point de contr’indication ; mais on doit éviter soigneusement tout remede irritant, & qui peut agiter, échauffer, en déterminant l’évacuation.

Il n’est pas moins nécessaire de diminuer le mouvement des humeurs par le repos & par les moyens ci-dessus mentionnés, lorsque ce sont des matieres âcres appliquées aux parties souffrantes, qui sont cause de la douleur ; parce que l’action des irritans sur les nerfs est proportionnée à la force avec laquelle ils sont portés contre les parties sensibles, & à la réaction de celles-ci qui se portent contr’eux : les caustiques les plus forts ne font rien sur un cadavre : on doit aussi s’assûrer de l’espece d’acrimonie dominante, pour la corriger par les spécifiques, comme lorsqu’elle est acide, on oppose les alkalis ou les absorbans terreux ; ou si on ne peut pas bien s’assûrer du caractere de l’âcre, on se borne à lui opposer les remedes généraux propres à émousser les pointes, comme la diete lactée, les huileux, les graisseux, les inviscans, &c. mais la douleur provient rarement d’un tel vice dominant dans toute la masse des humeurs, alors il agiroit dans toutes les parties du corps avec la même énergie, & le cerveau en seroit détruit avant qu’il pût produire des effets marqués sur les autres parties : l’acrimonie n’a communément lieu, comme cause de douleur, que dans les