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Voici ce qu’en mon particulier, j’ai pû recueillir de plusieurs lectures des deux ouvrages.

Tous les deux conviennent unanimement qu’on ne peut faire aucun changement dans les monnoies d’un état, sans altérer la confiance publique.

Que les augmentations des monnoies par les réformes au profit du prince, sont pernicieuses : parce qu’elles laissent nécessairement une disproportion entre les nouvelles especes & les anciennes qui les font sortir de l’état, & qui jettent une confusion déplorable dans la circulation intérieure. M. Dutot en expliquant dans un détail admirable par le cours des changes, les effets d’un pareil desordre, prouve la nécessité de rapprocher les deux especes, soit en diminuant les nouvelles, soit en haussant les anciennes : que l’un ou l’autre opéroit également la cessation du desordre dans la circulation, & la sortie de l’argent ; mais il n’est point convenu que la diminution ou l’augmentation du numéraire fissent dans leur principe & dans leurs suites aucun bien à l’état. Il a même avancé en plus d’un endroit, qu’il valoit mieux rapprocher les deux especes en diminuant les nouvelles, & il l’a démontré.

M. Melon a avancé que l’augmentation simple des valeurs numéraires dans une exacte proportion entr’elles, étoit nécessaire pour soulager le laboureur accablé par l’imposition ; qu’elle étoit favorable au roi & au peuple comme débiteurs ; qu’à choses égales, c’est le débiteur qu’il convient de favoriser.

M. Dutot a prouvé par des faits & par des raisonnemens, qu’une pareille opération étoit ruineuse à l’état, & directement opposée aux intérêts du peuple & du roi. La conviction est entiere aux yeux de ceux qui lisent cet ouvrage avec plus de méthode que l’auteur n’y en a employé : car il faut avoüer que l’abondance des choses & la crainte d’en répéter, lui ont fait quelquefois négliger l’ordre & la progression des idées.

Examinons l’opinion de M. Melon de la maniere la plus simple, la plus courte, & la plus équitable qu’il nous sera possible : cherchons même les raisons qui ont pû séduire cet écrivain, dont la lecture d’ailleurs est si utile à tous ceux qui veulent s’instruire sur le Commerce.

Si le numéraire augmente, le prix des denrées doit hausser ; ce sera dans une des trois proportions suivantes ; 1°. dans la même proportion que l’espece ; 2°. dans une proportion plus grande ; 3°. dans une moindre proportion.

Premiere supposition. Le prix des denrées hausse dans la même proportion que le numéraire.

Il est constant qu’aucune denrée n’est produite sans travail, & que tout homme qui travaille dépense. La dépense augmentant dans la proportion de la recette, il n’y a aucun profit dans ce changement pour le peuple industrieux, pour les propriétaires des fruits de la terre. Car les propriétaires des rentes féodales auxquels il est dû des cens & rentes en argent, reçoivent évidemment moins ; les frais des réparations ont augmenté cependant, dès-lors ils sont moins en état de payer les impôts.

Ceux qui ont emprunté ou qui doivent de l’argent, acquitteront leur dette avec une valeur moindre en poids & en titre. Ce que perdra le créancier sera gagné par le débiteur : le premier sera forcé de dépenser moins, & le second aura la faculté de dépenser davantage. La circulation n’y gagne rien, le changement est dans la main qui dépense. Disons plus, l’argent étant le gage de nos échanges, ou pour parler plus exactement le moyen terme qui sert à les évaluer, tout ce qui affecte l’argent ou ses propriétaires porte sur toutes les denrées ou leurs propriétaires. C’est ce qu’il faut expliquer.

S’il y avoit plus de débiteurs que de créanciers,

la raison d’état (quoique mal entendue en ce cas) pourroit engager le législateur à favoriser le plus grand nombre. Cherchons donc qui sont les débiteurs, & l’effet de la valeur qu’on veut leur procurer.

Les créanciers dans un état sont les propriétaires de l’argent ou des denrées.

Il est sûr que l’argent est inégalement partagé dans tous les pays, principalement dans ceux où le commerce étranger n’est pas le principe de la circulation.

Si les propriétaires de l’argent ont eu la confiance de le faire rentrer dans le Commerce, surhausser l’espece, c’est les punir de leur confiance ; c’est les avertir de mettre leur argent à plus haut prix à l’avenir ; effet certain & directement contraire au principe de la circulation ; enfin c’est non-seulement introduire dans l’état une diminution de sûreté, mais encore autoriser une mauvaise foi évidente entre les sujets. Je n’en demande pas d’autre preuve que le système où sont quantité de familles dans le royaume de devoir toûjours quelque chose. Qu’attendent-elles, que l’occasion de pouvoir manquer à leurs engagemens en vertu de la loi ? Quel en est l’effet, sinon d’entretenir la défiance entre les sujets, de maintenir l’argent à un haut prix, & de grossir la dépense du prince ? Quoiqu’une longue & heureuse expérience nous ait convaincus des lumieres du gouvernement actuel, le préjugé subsiste, & subsistera encore jusqu’à ce que la génération des hommes qui ont été témoins du desordre des surhaussemens, soit entierement éteinte. Effet terrible des mauvaises opérations !

C’est donc le principe de la répartition inégale de l’argent qu’il faut attaquer ou réformer ; au lieu de dépouiller ses possesseurs par une violence dangereuse dans ses effets pendant des siecles. Mais ce n’est pas tout : observons que si les propriétaires de l’argent l’ont rendu à la circulation, elle n’est donc pas interrompue. C’est le cas cependant où M. Melon conseille l’augmentation des monnoies. Si l’argent est resserré ou caché, il y a un grand nombre de demandeurs & point de prêteurs : dès-lors le nombre des débiteurs sera très-médiocre ; & ce seroit un mauvais moyen de faire sortir l’argent, que de rendre les propriétés plus incertaines.

Ce ne peut donc être des prêteurs ni des emprunteurs de l’argent, que M. Melon a voulu parler.

D’un autre côté le nombre des emprunteurs & des prêteurs des denrées est égal dans la circulation intérieure. Les denrées appartiennent aux propriétaires des terres, ou aux ouvriers qui sont occupés par le travail de ces denrées. Par l’enchaînement des consommations, tout ce que reçoit le propriétaire d’une denrée passe nécessairement à un autre : chacun est tout à la fois créancier & débiteur ; le superflu de la nation passe aux étrangers. Il n’y a donc pas plus de débiteurs à favoriser que de créanciers. Il n’y a que les débiteurs étrangers de favorisés ; car dans le moment du surhaussement payant moins en poids & en titre, ils acquitteront cependant le numéraire de leur ancienne dette. Présent ruineux pour l’état qui le fait ! Examinons l’intérêt du prince, & celui du peuple relativement aux impôts.

Il est clair que le prince reçoit le même numéraire qu’auparavant, mais qu’il reçoit moins en poids & en titre. Ses dépenses extérieures restent absolument les mêmes intrinséquement, & augmentent numérairement ; le prix des denrées ayant augmenté avec l’argent, la dépense sera doublée : il faudra donc recourir à des aliénations plus funestes que les impôts passagers, ou doubler le numéraire des impôts pour balancer la dépense. Où est le profit du prince & celui du peuple ?

Le voici sans doute. Si le prince a un pressant be-