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l’Hopital, & vous serez convaincu de ce que nous avançons ici. Il n’y avoit, pour la rendre générale, qu’à l’appliquer aux courbes dont les équations ont des radicaux ; & pour cela il suffisoit de remarquer que est la différentielle de , non-seulement lorsque m est un nombre entier positif (c’est le cas de Barrow), mais encore lorsque m est un nombre quelconque entier, ou rompu, positif, ou négatif. Ce pas étoit facile en apparence ; & c’étoit cependant celui qu’il falloit faire pour trouver tout le calcul différentiel. Ainsi quel que soit l’inventeur du calcul différentiel, il n’a fait qu’étendre & achever ce que Barrow avoit presque fait, & ce que le calcul des exposans, trouvé par Descartes, rendoit assez facile à perfectionner. Voyez Exposant. C’est ainsi souvent que les découvertes les plus considérables, préparées par le travail des siecles précédens, ne dépendent plus que d’une idée fort simple. Voyez Découverte.

Cette généralisation de la méthode de Barrow, qui contient proprement le calcul différentiel, ou (ce qui revient au même) la méthode des tangentes en général, se trouve dans une lettre de Leibnitz du 21 Juin 1677, rapportée dans le même recueil, p. 90. C’est de cette lettre qu’il faut dater, & non des actes de Leipsic de 1684, où Leibnitz a publié le premier les regles du calcul différentiel, qu’il connoissoit évidemment sept ans auparavant, comme on le voit par la lettre citée. Venons aux autres faits qu’on peut opposer à Leibnitz.

Par une lettre de Newton du 13 Juin 1676, p. 49 de ce recueil, on voit que ce grand géometre avoit imaginé une méthode des suites, qui l’avoit conduit aux calculs différentiel & intégral ; mais Newton n’explique point comment cette méthode y conduit, il se contente d’en donner des exemples ; & d’ailleurs les commissaires de la société royale ne disent point si Leibnitz a vû cette lettre ; ou pour parler plus exactement, ne disent point qu’il l’a vûe : observation remarquable & importante, comme on le verra tout à l’heure. Il n’est parlé dans le rapport des commissaires que de la lettre de Newton de 1672, comme ayant été vûe par Leibnitz ; ce qui ne conclud rien contre lui, comme nous l’avons prouvé. Voyez p. 121 de ce recueil, le rapport des commissaires nommés par la société royale, art. II. & III. Il semble pourtant par le titre de la lettre de Newton de 1676, imprimée page 49 du recueil, que Leibnitz avoit vû cette lettre avant la sienne de 1677 ; mais cette lettre de 1676 traite principalement des suites ; & le calcul différentiel ne s’y trouve que d’une maniere fort éloignée, sous-entendue, & supposée. C’est apparemment pour cela que les commissaires n’en parlent point ; car par la lettre suivante de Leibnitz, page 58, il paroît qu’il avoit vû la lettre de Newton de 1676, ainsi qu’une autre du 24 Octobre même année, qui roule sur la même méthode des suites. On ne dit point non plus, & on sait encore moins, si Leibnitz avoit vû un autre écrit de Newton de 1669, qui contient un peu plus clairement, mais toûjours implicitement, le calcul différentiel, & qui se trouve au commencement de ce même recueil.

C’est pourquoi, si on ne peut refuser à Newton la gloire de l’invention, il n’y a pas non plus de preuves suffisantes pour l’ôter à Leibnitz. Si Leibnitz n’a point vû les écrits de 1669 & 1676, il est inventeur absolument : s’il les a vûs, il peut passer pour l’être encore, du moins de l’aveu tacite des commissaires, puisque ces écrits ne contiennent pas assez clairement le calcul différentiel, pour que les commissaires lui ayent reproché de les avoir lus. Il faut avoüer pourtant que ces deux

écrits, sur-tout celui de 1669, s’il l’a lu, peuvent lui avoir donné des idées (voyez page 19 du recueil) ; mais il lui restera toûjours le mérite de les avoir eues, de les avoir développées, & d’en avoir tiré la méthode générale de différentier toutes sortes de quantités. On objecte en vain à Leibnitz que sa métaphysique du calcul différentiel n’étoit pas bonne, comme on l’a vû plus haut : cela peut être ; cependant cela ne prouve rien contre lui. Il peut avoir trouvé le calcul dont il s’agit, en regardant les quantités différentielles comme des quantités réellement infiniment petites, ainsi que bien des géometres les ont considérées ; il peut ensuite, effrayé par les objections, avoir chancelé sur cette métaphysique. On objecte enfin que cette méthode auroit dû être plus féconde entre ses mains, comme elle l’a été dans celles de Newton. Cette objection est peut-être une des plus fortes pour ceux qui connoissent la nature du véritable génie d’invention. Mais Leibnitz, comme on sait, étoit un philosophe plein de projets sur toutes sortes de matieres : il cherchoit plûtôt à proposer des vûes nouvelles, qu’à perfectionner & à suivre celles qu’il proposoit.

C’est dans les actes de Leipsic de 1684, comme on l’a dit plus haut, que Leibnitz a donné le calcul différentiel des quantités ordinaires. Celui des quantités exponentielles qui manquoit à l’écrit de Leibnitz, a été donné depuis en 1697 par M. Jean Bernoulli dans les actes de Leipsic ; ainsi ce calcul appartient en propre à ce dernier auteur.

Méthode différentielle, methodus differentialis, est le titre d’un petit ouvrage de Newton, imprimé en 1711 par les soins de M. Jones, où ce grand géometre donne une méthode particuliere pour faire passer par tant de points qu’on voudra une courbe de genre parabolique ; méthode très-ingénieuse. Comme M. Newton résout ce probleme, en employant des différences de certaines lignes, il a pour cette raison nommé sa méthode méthode différentielle. Elle est encore expliquée dans le lemme V. du III. liv. des principes mathématiques de la philosophie naturelle ; & elle a été commentée par plusieurs auteurs, entr’autres par M. Stirling dans son traité de summatione serierum, Lond. 1730, part. II. Voyez un plus grand détail aux articles Série, Parabolique, Courbe, Interpolation, &c. (O)

DIFFÉRENTIER, v. act. (Géomét.) une quantité dans la Géométrie transcendante, c’est en rendre la différence suivant les regles du calcul différentiel. Voyez Différence & Différentiel, où les regles & la métaphysique de ce calcul sont expliquées. Voyez aussi l’article Intégral. (O)

DIFFIDATION, s. f. (Hist.) en Allemagne, dans des tems de barbarie & d’anarchie, chaque prince ou seigneur se faisoit justice à lui-même, & croyoit pouvoir en sûreté de conscience aller piller, brûler, & porter la desolation chez son voisin, pourvû qu’il lui eût fait signifier trois jours avant que d’en venir aux voies de fait, qu’il étoit dans le dessein de rompre avec lui, de lui courir sus, & de se dégager des liens mutuels qui les unissoient : cette espece de guerre ou de brigandage se nommoit diffidation. Cet abus fut long tems toleré par la foiblesse des empereurs ; & au défaut de tribunaux autorisés pour rendre la justice, on exigeoit seulement qu’on remplît certaines formalités dans ces sortes de guerres particulieres, comme de les déclarer trois jours avant que d’en venir au fait ; que la déclaration fût faite aux personnes mêmes à qui on en vouloit, & en présence de témoins, & qu’on eût de bonnes raisons à alléguer : on ne défendoit alors que les diffidations ou guerres clandestines : mais Fréderic III. vint à bout de suspendre ces abus pour dix ans, & son fils Maxi-