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moyen la langue latine pourroit devenir en quelque sorte la commune mesure de toutes les autres. Cette considération mérite sans doute beaucoup d’égard ; néanmoins il faut observer que le latin étant une langue morte, nous ne sommes pas toûjours aussi à portée de connoître le sens précis & rigoureux de chaque terme, que nous le sommes dans une langue étrangere vivante ; que d’ailleurs il y a une infinité de termes de sciences, d’arts, d’œconomie domestique, de conversation, qui n’ont pas d’équivalent en latin ; & qu’enfin nous supposons que le dictionnaire soit l’ouvrage d’un homme très-versé dans les deux langues, ce qui n’est ni impossible, ni même fort rare. Enfin, il ne faut pas s’imaginer que quand on traduit des mots d’une langue dans l’autre, il soit toûjours possible, quelque versé qu’on soit dans les deux langues, d’employer des équivalens exacts & rigoureux ; on n’a souvent que des à-peu-près. Plusieurs mots d’une langue n’ont point de correspondant dans une autre, plusieurs n’en ont qu’en apparence, & different par des nuances plus ou moins sensibles des équivalens qu’on croit leur donner. Ce que nous disons ici des mots, est encore plus vrai & plus ordinaire par rapport aux tours ; il ne faut que savoir, même imparfaitement, deux langues, pour en être convaincu : cette différence d’expression & de construction constitue principalement ce qu’on appelle le génie des langues, qui n’est autre chose que la propriété d’exprimer certaines idées plus ou moins heureusement. Voyez sur cela une excellente note que M. de Voltaire a placée dans son discours à l’académie Françoise, tome II. de ses œuvres, Paris 1751, page 121. Voyez aussi Langue, Traduction, &c.

La disposition des mots par racines, est plus difficile & moins nécessaire dans un dictionnaire de langue vivante, que dans un dictionnaire de langue morte ; cependant comme il n’y a point de langue qui n’ait des mots primitifs & des mots dérivés, je crois que cette disposition, à tout prendre, pourroit être utile, & abregeroit beaucoup l’étude de la langue, par exemple celle de la langue angloise, qui a tant de mots composés, & celle de l’italienne, qui a tant de diminutifs, & d’analogie avec le latin. A l’égard de la prononciation de chaque mot, il faut aussi la marquer exactement, conformément à l’orthographe de la langue dans laquelle on traduit ; & non de la langue étrangere. Par exemple, on sait que l’e en anglois se prononce souvent comme notre i ; ainsi au mot sphere on dira que ce mot se prononce sphire. Cette derniere orthographe est relative à la prononciation françoise, & non à l’angloise ; car l’i en anglois se prononce quelquefois comme aï : ainsi sphire, si on le prononçoit à l’angloise, pourroit faire sphaïre.

Voilà tout ce que nous avions à dire sur les dictionnaires de langue. Nous n’avons qu’un mot à ajoûter sur les dictionnaires de la langue françoise traduits en langue étrangere, soit morte, soit vivante. Nous parlerons de l’usage des premiers à l’article latinité ; & à l’égard des autres, ils ne serviroient (si on s’y bornoit) qu’à apprendre très-imparfaitement la langue ; l’étude des bons auteurs dans cette langue, & le commerce de ceux qui la parlent bien, sont le seul moyen d’y faire de véritables & solides progrès.

Mais en général le meilleur moyen d’apprendre promptement une langue quelconque, c’est de se mettre d’abord dans la mémoire le plus de mots qu’il est possible : avec cette provision & beaucoup de lecture, on apprendra la syntaxe par le seul usage, sur-tout celle de plusieurs langues modernes, qui est fort courte ; & on n’aura guere besoin de lire des livres de Grammaire, sur-tout si on ne veut pas

écrire ou parler la langue, & qu’on se contente de lire les auteurs ; car quand il ne s’agit que d’entendre, & qu’on connoît les mots, il est presque toûjours facile de trouver le sens. Voulez-vous donc apprendre promptement une langue, & avez-vous de la mémoire ? apprenez un dictionnaire, si vous pouvez, & lisez beaucoup ; c’est ainsi qu’en ont usé plusieurs gens de lettres.

Dictionnaires historiques. Les dictionnaires de cette espece sont ou généraux ou particuliers, & dans l’un & l’autre cas ils ne sont proprement qu’une histoire générale ou particuliere, dont les matieres sont distribuées par ordre alphabétique. Ces sortes d’ouvrages sont extrèmement commodes, parce qu’on y trouve, quand ils sont bien faits, plus aisément même que dans une histoire suivie, les choses dont on veut s’instruire. Nous ne parlerons ici que des dictionnaires généraux, c’est-à-dire qui ont pour objet l’histoire universelle ; ce que nous en dirons, s’appliquera facilement aux dictionnaires particuliers qui se bornent à un objet limité.

Ces dictionnaires renferment en général trois grands objets ; l’Histoire proprement dite, c’est-à-dire le récit des évenemens ; la Chronologie, qui marque le tems où ils sont arrivés ; & la Géographie, qui en indique le lieu. Commençons par l’Histoire proprement dite.

L’histoire est ou des peuples en général, ou des hommes. L’histoire des peuples renferme celle de leur premiere origine, des pays qu’ils ont habités avant celui qu’ils possedent actuellement, de leur gouvernement passé & présent, de leurs mœurs, de leurs progrès dans les Sciences & dans les Arts, de leur commerce, de leur industrie, de leurs guerres : tout cela doit être exposé succintement dans un dictionnaire, mais pourtant d’une maniere suffisante, sans s’appesantir sur les détails, & sans négliger ou passer trop rapidement les circonstances essentielles : le tout doit être entremêlé des réflexions philosophiques que le sujet fournit, car la Philosophie est l’ame de l’Histoire. On ne doit pas oublier d’indiquer les auteurs qui ont le mieux écrit du peuple dont on parle, le degré de foi qu’ils méritent, & l’ordre dans lequel l’on doit les lire pour s’instruire plus à fond.

L’histoire des hommes comprend les princes, les grands, les hommes célebres par leurs talens & par leurs actions. L’histoire des princes doit être plus ou moins détaillée, à proportion de ce qu’ils ont fait de mémorable ; il en est plusieurs dont il faut se contenter de marquer la naissance & la mort, & renvoyer pour ce qui s’est fait sous leur regne, aux articles de leurs généraux & de leurs ministres. C’est sur-tout dans un tel ouvrage qu’il faut préparer les princes vivans à ce qu’on dira d’eux, par la maniere dont on parle des morts. Car comme un dictionnaire historique est un livre que presque tout le monde se procure pour sa commodité, & qu’on consulte à chaque instant, il peut être pour les princes une leçon forcée, & par conséquent plus sûre que l’histoire. La vérité, si on peut parler ainsi, peut entrer dans ce livre par toutes les portes ; & elle le doit, puisqu’elle le peut.

On en usera encore plus librement pour les grands. On sera sur-tout très-attentif sur la vérité des généalogies : rien sans doute n’est plus indifférent en soi-même ; mais dans l’etat où sont aujourd’hui les choses, rien n’est quelquefois plus nécessaire. On aura donc soin de la donner exacte, & sur-tout de ne la pas faire remonter au-delà de ce que prouvent les titres certains. On accuse Morery de n’avoir pas été assez scrupuleux sur cet article. La connoissance des généalogies emporte celle du blason, dont nos ayeux ignorans ont jugé à-propos de faire une scien-