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il est bon de tenir compte dans un dictionnaire ; mais comme cette langue n’existe plus, ces étymologies sont bien inférieures pour l’utilité aux étymologies greques & latines, & ne peuvent guere être que de simple curiosité.

Indépendamment des racines étrangeres d’une langue, & des racines philosophiques dont nous avons parlé plus haut ; je crois qu’il seroit bon d’inserer aussi dans un dictionnaire les mots radicaux de la langue même, en les indiquant par un caractere particulier. Ces mots radicaux peuvent être de deux especes ; il y en a qui n’ont de racines ni ailleurs, ni dans la langue même, & ce sont là les vrais radicaux ; il y en a qui ont leurs racines dans une autre langue, mais qui sont eux-mêmes dans la leur racines d’un grand nombre de dérivés & de composés. Ces deux especes de mots radicaux étant marqués & désignés, on reconnoîtra aisément, & on marquera les dérivés & les composés. Il faut distinguer entre dérivés & composés : tout mot composé est dérivé ; tout dérivé n’est pas composé. Un composé est formé de plusieurs racines, comme abaissement, de à & bas, &c. Un dérivé est formé d’une seule racine avec quelques différences dans la terminaison, comme fortement, de fort, &c. Un mot peut être à la fois dérivé & composé, comme abaissement, dérivé de abaissé, qui est lui-même composé de à & de bas. On peut observer que les mots composés de racines étrangeres sont plus fréquens dans notre langue que les mots composés de racines même de la langue ; on trouvera cent composés tirés du grec, contre un composé de mots françois, comme dioptrique, catoptrique, misanthrope, anthropophage. Toutes ces remarques ne doivent pas échapper à un auteur de dictionnaire. Elles font connoître la nature & l’analogie mutuelle des langues.

Il y a quelquefois de l’arbitraire dans le choix des racines : par exemple, amour & aimer peuvent être pris pour racines indifféremment. J’aimerois mieux cependant prendre aimer pour racine, parce qu’aimer a bien plus de dérivés qu’amour ; tous ces dérivés sont les différens tems du verbe aimer. Dans les verbes il faut toûjours prendre l’infinitif pour la racine des dérivés, parce que l’infinitif exprime une action indéfinie, & que les autres tems désignent quelque circonstance jointe à l’action, celle de la personne, du tems, &c. & par conséquent ajoûtent une idée à celle de l’infinitif. Voyez Dérivé, &c.

Tels sont les principaux objets qui doivent entrer dans un dictionnaire de langues, lorsqu’on voudra le rendre le plus complet & le plus parfait qu’il sera possible. On peut sans doute faire des dictionnaires de langues, & même des dictionnaires estimables, où quelques-uns de ces objets ne seront pas remplis ; il vaut même beaucoup mieux ne les point remplir du tout que les remplir imparfaitement ; mais un dictionnaire de langues, pour ne rien laisser à desirer, doit réunir tous les avantages dont nous venons de faire mention. On peut juger après cela si cet ouvrage est celui d’un simple grammairien ordinaire, ou d’un grammairien profond & philosophe ; d’un homme de lettres retiré & isolé, ou d’un homme de lettres qui fréquente le grand monde ; d’un homme qui n’a étudié que sa langue, ou de celui qui y a joint l’étude des langues anciennes ; d’un homme de lettres seul, ou d’une société de savans, de littérateurs, & même d’artistes ; enfin, on pourra juger aisément, si en supposant cet ouvrage fait par une société, tous les membres doivent y travailler en commun, ou s’il n’est pas plus avantageux que chacun se charge de la partie dans laquelle il est le plus versé, & que le tout soit ensuite discuté dans des assemblées générales. Quoi qu’il en soit de ces ré-

flexions que nous ne faisons que proposer, on ne

peut nier que le dictionnaire de l’académie françoise ne soit, sans contredit, notre meilleur dictionnaire de langue, malgré tous les défauts qu’on lui a reprochés ; défauts qui étoient peut-être inévitables, sur-tout dans les premieres éditions, & que cette compagnie travaille à réformer de jour en jour. Ceux qui ont attaqué cet ouvrage auroient été bien embarrassés pour en faire un meilleur ; & il est d’ailleurs si aisé de faire d’un excellent dictionnaire une critique tout à la fois très-vraie & très-injuste ! Dix articles foibles qu’on relevera, contre mille excellens dont on ne dira rien, en imposeront au lecteur. Un ouvrage est bon lorsqu’il s’y trouve plus de bonnes choses que de mauvaises ; il est excellent lorsque les bonnes choses y sont excellentes, ou lorsque les bonnes surpassent de beaucoup les mauvaises. Il n’y a point d’ouvrages que l’on doive plus juger d’après cette regle, qu’un dictionnaire, par la variété & la quantité de matieres qu’il renferme & qu’il est moralement impossible de traiter toutes également.

Avant de finir sur les dictionnaires de langues, je dirai encore un mot des dictionnaires de rimes. Ces sortes de dictionnaires ont sans doute leur utilité ; mais que de mauvais vers ils produisent ! Si une liste de rimes peut quelquefois faire naître une idée heureuse à un excellent poëte, en revanche un poëte médiocre ne s’en sert que pour mettre la raison & le bon sens à la torture.

Dictionnaires de langues étrangeres mortes ou vivantes. Après le détail assez considérable dans lequel nous sommes entrés sur les dictionnaires de langue françoise, nous serons beaucoup plus courts sur les autres ; parce que les principes établis précédemment pour ceux-ci, peuvent en grande partie s’appliquer à ceux-là. Nous nous contenterons donc de marquer les différences principales qu’il doit y avoir entre un dictionnaire de langue françoise & un dictionnaire de langue étrangere morte ou vivante ; & nous dirons de plus ce qui doit être observé dans ces deux especes de dictionnaire de langues étrangeres.

En premier lieu, comme il n’est question ici de dictionnaires de langues étrangeres qu’en tant que ces dictionnaires servent à faire entendre une langue par une autre ; tout ce que nous avons dit au commencement de cet article sur les définitions dans un dictionnaire de langues, n’a pas lieu pour ceux dont il s’agit : car les définitions y doivent être supprimées. A l’égard de la signification des termes, je pense que c’est un abus d’en entasser un grand nombre pour un même mot, à moins qu’on ne distingue exactement la signification propre & précise d’avec celle qui n’est qu’une extension ou une métaphore ; ainsi quand on lit dans un dictionnaire latin impellere, pousser, forcer, faire entrer ou sortir, exciter, engager, il est nécessaire qu’on y puisse distinguer le mot pousser de tous les autres, comme étant le sens propre. On peut faire cette distinction en deux manieres, ou en écrivant ce mot dans un caractere différent, ou en l’écrivant le premier, & ensuite les autres suivant leur degré de propriété & d’analogie avec le premier, mais je crois qu’il vaudroit mieux encore s’en tenir au seul sens propre, sans y en joindre aucun autre ; c’est charger, ce me semble, la mémoire assez inutilement ; & le sens de l’auteur qu’on traduit suffira toûjours pour déterminer si la signification du mot est au propre ou au figuré. Les enfans, dira-t-on peut-être, y seront plus embarrassés, au lieu qu’ils démêleront dans plusieurs significations jointes à un même mot, celle qu’ils doivent choisir. Je réponds premierement que si un enfant a assez de discernement pour bien faire ce choix, il en aura assez pour