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truction & à la syntaxe. Remarquons d’abord que cette matiere est plûtôt l’objet d’un ouvrage suivi que d’un dictionnaire ; parce qu’une bonne syntaxe est le résultat d’un certain nombre de principes philosophiques, dont la force dépend en partie de leur ordre & de leur liaison, & qui ne pourroient être que dispersés, ou même quelquefois déplacés, dans un dictionnaire de langues. Néanmoins pour rendre un ouvrage de cette espece le plus complet qu’il est possible, il est bon que les regles les plus difficiles de la syntaxe y soient expliquées, sur-tout celles qui regardent les articles, les participes, les prépositions, les conjugaisons de certains verbes : on pourroit même, dans un très-petit nombre d’articles généraux étendus, y donner une grammaire presque complete ; & renvoyer à ces articles généraux dans les applications aux exemples & aux articles particuliers. J’insiste légerement sur tous ces objets, tant pour ne point donner trop d’étendue à cet article, que parce qu’ils doivent pour la plûpart être traités ailleurs plus à fond.

Ce qu’il ne faut pas oublier sur-tout, c’est de tâcher, autant qu’il est possible, de fixer la langue dans un dictionnaire. Il est vrai qu’une langue vivante, qui par conséquent change sans cesse, ne peut guere être absolument fixée ; mais du moins peut-on empêcher qu’elle ne se dénature & ne se dégrade. Une langue se dénature de deux manieres, par l’impropriété des mots, & par celle des tours : on remédiera au premier de ces deux défauts, non-seulement en marquant avec soin, comme nous avons dit, la signification générale, particuliere, figurée, & métaphorique des mots ; mais encore en proscrivant expressément les significations impropres & étrangeres qu’un abus négligé peut introduire, les applications ridicules & tout-à-fait éloignées de l’analogie, sur-tout lorsque ces significations & applications commenceront à s’autoriser par l’exemple & l’usage de ce qu’on appelle la bonne compagnie. J’en dis autant de l’impropriété des tours. C’est aux gens de lettres à fixer la langue, parce que leur état est de l’étudier, de la comparer aux autres langues, & d’en faire l’usage le plus exact & le plus vrai dans leurs ouvrages. Jamais cet avis ne leur fut plus nécessaire : nos livres se remplissent insensiblement d’un idiome tout-à-fait ridicule ; plusieurs pieces de théatre modernes, joüées avec succès, ne seront pas entendues dans vingt années, parce qu’on s’y est trop assujetti au jargon de notre tems, qui deviendra bien-tôt suranné, & sera remplacé par une autre. Un bon écrivain, un philosophe qui fait un dictionnaire de langues, prévoit toutes ces révolutions : le précieux, l’impropre, l’obscur, le bisarre, l’entortillé, choquent la justesse de son esprit ; il démêle dans les façons de parler nouvelles, ce qui enrichit réellement la langue, d’avec ce qui la rend pauvre ou ridicule ; il conserve & adopte l’un, & fait main-basse sur l’autre.

On nous permettra d’observer ici qu’un des moyens les plus propres pour se former à cet égard le style & le goût, c’est de lire & d’écrire beaucoup sur des matieres philosophiques : car la sévérité de style, & la propriété des termes & des tours que ces matieres exigent nécessairement, accoûtumeront insensiblement l’esprit à acquérir ou à reconnoître ces qualités par-tout ailleurs, ou à sentir qu’elles y manquent : de plus, ces matieres étant peu cultivées & peu connues des gens du monde ; leur dictionnaire est moins sujet à s’altérer, & la maniere de les traiter est plus invariable dans ses principes.

Concluons de tout ce que nous venons de dire, qu’un bon dictionnaire de langues est proprement l’histoire philosophique de son enfance, de ses progrès, de sa vigueur, de sa décadence. Un ouvrage fait

dans ce goût, pourra joindre au titre de dictionnaire celui de raisonné, & ce sera un avantage de plus : non-seulement on saura assez exactement la grammaire de la langue, ce qui est assez rare ; mais ce qui est plus rare encore, on la saura en philosophe. Voyez Grammaire.

Venons présentement à la nature des mots qu’on doit faire entrer dans un dictionnaire de langues. Premierement on doit en exclure, outre les noms propres, tous les termes de sciences qui ne sont point d’un usage ordinaire & familier ; mais il est nécessaire d’y faire entrer tous les mots scientifiques que le commun des lecteurs est sujet à entendre prononcer, ou à trouver dans les livres ordinaires. J’en dis autant des termes d’arts, tant méchaniques que libéraux. On pourroit conclure de là que souvent les figures seront nécessaires dans un dictionnaire de langues : car il est dans les Sciences & dans les Arts une grande quantité d’objets, même très-familiers, dont il est très-difficile & souvent presque impossible de donner une définition exacte, sans présenter ces objets aux yeux ; du moins est-il bon de joindre souvent la figure avec la définition, sans quoi la définition sera vague ou difficile à saisir. C’est le cas d’appliquer ici ce passage d’Horace : segnius irritant animos demissa per aurem, quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus. Rien n’est si puéril que de faire de grands efforts pour expliquer longuement sans figures, ce qui avec une figure très-simple n’auroit besoin que d’une courte explication. Il y a assez de difficultés réelles dans les objets dont nous nous occupons, sans que nous cherchions à multiplier gratuitement ces difficultés. Reservons nos efforts pour les occasions où ils sont absolument nécessaires : nous n’en aurons besoin que trop souvent.

A l’exception des termes d’arts & de sciences dont nous venons de parler un peu plus haut, tous les autres mots entreront dans un dictionnaire de langues. Il faut y distinguer ceux qui ne sont d’usage que dans la conversation, d’avec ceux qu’on employe en écrivant ; ceux que la prose & la poésie admettent également, d’avec ceux qui ne sont propres qu’à l’une ou à l’autre ; les mots qui sont employés dans le langage des honnêtes gens, d’avec ceux qui ne le sont que dans le langage du peuple ; les mots qu’on admet dans le style noble, d’avec ceux qui sont reservés au style familier ; les mots qui commencent à vieillir, d’avec ceux qui commencent à s’introduire, &c. Un auteur de dictionnaire ne doit sans doute jamais créer de mots nouveaux, parce qu’il est l’historien, & non le réformateur de la langue ; cependant il est bon qu’il observe la nécessité dont il seroit qu’on en fît plusieurs, pour désigner certaines idées qui ne peuvent être rendues qu’imparfaitement par des périphrases ; peut-être même pourroit-il se permettre d’en hasarder quelques-uns, avec retenue, & en avertissant de l’innovation ; il doit sur-tout réclamer les mots qu’on a laissé mal-à-propos vieillir, & dont la proscription a énervé & appauvri la langue au lieu de la polir.

Il faut quand il est question des noms substantifs, en désigner avec soin le genre, s’ils ont un plurier, ou s’ils n’en ont point ; distinguer les adjectifs propres, c’est-à-dire qui doivent être nécessairement joints à un substantif, d’avec les adjectifs pris substantivement, c’est-à-dire qu’on employe comme substantifs, en sous-entendant le substantif qui doit y être joint. Il faut marquer avec soin la terminaison des adjectifs pour chaque genre ; il faut pour les verbes distinguer s’ils sont actifs, passifs, ou neutres, & désigner leurs principaux tems, sur-tout lorsque la conjugaison est irréguliere ; il est bon même en ce cas de faire des articles séparés pour chacun de ces tems, en renvoyant à l’article principal : c’est le