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subordonnés à ceux-ci ; la quantité ou la prononciation des mots, l’orthographe, & l’étymologie. Parcourons successivement ces six objets dans l’ordre que nous leur avons donné.

Les définitions doivent être claires, précises, & aussi courtes qu’il est possible ; car la briéveté en ce genre aide à la clarté. Quand on est forcé d’expliquer une idée par le moyen de plusieurs idées accessoires, il faut au moins que le nombre de ces idées soit le plus petit qu’il est possible. Ce n’est point en général la briéveté qui fait qu’on est obscur, c’est le peu de choix dans les idées, & le peu d’ordre qu’on met entr’elles. On est toûjours court & clair quand on ne dit que ce qu’il faut, & de la maniere qu’il le faut ; autrement on est tout-à-la-fois long & obscur. Les définitions & les démonstrations de Géométrie, quand elles sont bien faites, sont une preuve que la briéveté est plus amie qu’ennemie de la clarté.

Mais comme les définitions consistent à expliquer un mot par un ou plusieurs autres, il résulte nécessairement de-là qu’il est des mots qu’on ne doit jamais définir, puisqu’autrement toutes les définitions ne formeroient plus qu’une espece de cercle vicieux, dans lequel un mot seroit expliqué par un autre mot qu’il auroit servi à expliquer lui-même. De-là il s’ensuit d’abord que tout dictionnaire de langue dans lequel chaque mot sans exception sera défini, est nécessairement un mauvais dictionnaire, & l’ouvrage d’une tête peu philosophique. Mais quels sont ces mots de la langue qui ne peuvent ni ne doivent être définis ? Leur nombre est peut-être plus grand que l’on ne s’imagine ; ce qui le rend difficile à déterminer, c’est qu’il y a des mots que certains auteurs regardent comme pouvant être définis, & que d’autres croyent au contraire ne pouvoir l’être : tels sont par exemple les mots ame, espace, courbe, &c. mais il est au moins un grand nombre de mots, qui de l’aveu de tout le monde se refusent à quelqu’espece de définition que ce puisse être ; ce sont principalement les mots qui désignent les propriétés générales des êtres, comme existence, étendue, pensée, sensation, tems, & un grand nombre d’autres.

Ainsi le premier objet que doit se proposer l’auteur d’un dictionnaire de langue, c’est de former, autant qu’il lui sera possible, une liste exacte de ces sortes de mots, qui seront comme les racines philosophiques de la langue : je les appelle ainsi, pour les distinguer des racines grammaticales, qui servent à former & non à expliquer les autres mots. Dans cette espece de liste des mots originaux & primitifs, il y a deux vices à éviter : trop courte, elle tomberoit souvent dans l’inconvénient d’expliquer ce qui n’a pas besoin de l’être, & auroit le défaut d’une grammaire dans laquelle des racines grammaticales seroient mises au nombre des dérivés ; trop longue, elle pourroit faire prendre pour deux mots de signification très-différente, ceux qui dans le fond enferment la même idée. Par exemple, les mots de durée & de tems, ne doivent point, ce me semble, se trouver l’un & l’autre dans la liste des mots primitifs ; il ne faut prendre que l’un des deux, parce que la même idée est enfermée dans chacun de ces deux mots. Sans doute la définition qu’on donnera de l’un de ces mots, ne servira pas à en donner une idée plus claire, que celle qui est présentée naturellement par ce mot ; mais elle servira du moins à faire voir l’analogie & la liaison de ce mot avec celui qu’on aura pris pour terme radical & primitif. En général les mots qu’on aura pris pour radicaux doivent être tels, que chacun d’eux présente une idée absolument différente de l’autre ; & c’est-là peut-être la regle la plus sûre & la plus simple pour former la liste de ces mots ; car après avoir fait l’énumération la plus

exacte de tous les mots d’une langue, on pourra former des especes de tables de ceux qui ont entr’eux quelque rapport. Il est évident que le même mot se trouvera souvent dans plusieurs tables ; & dès-lors il sera aisé de voir par la nature de ce mot, & par la comparaison qu’on en fera avec ceux auquel il se rapporte, s’il doit être exclus de la liste des radicaux, ou s’il doit en faire partie. A l’égard des mots qui ne se trouveront que dans une seule table, on cherchera parmi ces mots celui qui renferme ou paroît renfermer l’idée la plus simple ; ce sera le mot radical : je dis qui paroît renfermer ; car il restera souvent un peu d’arbitraire dans ce choix ; les mots de tems & de durée, dont nous avons parlé plus haut, suffiroient pour s’en convaincre. Il en est de même des mots être, exister ; idée, perception, & autres semblables.

De plus, dans les tables dont nous parlons, il faudra observer de placer les mots suivant leur sens propre & primitif, & non suivant leur sens métaphorique ou figuré ; ce qui abregera beaucoup ces différentes tables : un autre moyen de les abreger encore, c’est d’en exclure d’abord tous les mots dérivés & composés qui viennent évidemment d’autres mots, tous les mots qui ne renfermant pas des idées simples, ont évidemment besoin d’être définis ; ce qu’on distinguera au premier coup d’œil : par-ce moyen les tables se réduiront & s’éclairciront sensiblement, & le travail sera extrèmement simplifié. Les racines philosophiques étant ainsi trouvées, il sera bon de les marquer dans le dictionnaire par un caractere particulier.

Après avoir établi des regles pour distinguer les mots qui doivent être définis d’avec ceux qui ne doivent pas l’être, passons maintenant aux définitions mêmes. Il est d’abord évident que la définition d’un mot doit tomber sur le sens précis de ce mot, & non sur le sens vague. Je m’explique ; le mot douleur, par exemple, s’applique également dans notre langue aux peines de l’ame, & aux sensations desagréables du corps : cependant la définition de ce mot ne doit pas renfermer ces deux sens à la fois ; c’est-là ce que j’appelle le sens vague, parce qu’il renferme à la fois le sens primitif & le sens par extension : le sens précis & originaire de ce mot désigne les sensations desagréables du corps, & on l’a étendu de-là aux chagrins de l’ame ; voilà ce qu’une définition doit faire bien sentir.

Ce que nous venons de dire du sens précis par rapport au sens vague, nous le dirons du sens propre par rapport au sens métaphorique ; la définition ne doit jamais tomber que sur le sens propre, & le sens métaphorique ne doit y être ajoûté que comme une suite & une dépendance du premier. Mais il faut avoir grand soin d’expliquer ce sens métaphorique, qui fait une des principales richesses des langues, & par le moyen duquel, sans multiplier les mots, on est parvenu à exprimer un très-grand nombre d’idées. On peut remarquer, sur-tout dans les ouvrages de poésie & d’éloquence, qu’une partie très-considérable des mots y est employée dans le sens métaphorique, & que le sens propre des mots ainsi employés dans un sens métaphorique, désigne presque toûjours quelque chose de sensible. Il est même des mots, comme aveuglement, bassesse, & quelques autres, qu’on n’employe guere qu’au sens métaphorique : mais quoique ces mots pris au sens propre ne soient plus en usage, la définition doit néanmoins toûjours tomber sur le sens propre, en avertissant qu’on y a substitué le sens figuré. Au reste comme la signification métaphorique d’un mot n’est pas toûjours tellement fixée & limitée, qu’elle ne puisse recevoir quelqu’extension suivant le génie de celui qui écrit, il est visible qu’un dictionnaire ne peut tenir rigourement compte de toutes les significations