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de guerre, doit être livré à l’exécuteur de justice, après sa sentence lûe à la tête des troupes qui battent aux champs dès qu’il entre dans leur enceinte, le sergent de la compagnie dont il étoit, l’arme de pié en cap ; il tient de la main droite la crosse du fusil, & lui dit : Te trouvant indigne de porter les armes, nous t’en dégradons. Il lui ôte ensuite le fusil par derriere avec son ceinturon, il lui fait passer son fourniment par les piés ; il se retire ensuite : l’exécuteur alors se saisit du criminel.

S’il doit être passé par les armes après la sentence lûe, le détachement qui l’escorte le mene au lieu de l’exécution ; le sergent de sa compagnie lui bande les yeux avec un linge ; six ou huit grenadiers du détachement ôtent la bayonnette pendant cet appareil ; ceux qui sont à sa droite tirent à la tête, ceux qui sont à sa gauche le tirent au cœur, les uns & les autres au signal que donne le major.

Avant la lecture de la sentence, les tambours battent un ban, ensuite le major dit à haute voix & chapeau bas : De par le Roi, défense sous peine de la vie de crier grace.

Les troupes défilent devant le mort après l’exécution. D’Héricourt, tome II. (Q)

Deserteur, (Morale & Politique.) L’illustre auteur de l’Esprit des Lois remarque que la peine de mort infligée parmi nous aux deserteurs ne paroît pas avoir diminué les desertions ; il croit qu’une peine infamante qui les laisseroit vivre, seroit plus efficace. En effet, un soldat par son état méprise ou est fait pour mépriser la mort, & au contraire pour craindre la honte. Cette observation paroît judicieuse ; mais ce seroit à l’expérience à la confirmer. (O)

Les historiens nous parlent d’une loi que fit Charondas contre les deserteurs ; elle portoit qu’au lieu d’être punis de mort, ils seroient condamnés à paroître pendant trois jours dans la ville revêtus d’un habit de femme ; mais les mêmes historiens ne nous disent point si la crainte d’une telle honte produisit plus d’effet que celle de la mort. Quoi qu’il en soit, Charondas retiroit deux grands avantages de sa loi, celui de conserver des sujets, & celui de leur donner occasion de réparer leurs fautes, & de se couvrir de gloire à la premiere action qui se présenteroit.

Nous avons adopté des Francs la loi de peine de mort contre les deserteurs ; & cette loi étoit bonne pour un peuple chez qui le soldat alloit librement à la guerre, avoit sa part des honneurs & du butin. Le cas est-il le même parmi nous ?

Comme personne n’ignore les diverses causes qui rendent les desertions si fréquentes & si considérables, je n’en rapporterai qu’une seule, c’est que les soldats sont réellement dans les pays de l’Europe où on les prend par force & par stratagême, la plus vile partie des sujets de la nation, & qu’il n’y a aucune nation qui ne croye avoir un certain avantage sur les autres. Chez les Romains (dit encore l’auteur de l’esprit des lois dans un autre de ses ouvrages) les desertions étoient très-rares : des soldats tirés du sein d’un peuple si fier, si orgueilleux, si sûr de commander aux autres, ne pouvoient guere penser à s’avilir jusqu’à cesser d’être Romains.

On demande s’il est permis de se servir à la guerre des deserteurs & des traîtres qui s’offrent d’eux-mêmes, & même de les corrompre par des promesses ou des récompenses. Quintilien dans sa déclamation 255, soûtient qu’il ne faut pas recevoir des deserteurs de l’armée ennemie. Cette idée pouvoit être bonne pour les Romains, elle ne le seroit pas de même pour nous. Grotius distingue ici : il prétend que, selon le droit des gens, on peut se servir des deserteurs, mais non pas des traîtres. Cette décision n’est pourtant point sans difficulté ; car posez un juste su-

jet de guerre, on a droit certainement d’ôter à l’ennemi

tout ce qui lui est de quelque secours. Or d’après ce principe, il semble qu’il doit être permis de travailler à appauvrir l’ennemi, en gagnant ses sujets par argent, ou autre semblable attrait. Cependant il faut bien prendre garde, en s’y prenant ainsi, de ne pas se nuire à soi-même, par l’exemple qu’on donne aux autres ; & c’est toûjours un acte de générosité de s’abstenir, tant qu’on le peut, de ces sortes de voies. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

DESERTION D’APPEL, (Jurispr.) est la négligence de relever dans le tems marqué par la loi un appel que l’on a interjetté d’une sentence ou autre acte.

Un appel est desert ou abandonné, lorsqu’il n’est pas relevé dans le tems.

La peine de la desertion d’appel est que l’appel est déclaré nul & comme non-avenu.

On observoit la même chose chez les Romains ; l’appellant ne pouvoit poursuivre son appel qu’il n’obtînt du juge à quo des apôtres. C’est ainsi que l’on appelloit des lettres dimissoires ou libelles appellatoires, par lesquelles le juge à quo certifioit l’appel interjetté de sa sentence au juge où devoit ressortir l’appel ; il falloit que l’appellant fît apparoir de ces lettres avant d’être reçû à la poursuite de son appel. Ces lettres devoient être obtenues dans les trente jours de l’appel, faute de quoi l’appel étoit réputé desert, & l’effet de cette desertion étoit qu’on pouvoit mettre à exécution la sentence, à moins que les parties n’eussent transigé.

L’usage de ces apôtres ou libelles appellatoires a été observé dans les provinces de France régies par le droit écrit, jusqu’à l’ordonnance de 1539, qui les a abroges art. 117. Voyez Relief d’appel.

Présentement l’usage général est que l’appel doit être relevé par des lettres de chancellerie dans le tems de l’ordonnance, autrement il est desert : mais cette desertion n’est pas acquise de plein droit, il faut la faire prononcer ; & pour cet effet l’intimé obtient en chancellerie des lettres de desertion, en vertu desquelles il fait assigner l’appellant pour voir declarer son appel desert.

Lorsque l’appellant a comparu sur cette demande en desertion, on lui offre un appointement devant un ancien avocat conformément à l’ordonnance, qui veut que ces sortes de demandes soient vuidées par l’avis d’un ancien avocat.

Si la desertion est acquise, l’avocat donne son avis portant que l’appel est desert ; si au contraire la desertion n’est pas acquise, il convertit la demande en desertion, en anticipation.

Le premier appel étant déclaré desert, l’appellant en peut interjetter un autre en refondant les dépens, pourvu qu’il soit encore dans le tems d’appeller : en quoi la desertion differe de la péremption ; car quand un appel relevé est péri par le défaut de poursuites pendant trois ans, on ne peut ni le poursuivre, ni en interjetter un autre.

Pour éviter le circuit d’un nouvel appel, l’intimé accélere, au lieu de demander la desertion, obtient des lettres d’anticipation : il a même été fait une délibération de la communauté des procureurs du parlement en 1692, portant que les procureurs passeront arrêt par lequel la desertion sera convertie en anticipation, & que les parties concluront comme en procès par écrit, joint les fins de non-recevoir, défenses au contraire ; au moyen dequoi l’on n’examine plus si la desertion est acquise ou non, que pour la refusion des dépens.

La desertion d’appel n’a pas lieu dans les appels comme d’abus ni en matieres criminelles ; ce qui est conforme à la loi properandum, cod. de judiciis, & fondé sur ce que la négligence d’un particulier ne