Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/850

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minent : ce mot a la même acception en dentelle qu’en broderie. On fixe la dentelle sur la lisiere du vélin, en plaçant des épingles dans toutes les mailles de la lisiere de la dentelle, & dans tous les œillets de son picot. Il faut observer de la tenir distendue le plus qu’il est possible, tant en longueur qu’en largeur ; pour cet effet il faut tenir les épingles latérales les plus éloignées qu’on peut, & en ficher quelques-unes à la partie supérieure & à la partie inférieure de la dentelle.

Après ces préparations il s’agit de piquer ; c’est de l’art de faire la dentelle, l’opération la plus difficile : nous allons tâcher d’en donner une définition très claire. Pour cet effet il faut savoir qu’on entend par un point en broderie & en dentelle, une figure quelconque réguliere, dont les contours sont formés soit avec le fil, soit avec la soie. Soit cette figure un triangle. Il est évident, 1°. qu’on ne formera jamais avec des fils flexibles les contours d’un triangle sans trois points d’appui, il en faut un à chaque angle ; les contours d’un quarré, sans quatre points d’appui ; ceux d’un pentagone, sans cinq points d’appui, & ainsi de suite. Il est encore évident que si les fils n’étoient pas arrêtés par des nœuds ou autrement autour de ces points d’appui, ces points d’appui ne seroient pas plûtôt écartés, que les contours de la figure se déformeroient, & que les fils se déplaçant & se relâchant, ou ne renfermeroient entr’eux aucun espace, ou ne produiroient aucun dessein. Une dentelle est un composé de différens points, tantôt entremêlés, tantôt se succédant ; & piquer une dentelle, c’est discerner, en la regardant attentivement, tous les points d’appui de ces différens points, & y ficher des épingles qui passent à-travers la dentelle, le papier verd, ou le vélin qui est dessous, & qui entrent dans le coussin. Il est évident, 2°. que tous les trous de ces épingles formeront sur la lisiere de vélin la figure de tous les points, & par conséquent le dessein de la dentelle donnée : & voilà très-précisément ce que c’est que piquer. C’est tracer sur un morceau de vélin placé sous une dentelle, le dessein de cette dentelle, par des trous faits avec une épingle qu’on fait passer dans tous les endroits qui ont servi de points d’appui, dans la formation des points dont elle est composée ; ensorte que quand on travaillera à remplir ce dessein au fuseau, on employera les mêmes points d’appui, & l’on formera par conséquent les mêmes figures.

Ce sont des épingles qui servent de points d’appui aux faiseuses de dentelles, & elles ne prennent leurs lisieres de vélin de couleur bleue, que pour mênager leurs yeux.

Quand l’art de faire la dentelle seroit perdu, ce que je viens de dire suffiroit seul pour qu’il fût très-facile de le retrouver.

J’observerai pourtant qu’il y aura dans un dessein, piqué avec précision, d’autres trous que ceux qui marqueront des points d’appui : un exemple suffira. Si le point qu’on veut piquer est un quarré dont les côtés soient nattés, & l’espace traversé par deux diagonales nattées ; & si l’on a pratiqué une très-petite figure à jour à l’endroit où les deux diagonales se coupent, il faudra d’abord quatre épingles pour les quatre angles du quarré, puis une petite épingle au centre, dont la solidité empêche les fils de s’approcher entierement, & les contraignent de laisser un petit vuide à l’endroit où ils se croisent. Mais on peut absolument se passer de cette petite épingle, non pas en travaillant, car c’est elle qui forme le vuide, mais en piquant la dentelle, parce qu’ayant la dentelle à exécuter sous ses yeux, pendant qu’on la copie sur le dessein piqué, on donne aux points telle façon accidentelle que l’on desire ; & on les laisse entierement à jour, ou on coupe leur espace

en différens compartimens qu’il n’est pas absolument nécessaire d’indiquer sur le dessein piqué, à moins que ces compartimens ne soient eux-mêmes d’autres points qui ayent besoin de points d’appui ; ce qui ne doit guere arriver que dans les dentelles d’une extrème largeur.

On pique le dessein sur deux ou trois lisieres de vélin différentes, qu’on fait succéder les unes aux autres à mesure qu’en travaillant ces lisieres se couvrent d’ouvrage. Lorsque le dessein est piqué, on ôte la dentelle de dessus la lisiere, & on l’attache sur le patron : le vélin piqué reste sur le coussin.

L’ouvriere, en comptant les points d’appui de son ouvrage, sait bientôt combien il lui faut de fuseaux ; elle a ces fuseaux tout prêts, au nombre de soixante, quatre-vingts, cent, cent cinquante, deux cents, & plus ou moins, selon la largeur de la dentelle & la nature des points qui la composent : ils sont chargés du fil le plus fin & le meilleur, & voici comment elle les dispose.

Elle prend une grosse épingle AB qu’elle fiche sur le coussin, puis elle fait autour de l’épingle de gauche à droite, deux ou trois tours avec le fil du fuseau : au quatrieme tour elle forme une boucle 3, 4, 5, avec ce fil ; elle serre fortement cette boucle, & le fil se trouve attaché à l’épingle, & le fuseau suspendu. Elle devide ensuite de dessus la casse de son fuseau, autant de fil 1, 6, 7, 8, qu’il lui en faut pour travailler ; & elle empêche qu’il ne s’en devide davantage, en faisant faire au fil deux ou trois tours sur la tête, en-dessous ou de gauche à droite, & en terminant ces tours par une boucle 8, 9, 10, comme on voit dans la Planche de la dentelle. Elle charge la même épingle d’autant de fuseaux qu’il en peut soûtenir, puis elle la transporte à la partie la plus élevée de la lisiere du vélin, à quelque distance du commencement du dessein. Elle charge une seconde épingle, qu’elle plante sur la même ligne horisontale que la premiere, puis une troisieme, une quatrieme, &c. jusqu’à ce que tous ses fuseaux soient épuisés.

Elle place ensuite le patron couvert de la dentelle à imiter, derriere la rangée d’épingles qui suspend les fuseaux.

Maniere fort simple d’apprendre à faire la dentelle la plus composée en très-peu de tems. Il faut prendre une habile ouvriere, qui connoisse la plus grande partie des points d’usage ; pour tous, cela n’est pas possible, on en peut inventer d’une infinité de façons ; mais la plûpart de ces points ne s’exécutent guere qu’à quatre ou à huit fuseaux ; encore quand on travaille à huit fuseaux fait-on communément aller les fuseaux toûjours deux à deux, & c’est comme si l’on travailloit à quatre, à cela près qu’il se trouve deux fils accolés où il n’y en auroit qu’un, & que l’ouvrage en est plus fort.

On fait exécuter à cette ouvriere tous ces points les uns après les autres, de maniere qu’ils forment un long bout de dentelle, dont le premier pouce soit, tant en largeur qu’en hauteur, d’une sorte de point, le second pouce d’une autre sorte, le troisieme pouce d’une troisieme sorte, & ainsi de suite.

On observera à chaque point comment il se commence, se continue, & se ferme. Il faut bien se garder de s’en rapporter ici à sa mémoire. Il faut écrire, & la maniere d’écrire la façon d’un point est très-facile. Soient, par exemple, quatre fuseaux employés à faire un point : il faut les designer dans chaque position instantanée par les nombres 1, 2, 3, 4 ; ensorte que quelle que soit la position qu’ils ayent dans le courant de la formation du point, 1 soit toûjours le premier en allant de la gauche à la droite, ou de la droite à la gauche ; 2, le second fuseau ; 3, le troisieme ; & 4, le quatrieme. Ne faites jamais changer