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rations, & laissoient aux ouvriers le soin de cette partie de l’exécution des machines, lesquels n’y observoient d’autre regle, que de faire les dents des roues & les ailes des pignons, de façon que les engrenages se fissent avec liberté, & de maniere à ne causer aucun arrêt. M. de la Hire, de l’académie royale des Sciences, est le premier qui en ait parlé. Il examine cette matiere fort au long dans son traité des épicycloïdes ; mais des différentes courbures de dents qu’il détermine pour différentes especes de pignons, il n’y a guere que celle qu’il donne aux dents qui menent un pignon à lanterne, qui soit praticable. M. Camus a suppléé à ce qui manquoit au traité de M. de la Hire. Ce savant académicien dans son mémoire, année 1733 des mém. de l’acad. roy. des Sciences, détermine les courbes que doivent avoir les dents d’une roue, & les ailes de son pignon pour qu’elle le mene uniformément, soit que la dent rencontre l’aile dans la ligne R I, fig. 102. Plan. XIX. d’Horlog. qu’on appelle la ligne des centres ; soit qu’elle la rencontre (fig. 99.) avant la ligne des centres, & qu’elle la mene au-delà ; soit enfin que (fig. 98.) la dent rencontre l’aile avant la ligne des centres, & qu’elle la mene jusqu’à cette ligne : on peut dire qu’il a rendu par-là un très-grand service à l’Horlogerie. Car quoique les habiles horlogers eussent des notions assez justes sur cette matiere, la véritable figure des dents des roues étoit toûjours pour eux une espece de problème.

Nous voudrions pouvoir rapporter ici ce mémoire, dont nous reconnoissons que nous avons tiré beaucoup de lumiere : mais comme il est un peu trop étendu, & de plus qu’il est démontré d’une maniere un peu trop abstraite pour la plûpart des horlogers ; nous tâcherons d’y suppléer, en démontrant par une autre voie ce qui regarde la figure des dents des roues, & celle des ailes des pignons.

Une roue REV étant donnée (fig. 98 & 100), & un pignon PIG, je dis que, pour que la roue mene le pignon uniformément, il faut que, dans une situation quelconque de la dent & de l’aile pendant la menée, les perpendiculaires à la face de l’aile & de la dent, au point où elles se touchent, se confondent & passent toutes par un même point M dans la ligne des centres, lequel doit être tellement situé sur cette ligne, que RM soit à MI, comme le nombre des dents de la roue à celui des ailes du pignon.

Pour le démontrer, soit supposé LO tirée perpendiculairement à la face de l’aile, au point G où la dent la touche ; & les lignes IO, RL, abaissées perpendiculairement sur cette ligne des points I & R centres du pignon & de la roue : les lignes RL & TO exprimeront, l’une RL, le levier par lequel la roue pousse le pignon ; l’autre OI, celui par lequel le pignon est poussé. C’est ce qui paroîtra évident, si l’on fait attention que le mouvement du levier RL se fait dans une perpendiculaire à la ligne OI, & par conséquent que la longueur des arcs infiniment petits, décrits dans un instant & par les points L & O, sera la même : comme cela arrive, lorsqu’un levier agit immédiatement sur un autre, dans une direction perpendiculaire. RL exprimant donc le levier par lequel la roue pousse le pignon, & IO celui par lequel le pignon est poussé ; il est clair que dans tous les points de la menée, si le levier par lequel le pignon est poussé, & celui par lequel la roue le pousse, sont toûjours dans le même rapport, l’action de la roue dans tous ces différens points pour faire tourner le pignon, sera uniforme : car la valeur en degrés de chacun des arcs parcourus en même tems par les leviers RL, OI, est en raison inverse de leurs longueurs, ou comme OI est à RL ; & la valeur en degrés des arcs parcourus par la roue & par le pignon dans le même tems, est encore

comme ces leviers OI & RL : mais les leviers semblables à IO, RL, étant toûjours dans le même rapport dans tous ces points de la menée, les valeurs en degrés des arcs parcourus dans le même tems par la roue & par le pignon, y seront donc aussi. Or les vîtesses angulaires du pignon & de la roue sont comme ces arcs. De plus, on sait par les principes de la Méchanique, que pour qu’il y ait équilibre entre deux puissances, il faut qu’elles soient en raison inverse de leurs vîtesses ; donc si des puissances constantes qui agissent en sens contraire, l’une sur la roue, l’autre sur le pignon, sont en équilibre dans un point quelconque de la menée, elles seront en raison des vîtesses du pignon & de la roue dans ce point : mais ces vîtesses dans tous les points de la menée étant dans le même rapport, ces puissances y seront toûjours en équilibre ; donc la force avec laquelle la roue entraînera le pignon dans tous ces points, sera toûjours la même ; donc le pignon sera mené uniformément.

Ce principe de Méchanique bien entendu, imaginons que la dent (voyez fig. 98 & 100) soit dans une situation quelconque EG, & que la perpendiculaire au point G passe par un point quelconque M dans la ligne des centres ; RL sera, comme on l’a vû, le levier par lequel la roue poussera le pignon, & OI le levier par lequel il sera poussé. Supposons de plus que la dent & l’aile étant dans la ligne des centres, elles se touchent dans ce même point M, RM sera le levier par lequel la roue poussera le pignon dans ce point, & MI celui par lequel il sera poussé. Mais à cause des triangles semblables RLM, MOI, on a RL : OI ∷ RM : MI ; donc par le principe précédent la roue menera uniformément le pignon dans les deux points M & G, puisque le rapport entre les leviers RM & MI dans le point M, est le même que le rapport entre les leviers RL & OI dans le point C. On en démontrera autant de tous les autres points de la menée, pourvû que les perpendiculaires à la dent & à l’aile passent par ce point M. De plus les tours ou les vîtesses du pignon & de la roue doivent être en raison inverse de leurs nombres ; & comme la roue doit mener le pignon uniformément, leurs vîtesses respectives dans un point quelconque de la menée, doivent être encore dans la même raison. Ces nombres étant une fois donnés, les vîtesses respectives du pignon & de la roue le seront donc aussi. Or la vîtesse angulaire du pignon au point M est à celle de la roue au même point, comme le levier MR au levier MI ; MR doit donc être à MI, comme le nombre de la roue à celui du pignon ; car sans cela, la vîtesse angulaire du pignon dans ce point ne seroit pas à celle de la roue, comme le nombre de la roue à celui du pignon. Donc le point M doit diviser la ligne RI, tellement que RM soit à MI, comme le nombre de la roue à celui du pignon. Donc pour qu’une roue mene son pignon uniformément, il faut que dans tous les points de la menée les perpendiculaires à la dent & à l’aile se confondent, & passent par un même point M dans la ligne des centres, situé tellement sur cette ligne, que RM soit à MI, comme le nombre de la roue à celui du pignon C. Q. F. D.

Cette démonstration, comme on voit, s’étend à tous les trois cas, puisqu’on y a considéré la dent dans une situation quelconque en-deçà ou au-delà de la ligne des centres. Il est donc clair que soit que la dent & l’aile se rencontrent dans la ligne des centres, soit qu’elles se rencontrent avant cette ligne & qu’elles s’y quittent, soit enfin qu’elles se rencontrent avant la ligne des centres & qu’elles se quittent après ; le pignon sera mené uniformément, si les perpendiculaires aux points où la dent & l’aile se touchent dans toutes leurs situations pendant la me-