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claration que l’on fait à la justice ou au ministere public d’un crime ou délit, & de celui qui en est l’auteur, sans se porter partie civile.

Cette dénonciation n’est pas nécessaire pour autoriser le ministere public à rendre plainte, il le peut faire d’office. Mais quand il lui vient quelque dénonciation, il ne lui suffit pas de la recevoir verbalement, elle doit être rédigée par écrit, & signée. Voyez ci-devant Délateur & Dénonciateur. (A)

Dénonciation de nouvel œuvre est l’action par laquelle on s’oppose en justice à la continuation de quelque nouvelle entreprise que l’on prétend être à soi préjudiciable.

Cette action est ce que les Romains appelloient novi operis nuntiatio, dont il y a un titre au digeste, liv. XXXIX. tit. j. & un au code, liv. VIII. tit. xj.

Celui contre qui cette demande est formée, ne peut passer outre, sans avoir obtenu un jugement qui l’y autorise. Comme on le fait quelquefois par provision, lorsque son droit paroît évident, ou que l’ouvrage est si avancé qu’il y auroit de l’inconvénient à le surseoir, en ce cas on lui permet de l’achever, à la charge de donner caution de le démolir, si cela est ordonné en fin de cause.

La dénonciation de nouvel œuvre est différente de la complainte, en ce que celle-ci est pour un trouble qui est fait au demandeur en sa possession ; au lieu que la dénonciation de nouvel œuvre peut être intentée pour un fait qui ne trouble pas le plaignant dans sa possession, mais qui pourroit néanmoins lui causer quelque préjudice ; par exemple, si le voisin éleve sa maison si haut, qu’il ôte par-là le jour au demandeur en dénonciation. (A)

DÉNOUEMENT, s. m. (Belles-Lettres.) c’est le point où aboutit & se résout une intrigue épique ou dramatique.

Le dénouement de l’épopée est un événement qui tranche le fil de l’action par la cessation des périls & des obstacles, ou par la consommation du malheur. La cessation de la colere d’Achille fait le dénouement de l’Iliade, la mort de Pompée celui de la Pharsale, la mort de Turnus celui de l’Enéide. Ainsi l’action de l’Iliade finit au dernier livre, celui de la Pharsale au huitieme, celui de l’Enéide au dernier vers. Voyez Epopée.

Le dénouement de la tragédie est souvent le même que celui du poëme épique, mais communément amené avec plus d’art. Tantôt l’évenement qui doit terminer l’action, semble la noüer lui-même : voyez Alzire. Tantôt il vient tout-à-coup renverser la situation des personnages, & rompre à la fois tous les nœuds de l’action : voyez Mithridate. Cet évenement s’annonce quelquefois comme le terme du malheur, & il en devient le comble : voyez Inès. Quelquefois il semble en être le comble, & il en devient le terme : voyez Iphigénie. Le dénouement le plus parfait est celui où l’action long-tems balancée dans cette alternative, tient l’ame des spectateurs incertaine & flotante jusqu’à son achevement ; tel est celui de Rodogune. Il est des tragédies dont l’intrigue se résout comme d’elle-même par une suite de sentimens qui amenent la derniere révolution sans le secours d’aucun incident ; tel est Cinna. Mais dans celles-là même la situation des personnages doit changer, du moins au dénouement.

L’art du dénouement consiste à le préparer sans l’annoncer. Le préparer, c’est disposer l’action de maniere que ce qui le précéde le produise. Il y a, dit Aristote, une grande différence entre des incidens qui naissent les uns des autres, & des incidens qui viennent simplement les uns après les autres. Ce passage lumineux renferme tout l’art d’amener le dénouement : mais c’est peu qu’il soit amené, il faut encore qu’il

soit imprévû. L’intérêt ne se soûtient que par l’incertitude ; c’est par elle que l’ame est suspendue entre la crainte & l’espérance, & c’est de leur mêlange que se nourrit l’intérêt. Une passion fixe est pour l’ame un état de langueur, l’amour s’éteint, la haine languit, la pitié s’épuise si la crainte & l’espérance ne les excitent par leurs combats. Or plus d’espérance ni de crainte, dès que le dénouement est prévû. Ainsi, même dans les sujets connus, le dénouement doit être caché, c’est-à-dire, que quelque prévenu qu’on soit de la maniere dont se terminera la piece, il faut que la marche de l’action en écarte la réminiscence, au point que l’impression de ce qu’on voit ne permette pas de réflechir à ce qu’on sait : telle est la force de l’illusion. C’est par-là que les spectateurs sensibles pleurent vingt fois à la même tragédie ; plaisir que ne goûtent jamais les vains raisonneurs & les froids critiques.

Le dénouement, pour être imprévû, doit donc être le passage d’un état incertain à un état déterminé. La fortune des personnages intéressés dans l’intrigue, est durant le cours de l’action comme un vaisseau battu par la tempête : ou le vaisseau fait naufrage ou il arrive au port : voilà le dénouement.

Aristote divise les fables en simples, qui finissent sans reconnoissance & sans péripétie ou changement de fortune ; & en implexes, qui ont la péripétie ou la reconnoissance, ou toutes les deux. Mais cette division ne fait que distinguer les intrigues bien tissues, de celles qui le sont mal. Voyez Intrigue.

Par la même raison, le choix qu’il donne d’amener la péripétie ou nécessairement ou vraissemblablement, ne doit pas être pris pour regle. Un dénouement qui n’est que vraissemblable, n’en exclut aucun de possible, & entretient l’incertitude en les laissant tous imaginer. Un dénouement nécessité ne peut laisser prévoir que lui ; & l’on ne doit pas attendre qu’un succès assûré, qu’un revers inévitable, échappe aux yeux des spectateurs. Plus ils se livrent à l’action, & plus leur attention se dirige vers le terme où elle aboutit ; or le terme prévû, l’action est finie. D’où vient que le dénouement de Rodogune est si beau ? c’est qu’il est aussi vraissemblable qu’Antiochus soit empoisonné, qu’il l’est que Cléopatre s’empoisonne. D’où vient que celui de Britannicus a nui au succès de cette belle tragédie ? c’est qu’en prévoyant le malheur de Britannicus & le crime de Néron, on ne voit aucune ressource à l’un, ni aucun obstacle à l’autre ; ce qui ne seroit pas (qu’on nous permette cette réflexion), si la belle scene de Burrhus venoit après celle de Narcisse.

Un défaut capital, dont les anciens ont donné l’exemple & que les modernes ont trop imité, c’est la langueur du dénouement. Ce défaut vient d’une mauvaise distribution de la fable en cinq actes, dont le premier est destiné à l’exposition, les trois suivans au nœud de l’intrigue, & le dernier au dénouement. Suivant cette division le fort du péril est au quatrieme acte, & l’on est obligé pour remplir le cinquieme, de dénoüer l’intrigue lentement & par degrés. ce qui ne peut manquer de rendre la fin traînante & froide ; car l’intérêt diminue dès qu’il cesse de croître. Mais la promptitude du dénouement ne doit pas nuire à sa vraissemblance, ni sa vraissemblance à son incertitude ; conditions faciles à remplir séparément, mais difficiles à concilier.

Il est rare, sur-tout aujourd’hui, qu’on évite l’un de ces deux reproches, ou du défaut de préparation ou du défaut de suspension du dénouement. On porte à nos spectacles pathétiques deux principes opposés, le sentiment qui veut être émû, & l’esprit qui ne veut pas qu’on le trompe. La prétention à juger de tout, fait qu’on ne jouit de rien. On veut en même tems prévoir les situations & s’en pénétrer, combi-