Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/804

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surpasser de quinze coudées le sommet des plus hautes montagnes ; suivant son calcul il n’auroit pas fallu moins que de huit océans. En supposant que la mer eût été entierement mise à sec, & que toutes les nuées de l’atmosphere se fussent dissoutes en pluie, il manqueroit encore la plus grande partie des eaux du déluge. Pour résoudre cette difficulté plusieurs excellens naturalistes, tels que Stenon, Burnet, Woodvard, Scheuchzer, &c. adoptent le système de Descartes sur la formation de la terre : ce philosophe prétend que la terre dans son origine étoit parfaitement ronde & égale, sans montagnes & sans vallées ; il en établit la formation sur des principes de Méchanique, & suppose que dans son premier état c’étoit un tourbillon fluide & épais rempli de diverses matieres hétérogenes, qui après avoir pris consistance insensiblement & par degrés, ont formé suivant les lois de la pesanteur des couches ou lits concentriques, & composé ainsi à la longue le solide de la terre. Burnet pousse cette théorie plus loin ; il prétend que la terre primitive n’étoit qu’une croûte orbiculaire qui recouvroit l’abysme, ou la mer qui s’étant fendue & brisée en morceaux dans le sein des eaux, noya tous ceux qui l’habitoient. Le même auteur ajoûte que par cette révolution le globe de la terre non-seulement fut ébranlé & s’ouvrit en mille endroits, mais que la violence de la secousse changea sa situation, ensorte que la terre qui auparavant étoit placée directement sous le zodiaque, lui est ensuite devenue oblique ; d’où est née la différence des saisons, auxquelles la terre, selon lui & selon les idées de bien d’autres, n’étoit point sujette avant le déluge.

Mais comment accorder toutes les parties de ce système, & cette égalité prétendue de la surface de la terre, avec le texte de l’Ecriture que l’on vient de citer ? il est expressément parlé des montagnes comme d’un point qui sert à déterminer la hauteur des eaux ; & avec cet autre passage de la Genese, viij. 22. où Dieu promettant de ne plus envoyer de déluge & de rétablir toutes choses dans leur ancien état, dit que le tems des semences & la moisson, le froid & le chaud, l’été & l’hvver, le jour & la nuit, ne cesseront point de s’entre-suivre. « Circonstances qui ne se concilient point avec les idées de Burnet, & qui en nous apprenant que l’ancien monde étoit sujet aux mêmes vicissitudes que le nouveau, nous fait de plus connoître une des anecdotes du déluge à laquelle on a fait peu d’attention ; c’est cette interruption du cours reglé de la nature, & sur-tout du jour & de la nuit, qui indique qu’il y eut alors un grand dérangement dans le cours annuel du globe, dans sa rotation journaliere, & une grande altération dans la lumiere ou dans le soleil même. La mémoire de cette altération du soleil au tems du déluge s’étoit conservée aussi chez les Egyptiens & chez les Grecs. On peut voir dans l’histoire du ciel de M. Pluche, que le nom de Deucalion ne signifie autre chose qu’affoiblissement du soleil ».

D’autres auteurs supposant dans l’abysme ou la mer une quantité d’eau suffisante, ne sont occupés que du moyen de l’en faire sortir ; en conséquence quelques-uns ont recours à un changement du centre de la terre, qui entraînant l’eau après lui, l’a fait sortir de ses reservoirs, & a inondé successivement plusieurs parties de la terre.

Le savant Whiston, dans sa nouvelle théorie de la terre, donne une hypothèse extrèmement ingénieuse & tout-à-fait nouvelle : il juge par beaucoup de circonstances singulieres qu’une comete descendant sur le plan de l’écliptique vers son périhélie, passa directement au-dessus de la terre le premier jour du déluge. Les suites qui en résulterent furent premierement que cette comete, lorsqu’elle se trouva au-des-

sous de la lune, occasionna une marée d’une étendue & d’une force prodigieuse dans toutes les petites

mers, qui suivant son hypothèse faisoient partie de la terre avant le déluge (car il croit qu’il n’y avoit point alors de grand océan) ; que cette marée fut excitée jusque dans l’abysme qui étoit sous la premiere croûte de la terre ; qu’elle grossit à mesure que la comete s’approcha de la terre, & que la plus grande hauteur de cette marée fut lorsque la comete se trouva le moins éloignée de la terre. Il prétend que la force de cette marée fit prendre à l’abysme une figure elliptique beaucoup plus large que la sphérique qu’elle avoit auparavant ; que cette premiere croûte de la terre qui recouvroit l’abysme, forcée de se prêter à cette figure, ne le put à cause de la solidité & de l’ensemble de ses parties ; d’où il prétend qu’elle fut nécessitée de se gonfler, & enfin de se briser par l’effort des marées & de l’attraction dont on vient de parler ; qu’alors l’eau sortant des abysmes où elle se trouvoit renfermée, fut la grande cause du déluge : ce qui répond à ce que dit Moyse, que les sources du grand abysme furent rompues.

De plus, il fait voir que cette même comete s’approchant du soleil, se trouva si serrée dans son passage par le globe de la terre, qu’elle l’enveloppa pendant un tems considérable dans son atmosphere & dans sa queue, obligeant une quantité prodigieuse de vapeurs de s’étendre & de se condenser sur sa surface ; que la chaleur du soleil en ayant raréfié ensuite une grande partie, elles s’éleverent dans l’atmosphere & retomberent en pluie violente ; ce qu’il prétend être la même chose que ce que Moyse veut faire entendre par ces mots, les cataractes du ciel furent ouvertes, & sur-tout par la pluie de quarante jours : car quant à la pluie qui tomba ensuite, dont la durée forme avec la premiere un espace de cent cinquante jours, Whiston l’attribue à ce que la terre s’est trouvée une seconde fois enveloppée dans l’atmosphere de la comete, lorsque cette derniere est venue à s’éloigner du soleil. Enfin pour dissiper cet immense volume d’eau, il suppose qu’il s’éleva un grand vent qui en dessécha une partie, & força le reste de s’écouler dans les abysmes par les mêmes ouvertures qu’elles en étoient sorties, & qu’une bonne partie resta dans le sein du grand océan qui venoit d’être formé, dans les autres petites mers, & dans les lacs dont la surface des continens est couverte & entrecoupée aujourd’hui.

Cette curieuse théorie ne fut d’abord proposée que comme une hypothèse, c’est-à-dire que l’auteur ne supposa cette comete que dans la vûe d’expliquer clairement & philosophiquement les phénomenes du déluge, sans vouloir assûrer qu’il ait effectivement paru dans ce tems une comete si près de la terre. Ces seuls motifs firent recevoir favorablement cette hypothèse. Mais l’auteur ayant depuis approfondi la matiere, il prétendit prouver qu’il y avoit eu en effet dans ce tems une comete qui avoit passé très près de la terre, & que c’étoit cette même comete qui avoit reparu en 1680 ; ensorte qu’il ne se contenta plus de la regarder comme une hypothèse, il donna un traité particulier intitulé la cause du déluge démontrée. Voyez Comete. « Si on doit faire quelque fond sur cette décision hardie, nous croyons que ce devroit moins être sur l’autorité de Whiston & de ses calculs, que sur l’effroi de tous les tems connus, & sur cette terreur universelle que l’apparition de ces astres extraordinaires a toûjours causée chez toutes les nations de la terre, sans que la diversité des climats, des mœurs, des religions, des usages & des coûtumes, y ayent mis quelqu’exception. On n’a point encore assez refléchi sur cette terreur & sur son origine, & l’on n’a point, comme on auroit dû faire, fondé sur cette matiere