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peine afflictive ou infamante, on le dégrade avant l’exécution, c’est-à-dire qu’on le dépouille de toutes les marques extérieures de son caractere.

La dégradation des personnes consacrées au culte divin, a été en usage chez différens peuples dans les tems les plus reculés ; il n’y avoit pas jusqu’aux vestales chez les payens, qui ne pouvoient être exécutées à mort qu’elles n’eussent été solennellement dégradées par les pontifes, qui leur ôtoient les bandelettes & autres ornemens du sacerdoce.

Chez les Juifs, les prêtres convaincus de crime étoient dégradés.

L’Ecriture-sainte nous en fournit un premier exemple bien remarquable en la personne d’Aaron, que Dieu ayant condamné à mort pour son incrédulité, il ordonna à Moyse de le dégrader auparavant du sacerdoce, en le dépouillant pour cet effet de la robe de grand-prêtre, & d’en revêtir Eléazar fils d’Aaron ; ce que Moyse exécuta comme Dieu le lui avoit ordonné. Nomb. ch. xx.

Il y avoit aussi une autre sorte de dégradation semblable à celle que les Romains appelloient regradatio, dont l’effet étoit seulement de reculer la personne à un grade plus éloigné, sans la priver totalement de son état.

C’est ainsi que dans Ezechiel, ch. xljv. il est dit que les lévites qui auront quitté le Seigneur pour suivre les idoles, seront employés dans le sanctuaire de Dieu à l’office de portiers.

S. Jérome, in chronicis, fait mention de cette dégradation ou regradation ; il dit qu’Heraclius d’évêque fut réduit à être simple prêtre, in presbyterum regradatus est.

Pour ce qui est de la dégradation telle que nous l’entendons présentement, c’est-à-dire celle qui emporte privation absolue de la dignité ou office, dans la primitive Eglise on dégradoit les prêtres avant de les livrer à l’exécuteur de la justice : on pensoit alors qu’à cause de l’onction sacrée qu’ils ont, la justice ne pouvoit mettre la main sur eux en quelque façon que ce fût ; qu’étant dégradés, cette prohibition cessoit, parce qu’alors l’onction leur étoit ôtée & essuyée, & que l’Eglise elle-même les rendoit au bras séculier, pour être traités selon les lois comme le commun des hommes.

Au commencement, les évêques & les prêtres ne pouvoient être déposés que dans un concile ou synode ; mais comme on ne pouvoit pas toûjours attendre la convocation d’une assemblée si nombreuse, il fut arrêté au second concile de Carthage, qu’en cas de nécessité, ou si l’on ne pouvoit pas assembler un si grand nombre d’évêques, il suffiroit qu’il y en eût douze pour juger un évêque, six pour un prêtre, & trois avec l’évêque du lieu pour dégrader un diacre.

Boniface VIII. ch. ij. de pœnis, in 6°. décide que pour exécuter la dégradation il faut le nombre d’évêques requis par les anciens canons.

Mais cette décision n’a jamais été suivie parmi nous, & l’on a toûjours pensé avec raison qu’il ne falloit pas plus de pouvoir pour dégrader un prêtre que pour le consacrer ; aussi le concile de Trente, sess. 13. cap. jv. décide-t-il qu’un seul évêque peut dégrader un prêtre, & même que le vicaire général de l’évêque, in spiritualibus, a le même pouvoir, en appellant toutefois six abbés, s’il s’en trouve assez dans la ville, sinon six autres personnes constituées en dignité ecclésiastique.

La novelle 83 de Justinien ordonne que les clercs seront dégradés par l’évêque avant d’être exécutés. Il étoit d’usage chez les Romains, que l’ecclésiastique dégradé étoit incontinent curiæ traditus ; ce qui ne signifioit pas qu’on le livrât au bras séculier pour le punir, comme quelques ecclésiastiques ont autre-

fois voulu mal-à-propos le faire entendre, puisque

ce criminel étoit déjà jugé par le juge séculier, mais cela vouloit dire qu’on l’obligeoit de remplir l’emploi de décurion, qui étoit devenu une charge très-onéreuse, & une peine sur-tout pour ceux qui n’en avoient pas les honneurs, comme cela avoit lieu pour les prêtres dégradés & pour quelques autres personnes. Et en effet, Arcadius ordonna que quiconque seroit chassé du clergé, seroit pris pour décurion ou pour collégiat, c’est-à-dire du nombre de ceux qui dans chaque ville étoient choisis entre les assistans pour servir aux nécessités publiques.

En France, suivant une ordonnance de l’an 1571, les prêtres & autres promûs aux ordres sacrés, ne pouvoient être exécutés à mort sans dégradation préalable.

Cette dégradation se faisoit avec beaucoup de cérémonie. L’évêque ôtoit en public les habits & ornemens ecclésiastiques au criminel, en proférant certaines paroles pour lui reprocher son indignité. La forme que l’on observoit alors dans cet acte paroît assez semblable à ce qui est prescrit par le chapitre de pœnis in 6°, excepté par rapport au nombre d’évêques que ce chapitre requiert.

Juvenal des Ursins rapporte un exemple d’une dégradation de deux Augustins, qui ayant-trompé le roi Charles V I. sous prétexte de le guérir, furent condamnés à mort en 1398, & auparavant dégradés en place de Grève en la forme qui suit.

On dressa des échaffauts devant l’hôtel-de-ville & l’église du S. Esprit, avec une espece de pont de planches qui aboutissoit aux fenêtres de la salle du S. Esprit, de maniere qu’une de ces fenêtres servoit de porte ; l’on amena par-là les deux Augustins habillés comme s’ils alloient dire la messe.

L’évêque de Paris en habits pontificaux leur fit une exhortation, ensuite il leur ôta la chasuble, l’étole, le manipule, & l’aube ; puis en sa présence on rasa leurs couronnes.

Cela fait, les ministres de la jurisdiction séculiere les dépouillerent & ne leur laisserent que leur chemise & une petite jacquette par-dessus ; ensuite on les conduisit aux halles où ils furent décapités.

M. le Prêtre tient qu’un ecclésiastique condamné à mort pour crime atroce, peut être exécuté sans dégradation préalable ; ce qui est conforme au sentiment des canonistes, qui mettent l’assassinat au nombre des crimes atroces.

Quelques évêques prétendoient que pour la dégradation on devoit se conformer au chapitre de pœnis, & qu’il falloit qu’elle fût faite par le nombre d’évêques porté par ce chapitre ; d’autres faisoient difficulté de dégrader en conséquence du jugement de la justice séculiere, prétendant que pour dégrader en connoissance de cause, ils devoient juger de nouveau, quoiqu’une sentence confirmée par arrêt du parlement suffise pour déterminer l’Eglise à dégrader le condamné, autrement ce seroit ériger la justice ecclésiastique au-dessus de la justice séculiere. Comme toutes ces difficultés retardoient beaucoup l’exécution du criminel, & que par-là le crime demeuroit souvent impuni, les magistrats ont pris sagement le parti de supprimer l’usage de la dégradation, laquelle au fond n’étoit qu’une cérémonie superflue, attendu que le criminel est suffisamment dégradé par le jugement qui le condamne à une peine afflictive.

On ne doit point confondre la dégradation avec la simple suspension, qui n’est que pour un tems, ni même avec la déposition qui ne prive pas absolument de l’ordre ni de tout ce qui en dépend, mais seulement de l’exercice. Voyez Déposition & Suspension. Voyez Loiseau, tr. des ordres, chap. jx. n. 29. & suivans. (A)