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définitive, sont opposés aux jugemens préparatoires ou interlocutoires, & qui ordonnent seulement quelque chose pour l’instruction, ou en attendant le jugement du fond des contestations. (A)

DEFINITION, s. f. en Logique, est une énumération que l’on fait des principales idées simples dont est formée une idée composée, pour déterminer ou expliquer sa nature & son caractere.

Les philosophes de l’école donnent des notions fort imparfaites de la définition. Quelques-uns la définissent la premiere notion ou idée que l’on a d’une chose, qui sert à la distinguer de toute autre, & de laquelle on peut déduire tout ce que l’on sait & que l’on conçoit de cette chose. Mais on la définit plus ordinairement oratio explicans quid res est, un discours qui explique ce qu’une chose est, c’est-à-dire un discours qui détaille les attributs par lesquels la nature d’une chose est déterminée : car expliquer n’est autre chose que détailler séparément les parties qui étoient auparavant mentionnées implicitement & conjointement ; de sorte que toute explication a toûjours un rapport à tout.

Or comme on peut distinguer dans une chose des parties de différente nature, savoir des parties physiques, des parties métaphysiques, &c. on peut donner aussi différentes définitions d’une même chose ; ainsi on peut définir l’homme un animal composé de corps & d’ame, ou bien un animal raisonnable.

Il y a, ajoûte-t-on, deux sortes de définitions ; l’une nominale, ou de nom ; l’autre réelle, ou de chose.

La définition de nom est celle qui explique le sens ou la signification propre d’un mot ; ou, comme le dit plus exactement M. Wolf, c’est l’énumération qu’on fait d’un certain nombre de marques ou de caracteres suffisans pour faire distinguer la chose qu’on définit, d’avec toute autre ; de sorte qu’il ne reste point de doute sur ce que c’est que la chose qu’on a voulu faire entendre & désigner par le nom.

Telle est la définition qu’on donne d’un quarré, en disant que c’est une figure de quatre côtés égaux, &c. qui font entr’eux des angles droits. Par la définition de nom on veut faire connoître ou les idées qu’on attache à un mot dans l’usage ordinaire, ou bien les idées particulieres qu’on a dessein d’y attacher, c’est-à-dire le sens particulier dans lequel on veut qu’un mot soit entendu, pour l’employer en ce sens dans la suite du discours.

La définition de chose est proprement une énumération qu’on fait des principaux attributs d’une chose, pour expliquer & faire connoître sa nature.

Ainsi on définit un cercle, une figure dont tous les points à la circonférence sont également éloignés du centre.

M. Wolf dit que la définition de chose est une notion distincte qui explique la génération de cette chose, c’est-à-dire la maniere dont elle est faite ou dont elle se fait. Telle est la définition qu’on donne d’un cercle, quand on dit que c’est une figure formée par le mouvement d’une ligne droite autour d’une de ses extrémités. Sur ce pié, la définition précédente que nous venons de donner d’un cercle, ne seroit plus une définition de chose, mais simplement une définition de nom.

La notion que nous avons donnée de la définition de chose, d’après plusieurs philosophes, suffit pour faire connoître en quoi elle differe de la définition de nom. Mais quoique cette notion ait de son côté l’avantage de l’analogie, de la clarté & de la convenance, cependant comme elle n’est elle-même qu’une définition de nom, c’est-à-dire une définition du mot, c’est sous ce point de vûe principalement que nous devons la considérer, en la regardant comme une idée attachée arbitrairement à ce mot, & que l’auteur doit toûjours y conserver attachée

dans toute la suite de son ouvrage. Mais cette notion ne renferme point en effet le sens ou la signification ordinaire qu’on a coûtume de donner à ce mot, & qui est beaucoup moins juste & moins distincte ; & c’est à cette signification ordinaire que nous devons principalement avoir égard.

Ainsi, quoique les définitions d’une chose ne soient que des explications du mot qui la signifie, il y a cependant de la différence entre définir la chose & définir le mot. L’une & l’autre définition à la vérité n’est que l’explication de la signification d’un mot ; mais la définition de mot est l’explication d’un mot établi par l’usage reçû, conformément aux idées qu’il a plû aux hommes d’y attacher : au lieu que la définition de la chose est l’explication d’un mot supposé arbitraire, dont je me sers à mon gré, en sorte que j’attache à ce mot, selon qu’il me plaît, le nombre & la qualité d’idées que je déclare avoir actuellement dans l’esprit.

Au reste cette définition d’un mot pris même arbitrairement, peut en un sens très-légitime s’appeller la nature de la chose définie : car alors la définition exprime parfaitement la nature de la chose que je définis, telle que je la concois ; mais ce que je conçois alors n’est pas toûjours la nature effective des choses.

Mais pour le bien comprendre, il faut expliquer les différentes idées qui sont attachées au mot nature. 1°. Il signifie l’assemblage de tous les êtres que l’esprit humain est capable de connoître : 2°. le principe universel qui les forme & qui les conduit. 3°. Il signifie la constitution particuliere & intime qui fait chaque être en particulier ce qu’il est : 4°. la disposition qui se trouve dans les êtres, independamment de notre industrie ou de la volonté humaine ; & en ce sens-là ce qui est naturel est opposé à l’artificiel. Ainsi disons-nous que la chûte de l’eau qui tombe dans une cascade de jardin, est artificielle, entant qu’elle a été disposée par l’industrie humaine pour tomber de la sorte. 5°. Enfin le mot nature signifie l’idée que nous nous formons de ce que nous jugeons de plus intime en chaque chose, & que nous exprimons par la définition : c’est ce qui s’appelle dans les écoles, essence métaphysique. V. Nature.

Ces divers sens qu’on donne au mot nature, étant ainsi fixés & déterminés, il est aisé de comprendre quel est le sens que les philosophes donnent à la nature des choses, lorsqu’ils prétendent l’expliquer par leurs définitions. Comme ils entendent par la nature des choses, la constitution particuliere & intime qui fait chaque être en particulier ce qu’il est, il est évident que toutes leurs définitions sur la nature des substances, sont vaines & frivoles ; elles seront toûjours défectueuses, par l’impuissance où ils sont de connoître les essences des substances ; impuissance dont ils ne se doutent pas, parce qu’ils se préviennent pour des idées abstraites qu’ils réalisent, & qu’ils prennent ensuite pour l’essence même des choses. Ce qui les a engagés dans cette méprise, c’est 1° qu’ils ont crû qu’en Mathematiques la notion de la chose emporte la connoissance de son essence ; 2° qu’ils ont conclu précipitamment qu’il en étoit de même en Physique, & se sont imaginés connoître l’essence même des substances. Au lieu de s’amuser à les définir par leur genre & par leur différence la plus prochaine, ils auroient dû plûtôt faire une analyse exacte de toutes les idées simples qui peuvent leur appartenir, en un mot développer l’origine & la génération de toutes leurs notions abstraites. Mais il est bien plus commode de supposer dans les choses une réalité dont on regarde les mots comme les véritables signes ; d’entendre par ces noms, homme, animal, &c. une entité qui détermine & distingue ces choses, que de faire attention à toutes les idées simples qui entrent dans la notion qu’on s’en forme.